RENAISSANCE t.1-6 (Fred Duval, Fred Blanchard / Emem)

Voilà de la BD de SF comme je l’aime : un pitch fort, un soin certain apporté aux designs, aux extraterrestres, à leur culture, une situation retournée par rapport à certains clichés (ce n’est pas l’humanité le sauveur ni même l’acteur en position de force), une construction qui prend le temps de raconter, et un mélange de réalisme et de merveilleux qui rend l’ensemble crédible.

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Bon, on aura compris, l’action se déroule dans un futur proche, où la situation que nous connaissons aujourd’hui (réchauffement climatique, montée des eaux, catastrophes naturelles, pauvreté galopante, vagues d’immigration, nationalismes et séparatismes, démission de la sphère politique, appât du gain…) a pris des proportions bibliques. Au point que l’humanité est au bord de l’extinction et que le Complexe, une sorte de fédération de races galactiques, décide d’intervenir, après de longs débats, en vue de sauver la race. Les extraterrestres délèguent donc une troupe sur place, baptisée « Renaissance », afin de mettre un terme aux dérèglements climatiques, avant de nourrir et sauver les populations et de leur redonner les moyens de survivre.

L’astuce réside dans la construction du récit. L’album s’ouvre sur deux situations problématiques, l’une à Paris, ville immergée où survivent quelques communautés accrochées aux derniers bâtiments qui surnagent, l’autre dans le grand ouest américain, ravagé par les incendies de champs de pétrole et par les attaques de troupes sécessionnistes. Les gens de ces deux endroits voient arriver une ombre, qui correspond aux vaisseaux de Renaissance. Le récit s’attarde sur l’un des membres, baptisé « Swänn », dont on revoit le parcours récent (union matrimoniale, préparation pour le départ, assignation à un poste). Le récit prend le temps de montrer l’extraterrestre dans son « milieu naturel », entre ses traditions (qu’il respecte alors qu’elles sont présentées comme déjà désuètes), sa conscience politique, son émerveillement par rapport à son environnement… Autant de détail qui permettent de brosser un portrait flatteur de lui et de sa civilisation. Mais ça reste un portrait partiel, et partial, bien entendu, à dessein, on s’en doute.
La troisième partie de l’album est consacrée à la manière dont l’intervention de Renaissance se déroule. Bien entendu, malgré leurs moyens et leurs bonnes intentions, ça ne se passe pas aussi bien que prévu. Nous retrouvons Swänn et sa compagne, mais ils n’ont pas été affectés dans la même équipe, et alors qu’il intervient en Amérique, elle agit à Paris. Le scénario permet aussi de voir que, malgré leurs avancées technologiques, les extraterrestres sont eux aussi tributaires du manque de personnel et des tracas administratifs.

Excellemment construit, ce premier tome s’offre le luxe de se moquer des propres clichés du genre : le pacifisme supposé des « envahisseurs », dont les limites sont rapidement atteintes, ou encore les jeux de langage entre les peuples stellaires (l’un d’eux a des problèmes pour parler, imputés à ses implants, mais cela permet de glisser quelques dialogues à la portée un peu « méta »).
L’intrigue ouvre sur d’autres pistes (le virus, les créatures sous-marines), qui laissent peut-être entrevoir une troisième force en présence. Cela amène une réflexion concernant deux écueils possibles. En faisant intervenir une civilisation (ou deux ?) sur Terre, les auteurs peuvent glisser le long de deux pentes périlleuses : soit en faisant de l’humanité une race de « gros cons », mais il semble que cet écueil soit évité, en tout cas dans le premier tome, car le récit met en scène différents intervenants humains, dont les réactions, même négatives, sont compréhensibles et couvrent un spectre assez large, donc pas caricatural. L’autre danger serait de faire de l’intervenant extérieur l’explication et la cause des malheurs de l’humanité, un problème que l’on rencontre souvent dans les récits conspirationnistes (ceux qui se souviennent de X-Files ou de Dark Skies comprendront ce que je dis). Ce sera donc un peu tout l’enjeu des deux tomes suivants, qui nous diront si l’essai est transformé ou pas.

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Graphiquement, c’est assez magnifique. Emem a fait des progrès depuis Idoles (je n’ai pas regardé ses albums de Carmen McCallum), son trait est plus souple, ses personnages ont un naturel désarmant et ses cadrages sont inventifs sans jamais perturber. Ses couleurs sont peut-être parfois un peu naïves, un peu simples, mais elles respirent la lumière, la clarté, c’est très chouette. Il s’appuie sur des designs de Blanchard, qui, si l’on en croit le cahier graphique en accompagnement de l’album, s’est chargé de tout : les vaisseaux, les costumes, les races, ainsi que les décors végétaux de la planète lointaine.
Le seul petit bémol visuel serait à porter au lettrage, constitué de bulles en forme de ballons de rugby, trop étirées, cernées d’un contours trop épais. Elles témoignent d’une certaine maladresse, et c’est franchement dommage.

Bref, premier volet vraiment enthousiasmant. La suite est risquée, mais je l’attends de pied ferme. Les couvertures de deux prochains tomes sont très belles, si le reste est à la hauteur, ça risque d’être très chouette.

Jim