Étonnante petite surprise de l’année, dans la catégorie fantastique / SF qui nous intéresse.
Petit film qui n’a pas beaucoup fait parler de lui, pour lequel je n’ai pas vu beaucoup de promo, et qui offre un spectacle solide, sans esbroufe, avec un récit carré aux ramifications et aux implications assez riches.
Ça commence comme un thriller fantastique classique, avec un enjeu SF, une situation bien posée, et un moment de basculement qui fait que tout s’effondre. Le thème est bien connu, celui de l’immortalité au prix de l’échange des corps. C’est classique, vu et revu diront certains, mais justement, le scénario (dû aux Pastor, qui m’ont déjà bien emporté dans les deux précédents films que j’ai vu d’eux) apporte une idée forte, qui porte toute l’intrigue, mais qui n’a pas été souvent exploitée (un peu en BD…), au point que l’on se frappe le front en mode « bon sang mais c’est bien sûr ». C’est roublardement utilisé, ingénieux comme tout, et la mécanique est efficace.
Du coup, cette histoire s’inscrit dans la SF post Philip K. Dick qui commence à contaminer le cinéma, mais le film s’inscrit d’emblée parmi les meilleures productions, sans doute parce qu’il évite plein d’écueils. L’écueil romantique, par exemple, en inscrivant le couple non pas comme un but à atteindre (genre, Paycheck ou Oblivion), mais comme un obstacle potentiel. Ça, c’est futé. L’écueil narratif, aussi : sous ses faux airs de récits déstructurés (laquelle des scènes est un flash-back ?, on se pose la question plusieurs fois), c’est globalement linéaire, ce qui permet de suivre le personnage et de découvrir les informations en même temps que lui (pas de spectateur qui en sait plus ou moins que le héros). Ultime pied de nez, le film se conclut sur une situation où plein de métrages post-dickiens auraient débuté, sévère clin d’œil.
Reste donc un personnage en pleine dépossession de lui-même, et donc une dimension affective assez poussée, portée par des acteurs qui livrent plein de choses (je ne suis pas fan de Ryan Reynolds, mais bien dirigé, on sait qu’il donne le meilleur, et c’est le cas ici). L’intrigue ne s’évertue pas à maintenir des suspenses artificiels, quand les révélations arrivent, elles ne traînent pas et sont immédiatement exploitées, bref, pas d’effets de manche.
En termes de réalisation, j’ai trouvé ça très classique, au bon sens du terme. Pas de surenchère sur les incendies et les explosions, on reste proche des personnages et des pièges dont ils réchappent, pas la peine de jouer sur l’ampleur des choses. De même, la poursuite de voiture est très bonne justement parce qu’elle est simple, elle ne surjoue pas la cascade ou les voltiges de caméra. Cela renforce l’aspect « réaliste » de cet univers, son côté davantage thriller que SF.
Et on retrouve des fixettes des Pastor, déjà observés dans Infectés ou dans Les Derniers jours : la fuite en avant (ou son impossibilité), le groupe reconstitué, et surtout le rapport intérieur / extérieur, qui dénote bien entendu une écriture cinématographique, mais pas seulement. Dans Infectés et dans Les Derniers jours, on est sur une logique du confinement, du cocon protecteur (la voiture, la maison), de la séparation entre l’intérieur (rassurant, peut-être, mais également mystérieux et tentant) et l’extérieur, d’où vient le danger (dans Infectés, le danger, c’est aussi les héros). Là, c’est pareil. Le film s’ouvre sur une vitre, donc un reflet, mais aussi une membrane ouvrant vers un extérieur dont on s’écarte (thème de la tour d’ivoire, avec les connotations sociales qu’on imagine). Et tout est comme ça : la maison assiégée, l’hospice, le manoir, les voitures… Cela occasionne des plans assez épatants sur les couloirs stériles, les rideaux opaques, qui privent de repères quand on est à l’intérieur et qui reconstruisent une spatialisation particulière, aux structures nouvelles, quand on est à l’extérieur. Il y a une théâtralité faussée, dont le héros tire profit, avec des personnages voisins mais séparés, qui se voient ou pas, et c’est proprement astucieux. En plus, ça permet de définir le parcours du héros, d’abord prisonnier du décor puis capable, en en sortant, d’en voir les « coulisses ».
Et ce jusqu’à un plan d’image déformée qui, en plus d’être brillant, est une citation directe du Vieux fusil.
Et j’ai parlé des changements de registres, avec des plans en caméra subjective lourds d’indication ?
Non, vraiment, bien fichu.
Bref, très bonne petite surprise.
Un petit film sur l’engagement et le renoncement, qui paie pas de mine mais qui cumule plusieurs qualités : bonne narration, excellent sujet, mise en scène bien ficelée et propos sur la technologie et la corruption assez riche.
N’hésitez pas.
Jim