c’est vraiment des très bonnes critiques que tu fais Jack. On a l’impression de n’être pas obliger de souscrire à ton analyse tout en acceptant les points cruciaux que tu mets en avant. Entre fait et réflexion sur eux. Franchement, c’est très bien fait, un plaisir à lire.
Je n’ai pas lu providence. Mais tout ce que je lis à son sujet me fait pour l’instant penser à lost girls. En mettant en avant le contenu sexué d’œuvre asexué, Moore nous propose d’en révéler les nouages tout en proposant une autre fiction à part entière. Sans faire référence à l’œuvre originale, qui n’est connu que du lecteur, et n’a pas sa place dans la fiction, il fait métaphore de la figure de style de l’ellipse qui consiste à faire lire quelque chose qui n’est pas écrit au lecteur.
En renvoyant ainsi le lecteur à sa propre transposition du récit, qu’il lit, au récit qu’il connait, Moore propose au lecteur de parcourir à l’envers (mais qui devient du coup à l’endroit) le « refoulement » ayant touché l’œuvre originale, ou encore de parcourir à rebours (mais qui devient du coup le bon sens) le processus créatif qu’on s’imagine des lors être celui d’origine.
Cela produit chez le lecteur, qui fait le lien lui même, un fort effet de conviction quant à ce qu’amène moore comme interprétation, puisque c’est le lecteur ici qui fait le travail de lecture qui n’est pourtant pas écrit dans l’œuvre de Moore mais toujours supposé (une véritable ellipse)
Je ne pense pas que Moore soit spécialement intéressé par la possibilité démonstrative que cela confère à ses récits. Je ne crois pas que Moore cherche à démontrer qu’il y a un contenu sexuel sous-jacent aux œuvres qu’il traite ainsi.
Je crois que ce qui intéresse Moore c’est de rendre manifeste quelque chose de l’ordre de la lecture qui est indiscernable dans la lecture elle même. Toute lecture opère un saut de la lettre au sens qui lui est conféré et qui est sans rapport à la lettre elle même. C’est là quelque chose que tente également de faire apparaitre le discours psychanalytique lorsqu’il cherche à faire droit à l’interprétation qu’est toute lecture, ce que Lacan avait résumé d’un mot comme à son habitude : jouit-sens, décalant de l’œil à l’oreille, du fétiche à l’objet voix, ce qui était mobilisé dans cette opération.
Est ce une élucubration de ma part ou un effet du tour de force de Moore que j’ai ainsi l’impression de lire sans l’avoir lu providence qui donne l’impression d’avoir lu lovecraft sans l’avoir lu… ?