Je m’en serais pas remis sinon.
Pour ce qui est de la mise en scène :
D’abord, entendons-nous sur ce qui relève de la mise en scène. Pour moi, c’est l’ensemble des choix qui permettent à la narration d’être prise en charge exclusivement par l’image. C’est donc l’ensemble des choix narratifs à l’exclusion des dialogues et des rebondissements dramatiques déjà inclus dans le script.
Exemple : filmer un personnage en contre-plongée lui confère une stature imposante perçue de manière intuitive, directe par le spectateur. Refn le fait d’ailleurs beaucoup, et notamment dans « Drive ».
Les effets produits par ce type de procédés sont très difficiles à décrire par les mots, par nature, puisqu’ils relèvent de la perception et donc d’une certaine subjectivité. C’est pourquoi je dirais, en paraphrasant Thelenious Monk, que « parler de mise en scène, c’est comme danser sur de l’architecture ».
Parmi les choix relevant de la pure mise en scène, il y a bien sûr la direction d’acteurs. Ecartons-la pour le moment, puisque on a déjà vu plus haut que Refn ne ralliait pas tous les suffrages sur ce plan-là…
Ce qui nous reste, c’est donc :
- l’utilisation du son (j’ai dit sons, pas dialogues)
- la lumière (secteur où le réal est quand même en étroite collaboration avec le chef-op’, et celui de Refn, Larry Smith, a quand même bossé avec Kubrick ; ce n’est donc pas un manchot et tout le mérite de la lumière splendide de ses derniers films n’est donc pas à mettre exclusivement au crédit de Refn…)
- le placement de la caméra (angles de prise de vue et choix des valeurs de plans)
- les mouvements d’appareil (pano, travellings, etc…)
- la composition des cadres
- les grandes orientations concernant le montage (les cinéastes montant eux-mêmes leurs films sont rares mais en général ils sont présents tout du long)
- pour finir, ce qui reste pour moi l’opération fondamentale du cinéaste, le découpage (choix du nombre de plans ou de séquences pour illustrer telle portion du script).
Sur tous les secteurs que je viens de citer, Refn est au top, tout simplement. D’un strict point de vue forme, ses films ont peu d’équivalents.
Personnellement, ce sont surtout ses mouvements d’appareil (simples mais d’une grande beauté, très kubrickien, il adopte d’ailleurs des plans à composition symétrique comme Kubrick et c’est plutôt rare car déconseillé) et son sens du découpage qui m’intéressent.
Il fait des montages très peu « cut » et cette méthode est déjà présente à l’étape du découpage : il privilégie la restitution du mouvement dans son entièreté par le biais de plans-séquence, plutôt que de chercher à le reconstituer par le biais du montage. Ces plans, individuellement, sont beaucoup plus difficiles à concevoir et à réaliser.
Pour les spectateurs abreuvés de montages épileptiques que nous sommes (depuis les années 80 en gros), l’effet produit peut s’apprenter à l’ennui ; si on supporte bien cet écueil (c’est mon cas), on finit comme dirait Raymon Bellour dans un état proche de l’hypnose (ni vraiment veille ni vraiment sommeil). C’est le but de Refn je crois, qui dit vouloir représenter des « somnambules ».
On a le droit de pas trouver ça intéressant, mais entre l’effet recherché et le résultat obtenu, il y a une grande cohérence.
Pour revenir à « Drive », les qualités combinées de Refn en termes de découpage, composition et sens du tempo, ça donne par exemple ma scène préférée du film, la première : la course-poursuite du début, miracle de tension anti-spectaculaire complètement représentative qui plus est des contre-pieds systématiques de Refn par arpport au spectateur. En outre, Refn y fait une utilisation diabolique du son, avec les deux émissions radio qui se superposent (fréquence de la police et commentaires sportifs) pour commenter chacune à leur manière l’action (directement et « métaphoriquement ») pour finir par s’unir dans le parking souterrain.
Là c’est très fort, peu de réalisateurs peuvent pondre une séquence pareille.
Et puis, là c’est encore plus subjectif, il y a les plans à portée « symbolique », que l’on appréciera ou pas en fonction de notre sensibilité ou de notre degré de compréhension de l’intention de l’auteur.
Dans « Drive » encore, je trouve très beau le plan à la fin de la bagarre mortelle entre Gosling et Brooks où ce sont les ombres des belligérants sur le bitume du parking qui sont filmées et pas eux directement (ça fait sens je crois).
Enfin, Refn est un cinéaste citationnel (pas à la manière de Tarantino où les références n’impactent pas les choix de mise en scène justement, ou très superficiellement, genre « faire un split-screen à la De Palma ne fait pas une mise en scène depalmienne »…), et en tant que fan absolu de Carpenter, j’ai apprécié le renvoi à « Halloween » présent dans « Drive » (le coup du masque), précisément parce que la mise en scène de Refn me fait penser à lui (épure de la forme pour un impact redoublé, et recherche d’une abstraction qui passe notamment par un gommage de la psychologie des persos).
Je ne sais pas si j’ai répondu à ta question, Artie…