C’est chose faite, et je dois dire que je le regrette pas.
Le film est incroyablement surprenant, et trouve cette fraîcheur (humour) dans le traitement humoristique de certaines séquences, à base de détournement des attentes du spectateur, surtout dans le cadre d’un film avec Liam Neeson reposant sur un tel pitch.
Imbibé d’une ambiance très « scandinoir » comme on dit (un courant cinématographique et littéraire surtout dont j’avoue ne rien connaître ou presque, si ce n’est de réputation), le récit propose quasiment toutes les étapes indispensables attendues, mais les détourne en quelque sort. Par exemple, tous les passages qui seraient censés être 100 % dramatiques (comme la visite de Liam Neeson et Laura Dern à la morgue) sont traités, de manière complètement contre-intuitive, en petits moments d’humour noir carabiné. Ce qui est intéressant, c’est que c’est la mise en scène qui est le vecteur de ces moments-là : le comique est pour le spectateur, pas pour les personnages.
Hans Petter Moland trouve à travers cette méthode un équilibre presque miraculeux entre tension du polar et le « comic relief » qui fait le sel du film…
Le film est même suffisamment malin pour ménager à travers son dispositif comique quelques astuces à la fois productrices de rires (même si on ne rit pas aux éclats devant « Sang Froid », ce n’est pas le but) et pourvoyeuses de possibilités narratives très efficaces : je pense là, évidemment, à cette façon d’afficher à l’écran une petite notice nécrologique pour chaque personnage qui passe l’arme à gauche ; une fois que le spectateur a saisi le truc, le récit peut se permettre de faire disparaître des personnages de façon immédiatement intégrée par le spectateur (les morts du film sont de plus en plus elliptiques à mesure qu’il avance, d’ailleurs), et produit quelques moments tantôt poignants, tantôt drôles.
Autre finesse/particularité du film : la façon dont le récit traite les innombrables persos secondaires, tous originaux et « vivants ». Presque tous ont droit à leur petite séquence, qui les définit de façon brève mais très efficace. L’astuce de Moland, c’est qu’il pallie à l’habituelle déficience de ce type de films pour la caractérisation des personnages par une originalité teintée de comique qui remplit l’office de rendre tous les personnages (y compris les « méchants ») immédiatement humains et attachants. Ce type de digressions fonctionne du tonnerre, sans même compter les séquences authentiquement émouvantes (le lien qui se créé entre Neeson et l’enfant, remarquablement et sobrement traité).
A cet égard, après une séquence muette fort émouvante où deux pères meurtris décident de cheminer ensemble, le dernier gag me semble personnellement de trop, et appuie maladroitement sur une dimension qui n’avait de toutes façons pas échappé au spectateur avant ça.
Autre petit point faible du film : le gunfight final, très alléchant sur le papier avec tous ces persos que l’on a appris à identifier et même à connaître un peu, est décevant dans sa mise en scène, et même un peu expédié. Un Jérémy Saulnier aurait sans doute tiré de l’or d’une telle séquence, après tout le crescendo du récit (je pense à Saulnier car il a mis en scène un formidable gunfight enneigé dans « Aucun homme ni dieu », qui enterre celui-ci).
Dommage, parce qu’en dehors des séquences d’action, la mise en scène aligne quelques belles idées, profitant de la cinégénie incroyable du décor, et de quelques séquences presque « abstraites » où le paysage devient source de plans assez beaux (le prologue, avec ses projections de neige sur un paysage immaculé, est plastiquement intéressant).
Malgré ces petites réserves, une excellente surprise, très aboutie dans ses tentatives de renouveler le genre ô combien galvaudé du polar.