Je viens de lire les trois tomes suivants. Si je suis moins enthousiaste que précédemment, l’ensemble continue à être passionnant, même si Kirkman reprend des motifs déjà explorés dans des séries plus connues.

Le quatrième tome continue sur la lancée des trois précédents, confrontant Kyle Barnes et le révérend Anderson au sournois et inquiétant Sidney. On commence à avoir la pleine mesure de la menace, l’ampleur de la situation, et Kirkman déploie des astuces narratives intéressantes. À ce sujet, les TPB américains, qui enquillent les pages des différents épisodes sans marquer de poses, ruinent peut-être un peu certains effets (par exemple, quand le scénariste reprend l’action un peu plus tôt, afin de suivre un personnage dans la même chronologie et de le faire aboutir à l’endroit où on l’a vu dans l’épisode précédent, en ayant ainsi détaillé sur parcours jusqu’à ce point). Un choix étonnant.
La chose intéressante à ce niveau de l’histoire, c’est que le scénariste redéfinit la possession démoniaque : le comportement violent du possédé (grognements, agressivité…) s’explique par le fait que le « démon » à l’intérieur n’est pas habitué aux flots de sensations liées à un corps humain. Idée assez formidable, qui permet en quelque sorte « d’humaniser » le possédé, l’ennemi. C’est plutôt astucieux.

Le cinquième tome voit l’arrivée d’un personnage dont l’absence avait été soulignée précédemment. Malgré cela, il apparaît un petit peu comme un deus ex machina dans le récit, et si Kirkman a l’intelligence de le fragiliser voire d’en faire un poids pour les protagonistes, la sensation du cheveu sur la soupe demeure. Elle se fera sentir à nouveau à l’arrivée d’un nouveau méchant, et ça fait un peu beaucoup.
Kyle Barnes, sa sœur, sa femme et sa fille constitue le noyau dur d’une petite communauté qui semble au courant de ce qui se trame dans le bled, opportunément nommé Rome. On obtient donc une structure plus proche des Envahisseurs que de l’Exorciste, et c’est d’ailleurs pas plus mal, parce qu’il est temps que la série parte explorer une direction nouvelle par rapport au genre, balisé, dans lequel elle s’inscrit. Différents termes s’imposent, notamment celui de l’invasion, ce qui me semble intéressant dans le contexte de notre société actuelle, dans laquelle l’image du mur est vibrante. D’ailleurs, dans le tome 6, ce mur prendra une importance évidente.
L’autre idée intéressante est que la notion de « démon » (et par conséquent « d’ange ») est redéfinie dans le cadre de la série. Le nouveau personnage donne des explications à Kyle (il s’agirait en fait de deux forces issues d’une autre dimension, dans laquelle l’équilibre a été rompu, obligeant les ressortissants des deux camps à se réfugier dans le monde des hommes), que ce dernier interprète à l’aune de son scepticisme, là où le révérend y voit la sempiternelle guerre entre anges ailés et démons cornus. La scène est très bien ficelée, dans le sens où les deux alliés, qui somme toute ne sont d’accord sur rien, trouvent confirmation de leur vision et contentement évident, admettant qu’ils parlent de la même chose en des termes différents.
Le problème de ce tome, c’est que Kirkman revient aussi à des motifs soit faciles (c’est plus gore, et donc plus bourrin, là où les précédents tomes constituaient une belle galerie de portraits touchants laissant la place à l’imagination) soit répétitifs (celui du père formateur qui enseigne la violence « pour le bon droit » à son fils qui semble ne rien remettre en question, pour une fois). Ce qui fait que l’originalité de la série se dilue un peu.

Le sixième tome pousse la logique plus loin. Les deux camps s’organisent, marquent des points, leur lutte déborde dans la société, et notamment dans les médias. C’est là que le groupe constitué autour de Barnes et Anderson se mure afin de se protéger. On renoue donc avec le motif de la communauté qui résiste à l’ennemi, propre à la logique de Walking Dead. Certaines planches de confrontation avec les possédés fonctionne précisément sur ce genre de chorégraphie. Là encore, Outcast y perd de sa personnalité. Dommage.
En revanche, le point fort, c’est que Kirkman, en associant l’image du mur à la médiatisation de l’affaire, parvient à retourner son paradigme, et à conclure ce volume en montrant la communauté de Kyle (les gentils) sous l’apparence d’une secte violente, et les forces armées de Rholand (les méchants) sous celle des policiers abattus par des forcenés. Jolie prouesse d’écriture.
« Conclure » ? Pas vraiment ! Arrivé à la fin de ce sixième tome, le scénariste nous laisse sur un cliffhanger de taille, qui élargit le champ d’action (notamment à la ville, à l’univers urbain), promettant des déclinaisons susceptibles de sortir un peu des courses-poursuites et fusillades en forêt.
Sauf que, à ma connaissance, la série s’est arrêtée là pour l’instant. Je ne pensais pas dire ça un jour d’une série écrite par Kirkman, mais j’espère qu’elle reprendra rapidement, parce que j’ai envie de lire la suite.
Jim