PARLE-MOI D'AMOUR (Aline & Robert Crumb)

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Voici les aventures de M. et Mme Tout-le-Monde. Ou presque. Il y a bien sûr les enfants, le travail, les traites à payer, le sexe (beaucoup de sexe) et le ménage à faire. Sauf que ce monsieur et cette madame s’appellent Robert Crumb et Aline Kominsky et, depuis leur rencontre en 1974, tiennent leur journal de bord dessiné.
Crumb est l’un des rois de la BD underground; sa femme est moins experte du crayon, mais assez douée pour l’écriture, semble-t-il, et son autodérision fait le reste.
Parle-moi d’amour reprend les 250 (!) planches de leurs ébats colorés et amoureux et brosse, en sous-case, le portrait d’une Amérique joyeuse et bordélique, gentiment névrosée, tout entière arc-boutée sur le besoin de survivre dans un monde qui va trop vite alors que le seul avenir se résume au lendemain soir. Pas gai, pas triste, mais réussi.

Trad. de l’anglais par Lili Sztajn
264 pages, ill., 215 x 285 mm, cartonné
ISBN : 9782207109588 / Gencode : 9782207109588
Code distributeur : B26243
Collection Denoël Graphic
Parution : 27-10-2011
Prix : 35,5 euros

Voici mon avis, écrit en 2012, je pense :

Voici un objet vraiment pas ordinaire, car ce livre recueille l’ensemble des travaux écrits et dessinés des quatre mains d’Aline Kominsky-Crumb et de Robert Crumb. Et pour deux numéros, il y a même celles de leur fille, Sophie Crumb. Vous allez me dire que les travaux en famille (auteur et dessinateur, dessinateur et encreur, dessinateur et coloriste, etc …), cela arrive très régulièrement. Sauf qu’ici, dans chaque case (sauf peut être pour une histoire), chacun se dessine et écrit son propre texte, ce qui explique également un lettrage différent entre les deux amants. Cette couverture allégorique est donc aussi drôle que pertinente.

L’apport de sa femme donne une autre dimension aux histoires de Crumb. Même si on retrouve certaines de ses thématiques fétiches (le sexe est évidemment présent, mais avec plus de parcimonie que d’habitude), la lecture de cet ouvrage donne l’impression de lire une forme de reportage, un peu comme le faisait l’émission belge « Strip-tease », où l’on suit les pérégrinations et la vie de la famille Crumb. Sauf qu’ici, l’imagination fertile du pape de la BD underground exagère les situations (quoique ?!) et les visuels, piochant de temps en temps dans le fantastique.

Dans la forme du discours, c’est également un peu différent. Les monologues sont évidemment moins présents qu’à l’accoutumée, et donc les dialogues permettent de développer leurs idées, d’opposer ou nuancer leurs avis, sans jamais se répéter. Il y a un enrichissement du fond (pourtant déjà bien pourvu chez Crumb) très intéressant et aussi une palette de thèmes plus étoffée. Notamment quand il parle de la vie en France, avec leur vision d’Américains, complétée d’anecdotes plus vraies que nature (très instructif à lire d’ailleurs). L’influence féminine n’y est sûrement pas pour rien, car Madame Kominsky-Crumb a aussi son mot à dire et ne laisse pas sa place. C’est d’ailleurs intéressant de voir qu’elle semble plus bavarde que son mari, sans verser dans le cliché, car il en ressort des réflexions très pertinentes, sur la famille, la vision future que peuvent avoir leurs enfants sur leur forme d’exhibitionnisme de papier, etc …

Les histoires allant de 1974 à 2010 et étant présentées de manière quasiment chronologique, cela permet de suivre aussi l’évolution graphique des deux artistes. Leurs styles respectifs sont très différents, R. Crumb étant toujours très précis, de plus en plus avec le temps avec toujours plus de trait, alors qu’A. Crumb-Kominsky est plus caricaturale et économe en coups de crayon (sauf pour ses cheveux), moins dynamique également, mais la maîtrise s’affirme au fil des années. Là n’est pas vraiment le débat dans ce genre de récit et c’est d’ailleurs la différence que cela entraîne dans la case ou dans la page qui est l’effet le plus intéressant. Et quand Mlle Crumb s’y met, tout cela forme une harmonie à la fois étrange et formidable. Comme leur famille peut être !

Avis : conseillé. Et c’est peut être le bon moyen d’entrer dans le monde de Crumb.

J’ajoute la dédicace qu’elle m’avait faite (relire mon avis ajoute un peu plus de pincement au cœur), ainsi que mon commentaire la concernant, issu de mon « reportage » de l’Angoulême 2012 :

La fin de journée approche et j’avais repéré que chez Denoël Graphic, la femme de Robert Crumb serait en dédicace. Un dernier tour donc au Nouveau Monde et il n’y avait quasiment plus personne avec Aline Kominsky-Crumb. Une nouvelle dédicace donc avec une auteure qui parle un peu français et qui évoque assez facilement l’histoire de ce Parle-moi d’amour ! qu’elle réalisa avec son mari. Belle rencontre encore une fois avec une artiste accessible.

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