ONLY GOD FORGIVES (Nicolas Winding Refn)

[quote=« Photonik »]…] finalement très peu de ce qui reste le plus fascinant à observer dans ses films : la pure mise en scène.
Il y a très peu de réals aussi balèzes que Refn sur ce terrain…][/quote]

Pour le coup j’aimerais que l’on m’explique en quoi Drive (par exemple) est fascinant dans sa mise en scène.

Oui, j’adorerais que l’on me donne des exemples concrets de mise en scène, en m’expliquant pourquoi est-ce si balèze.

Juste pour comprendre de quoi il s’agit.

Bon ça va alors, j’te reparle Photo :wink:

Je m’en serais pas remis sinon. :wink:

Pour ce qui est de la mise en scène :
D’abord, entendons-nous sur ce qui relève de la mise en scène. Pour moi, c’est l’ensemble des choix qui permettent à la narration d’être prise en charge exclusivement par l’image. C’est donc l’ensemble des choix narratifs à l’exclusion des dialogues et des rebondissements dramatiques déjà inclus dans le script.
Exemple : filmer un personnage en contre-plongée lui confère une stature imposante perçue de manière intuitive, directe par le spectateur. Refn le fait d’ailleurs beaucoup, et notamment dans « Drive ».
Les effets produits par ce type de procédés sont très difficiles à décrire par les mots, par nature, puisqu’ils relèvent de la perception et donc d’une certaine subjectivité. C’est pourquoi je dirais, en paraphrasant Thelenious Monk, que « parler de mise en scène, c’est comme danser sur de l’architecture ».

Parmi les choix relevant de la pure mise en scène, il y a bien sûr la direction d’acteurs. Ecartons-la pour le moment, puisque on a déjà vu plus haut que Refn ne ralliait pas tous les suffrages sur ce plan-là…

Ce qui nous reste, c’est donc :

  • l’utilisation du son (j’ai dit sons, pas dialogues)
  • la lumière (secteur où le réal est quand même en étroite collaboration avec le chef-op’, et celui de Refn, Larry Smith, a quand même bossé avec Kubrick ; ce n’est donc pas un manchot et tout le mérite de la lumière splendide de ses derniers films n’est donc pas à mettre exclusivement au crédit de Refn…)
  • le placement de la caméra (angles de prise de vue et choix des valeurs de plans)
  • les mouvements d’appareil (pano, travellings, etc…)
  • la composition des cadres
  • les grandes orientations concernant le montage (les cinéastes montant eux-mêmes leurs films sont rares mais en général ils sont présents tout du long)
  • pour finir, ce qui reste pour moi l’opération fondamentale du cinéaste, le découpage (choix du nombre de plans ou de séquences pour illustrer telle portion du script).

Sur tous les secteurs que je viens de citer, Refn est au top, tout simplement. D’un strict point de vue forme, ses films ont peu d’équivalents.
Personnellement, ce sont surtout ses mouvements d’appareil (simples mais d’une grande beauté, très kubrickien, il adopte d’ailleurs des plans à composition symétrique comme Kubrick et c’est plutôt rare car déconseillé) et son sens du découpage qui m’intéressent.
Il fait des montages très peu « cut » et cette méthode est déjà présente à l’étape du découpage : il privilégie la restitution du mouvement dans son entièreté par le biais de plans-séquence, plutôt que de chercher à le reconstituer par le biais du montage. Ces plans, individuellement, sont beaucoup plus difficiles à concevoir et à réaliser.
Pour les spectateurs abreuvés de montages épileptiques que nous sommes (depuis les années 80 en gros), l’effet produit peut s’apprenter à l’ennui ; si on supporte bien cet écueil (c’est mon cas), on finit comme dirait Raymon Bellour dans un état proche de l’hypnose (ni vraiment veille ni vraiment sommeil). C’est le but de Refn je crois, qui dit vouloir représenter des « somnambules ».

On a le droit de pas trouver ça intéressant, mais entre l’effet recherché et le résultat obtenu, il y a une grande cohérence.

Pour revenir à « Drive », les qualités combinées de Refn en termes de découpage, composition et sens du tempo, ça donne par exemple ma scène préférée du film, la première : la course-poursuite du début, miracle de tension anti-spectaculaire complètement représentative qui plus est des contre-pieds systématiques de Refn par arpport au spectateur. En outre, Refn y fait une utilisation diabolique du son, avec les deux émissions radio qui se superposent (fréquence de la police et commentaires sportifs) pour commenter chacune à leur manière l’action (directement et « métaphoriquement ») pour finir par s’unir dans le parking souterrain.
Là c’est très fort, peu de réalisateurs peuvent pondre une séquence pareille.

Et puis, là c’est encore plus subjectif, il y a les plans à portée « symbolique », que l’on appréciera ou pas en fonction de notre sensibilité ou de notre degré de compréhension de l’intention de l’auteur.
Dans « Drive » encore, je trouve très beau le plan à la fin de la bagarre mortelle entre Gosling et Brooks où ce sont les ombres des belligérants sur le bitume du parking qui sont filmées et pas eux directement (ça fait sens je crois).

Enfin, Refn est un cinéaste citationnel (pas à la manière de Tarantino où les références n’impactent pas les choix de mise en scène justement, ou très superficiellement, genre « faire un split-screen à la De Palma ne fait pas une mise en scène depalmienne »…), et en tant que fan absolu de Carpenter, j’ai apprécié le renvoi à « Halloween » présent dans « Drive » (le coup du masque), précisément parce que la mise en scène de Refn me fait penser à lui (épure de la forme pour un impact redoublé, et recherche d’une abstraction qui passe notamment par un gommage de la psychologie des persos).

Je ne sais pas si j’ai répondu à ta question, Artie…

[quote=« Photonik »]…]

Je ne sais pas si j’ai répondu à ta question, Artie…[/quote]

Oui tu as répondu à ma question.

J’aime bien le « …] puisqu’ils relèvent de la perception et donc d’une certaine subjectivité. …] », où se trouve « une certaine », cela ne relève donc pas de la subjectivité mais d’une *certaine * subjectivité.

C’est amusant comme il apparaît que certains de mes contemporains ne veulent surtout rien à voir avec la subjectivité, ou le moins possible.

Alors que nous ne sommes que subjectivité, forcément.

Mais ceci est un autre débat.

Reste que je te remercie d’avoir développé le sujet. :wink:

Oui, nous ne sommes que subjectivité, mais en l’occurrence j’ai mis une « certaine subjectivité » parce qu’elle est partielle : la perception de la contre-plongée est subjective mais le placement de la caméra qui permet d’obetnir cet effet est très objectif quand à lui…

Est-ce qu’une caméra qui tombe dans la forêt fait du bruit si personne ne l’entend ?? :wink:

Oui par la force des choses le placement d’une caméra est objectif (ahah objectif/caméra ahaha :wink: ), ceci dit je me demande comment le placement de n’importe quel objet peut être objectif compte tenu du sens du terme objectivité dans la langue française. D’un autre côté je ne veux convaincre personne. :slight_smile:

Non, pas pour celui qui ne l’entend pas ; d’ailleurs elle ne tombe pas pour celui qui ne le sait pas. :wink:

nous ne sommes pas que subjectivité, nous avons un corps qui jouit et qui est travaillé par une langue et une grammaire et cela va bien au delà de la division objectivité/subjectivité.

Il y a dans le fait même de soutenir le tout subjectif un tel appel à l’objectivité que je pense toujours au
baron de munchhausen qui se sort de l’eau en se tirant lui même par les cheveux.

Mais bon c’est pas le débat.

J’ai jamais vu de film du gars, mais les pages de discussions étant fort intéressantes, je m’en vais choper le film pour me faire un avis.

Photo je bois tes paroles ( enfin tes écrits), tu me ferais presque aimer Refn…mais non.

Moi, je dis : Photonik, faudrait qu’il écrive des livres. Sur Refn, sur Malick… Sérieux, je serais ravi et passionné à l’idée de les lire. Il nous avait expliqué plein de choses sur Malick, back in the days, je n’en aime pas Malick pour autant, mais je comprends mieux certaines choses.

Jim

[quote=« Jim Lainé »]Moi, je dis : Photonik, faudrait qu’il écrive des livres. Sur Refn, sur Malick… …]
Jim[/quote]

Absolument !

Vous êtes trop bons, les mecs. :blush:
Je ne fais que lire de bons bouquins sur la question écrits par des gens bien plus malins que moi…
Au passage, pour rendre à César ce qui est à César, je conseille une lecture à tout le monde : « Le Corps du cinéma : hypnose, émotions, animalité » de Raymond Bellour, le plus beau livre sur le cinéma que j’ai jamais lu (attention c’est du costaud, quand même).
C’est un remède à l’ennui potentiellement éprouvé devant les films de Refn ou Malick, par exemple. :wink:

Moi je trouve Malick magnifique. Il m’ennuie pas du tout.

J’en suis persuadé, d’où la notion de subjectivité. :wink:

À l’image de Drive, l’histoire de Only God Forgives est assez classique (mais pas convenue) et encore à l’image de Drive, c’est son traitement qui fait toute la différence et qui lui confère un caractère fascinant.
Visuellement, le film est superbe. Le travail sur la photographie est impressionnant et fait notamment de Bangkok un personnage à part entière. Les mouvements de caméras impressionnent d’efficacité dans leur simplicité…cette économie apparente d’effets tape-à-l’oeil renforce l’efficacité cauchemardesque de certains moments-clé ( le gunfight ou encore l’insoutenable scène de torture, avec ces très belles idées de réalisation autour de l’ange vengeur qui rend calmement sa justice entouré de personnages féminins aux yeux fermés).
Economie également aux niveau des dialogues avec les deux principaux protagonistes, celui incarné par Ryan Gosling et le flic/vengeur…le premier se perd dans la contemplation, a un rapport particulier avec les femmes et particulièrement son tyran de mère (coucou, Oedipe), et vit sa vie tel un cauchemar éveillé dans l’attente d’un destin inéluctable. Le second rend une justice implacable, tel une figure divine intouchable.

Onirique, hypnotique, violent, parcouru de fulgurances étonnantes…un très bon Refn !

Son prochain film sera le thriller horrifique (« avec beaucoup de sexe ») I walk with the dead (que Refn développe depuis quelques années).

Ah, « I Walk with the Dead », finalement…
Tant mieux, j’ai hâte de voir ce que Refn va faire en se frottant directement à un genre autour duquel il a tourné en de multiples occasions.

Bien content de voir que ce film ayant pour le moins divisé t’ait parlé aussi. On se sent moins seul !!