SERAPHIC FEATHER t.1-9 (Yô Morimoto, Toshiya Takeda / Hiroyuki Utatane)

Discutez de Seraphic Feather

J’ai ressorti mes premiers tomes de Seraphic Feather de leur rayon et, contre toute attente, j’ai été embarqué par la lecture.

Contre toute attente parce que le dessin de Hiroyuki Utatane correspond beaucoup au style graphique qui a profondément influencé les comics au milieu des années 1990 : des jambes kilométriques, des tailles de guêpe, des petites bouches, des grands yeux… L’école visuelle qui aura marqué des Humberto Ramos, des Scott Campbell ou des Joe Madureira débutants, des Al Rio, des Jeff Matsuda… Je ne déteste pas, mais ce n’est pas toujours ce que je préfère dans la vague mangaïsante, et les dessinateurs les plus intéressants sont souvent ceux qui ont su s’émanciper de cette mouvance et en garder le meilleur. La parenté est d’autant plus frappante qu’Utatane apprécie beaucoup la représentation des femmes (et des personnages androgynes) et les habille selon des codes de dominatrices fétichistes. Donc, de l’extérieur, ça donne l’impression d’une série uniquement axée sur ses choix esthétiques.

Ce n’est pas aussi simple, bien sûr. L’histoire se déroule sur la Lune, mêlant recherche d’artefacts d’origine extraterrestre et tension politique entre la colonie et la Terre. On suit différents personnages (dont certains nous sont présentés à l’occasion de flash-backs), visiblement séparés mais dont les liens seront expliqués au fil de la série (on y reviendra). Quelques enjeux se dessinent, notamment l’arrivée sur la Lune d’une enquêtrice de choc mandatée par l’ONU, et qui se trouve assez vite en présence de tueurs.

Ce premier tome n’est pas d’une clarté limpide dans son déroulement. Les différentes lignes narratives semblent ne pas se tricoter d’une manière très évidente. Et puisque l’on parle de traduction dans d’autres sujets, force est de reconnaître que les dialogues ne sont guère fluides (sans parler du lettrage, mal calé, parfois trop gros, avec de mauvaises césures). Mais Utatane l’emporte notamment grâce à des séquences de décor, souvent muettes et toujours impressionnantes, qui permettent de créer des atmosphères très prenantes.

Jim

Le deuxième tome continue sur la lancée, donnant le primat à l’action (contrairement au premier qui était une sorte de longue mise en place). C’est plutôt musclé, avec des séquences à la mise en scène péchue et évocatrice (la mort et la résurrection de Kei, par exemple).

Question production, on sent un plus : les dialogues sont plus fluides, le lettrage mieux calé, c’est nettement plus lisible. Les diverses bastons permettent de clarifier les enjeux, mais aussi les rapports entre les personnages (Sunao reconnaît Kei qu’il pensait morte, tandis que celle-ci n’a aucun souvenir de son ancienne vie, dont le scénario nous dévoile quelques aperçus). C’est encore un peu le bazar, mais ça reste très agréable, et ça se lit vite.

L’édition que j’ai, en Manga Player, propose un petit mot des auteurs sur l’un des rabats de la jaquette. Et la couverture témoigne du plaisir d’Utatane à dessiner de jolies femmes, même si l’illustration n’a aucun rapport avec le contenu, phénomène que l’on retrouve pour les images intercalaires séparant les chapitres.

Jim

Le tome 3 amène une certaine accélération, et des précisions et clarifications diverses dans les enjeux. Les bastons sont plus spectaculaires, le personnage d’Apep Heinemann devient officiellement l’antagoniste principal, et on commence à savoir à quoi servent les artefacts extraterrestres et surtout les personnages à pouvoirs que l’on croise depuis le début.

Le rabat de la jaquette nous apprend que le scénariste change, Yô Morimoto étant remplacé par Toskiya Takeda. Le texte est tourné de telle manière qu’on a l’impression que les auteurs s’excusent pour un travail bordélique et mal équilibré, sympa pour le premier scénariste. Sauf que ce scénariste, je ne trouve aucune autre trace de son travail ailleurs. Le site Bédéthèque attribue le scénario des deux premiers tomes à Utatane lui-même. Tout ceci conduit à penser que Morimoto est sans doute un pseudonyme (et peut-être que certains d’entre vous en sauront davantage).

Cela étant dit, je ne trouve guère plus d’informations concernant Toshiya Takeda. S’agit-il là aussi d’un pseudonyme ? Toujours est-il que le scénario s’éclaircit. Le récit abandonne les séquences « super-déformées », l’intrigue délaisse tous les sous-entendus érotiques ainsi que les descriptions androgynes de certains personnages, pour se concentrer sur les enjeux et les scènes de baston, qui réservent leur lot d’action.

La série y gagne en nervosité et en direction. Ça va quelque part, et ça y va d’un bon pas.

Jim

Après la grosse baston du tome 3, la série semble vouloir faire avancer son intrigue. Certains héros se reposent et réfléchissent à ce qui leur arrive (notamment en matière de pouvoirs naissants), tandis que l’ONU envoie un groupe d’intervention sur la Lune. Et ça se passe mal.

Plein de choses intéressantes dans ce tome, notamment l’explicitation du rôle d’un savant (le père Heinemann), qui s’avère en filigrane une belle crapule. Utatane démontre une fois de plus son goût pour les grosses scènes d’action, mais aussi pour une forme d’humour graveleux qui, à mes yeux, passe nettement mieux avec un dessin semi-réaliste qu’avec le recours à de courtes séquences super-déformées.

Le tome se conclut au milieu d’une scène d’action où Kei est enlevée et où les héros partent à sa poursuite. C’est musclé.

Jim

Le tome 5 s’ouvre sur la fin de la course-poursuite visant à récupérer Rei. C’est du lourd, ça bouge bien, même si certains enchaînements restent parfois un peu confus.

Mais l’intrigue connaît un certain ralentissement. L’action va se déplacer sur Terre, à l’occasion d’un voyage rassemblant les « gentils » de la série. Mais Utatane en profite pour remettre un peu de son humour grivois et beaucoup de ses cases « super-déformées », avec tout un arsenal de sous-entendus sexuels (enfin, « sous-entendus », hein…).

C’est toujours agréable à regarder, mais l’élan pris lors des tomes 3 et 4 semble retomber, et l’intrigue se diluer dans des séquences humoristiques.

Jim

Le tome 6 nous permet de retrouver nos héros dans le vaisseau qui les conduit de la Lune à la Terre. La situation est tendue, toutes les capsules de sauvetage ont été larguées, et ils sont poursuivis par les alliés du professeur Heinemann, qui comprend que ses choix ne sont peut-être pas les plus judicieux.

Ça bastonne, ça tire dans tous les sens. Utatane limite ses séquences « super-déformées » (même si, à mon goût, il y en a déjà trop), et certaines de ses séquences ne sont pas claires (l’arrivée de Lein dans la fusillade n’est absolument pas limpide et il semble tomber dans l’action comme un cheveu sur la soupe). L’auteur renoue avec ses petites obsessions sexuelles, qui elles aussi semblent de trop.

Dans le même temps, Apep s’interroge sur les pouvoirs naissants de Sunao. Tant mieux, parce qu’il n’est pas le seul : depuis l’expression explosive de capacités qu’il n’est pas censé avoir, on s’interroge, on attend que ça se manifeste. Le jeune héros est relégué en arrière-plan, tant l’enquêtrice demeure le personnage principal. C’est pas mal d’avoir cette logique de renversement des valeurs, mais ce n’est pas très habile.

Jim

Je débute la relecture du manga. J’apprécie beaucoup ce mélange de SF, de géopolitique et d’action. Dommage que Pika n’ait jamais publié les deux derniers tomes (même si j’imagine bien que c’est parce que le manga n’avait pas rencontré le succès espéré par l’éditeur).

Oui, il y a une dizaine d’années, Pika disait ça :

Mais Dark Crimson et Seraphic Feather sont deux séries assez datées, et sortir les derniers tomes maintenant, alors que les précédents sont quasi-introuvables, nous paraît donc risqué. Nous préférons concentrer nos recherches sur des titres pour adultes plus en adéquation avec les goûts actuels des lecteurs français.

Effectivement, c’est dommage d’arrêter à deux tomes de la fin japonaise, cela dit…

Jim

Je trouve aussi. Sachant que le succès de certains mangas aurait pu permettre d’équilibrer les ventes. Mais je comprends que vendre à perte est une très mauvaise chose. Mais je me dis qu’ils auraient pu tenter le coup avec un petit tirage pour Seraphic Feather. En fonction des ventes des précédents tomes. Après on peut les remercier d’avoir repris l’édition de ce manga à la suite de Manga Player. Mais ne jamais avoir la fin est un poil ennuyant. J’avais trouvé le dernier tome en allemand. Mais comme je ne parle pas un mot de la langue de Goethe (que je lis en français, du coup)… .

Je vais bientôt lire le dernier tome en français, je saurai alors à quel point le suspense est supportable ou pas…

Jim

Supportable, il est. :wink: C’est juste mon côté complétiste qui n’apprécie pas trop d’avoir des trous dans sa collection. :smiley:

Le septième tome est une vaste course-poursuite mâtinée de baston dans le vaisseau en perdition. Ça cartonne dans tous les sens, avec des enchaînements pas toujours clairs, mais un dessin vigoureux qui rend très bien les actions (y a un mexican stand-off de première qualité, à un moment).

Après, les enjeux n’évoluent pas : on reprend l’idée d’un crash sur l’ascenseur spatial, déjà évoqué précédemment, et la menace du missile se précise à la fin du tome. Ça s’agite donc, mais ça n’avance pas des masses.
Le « méchant », Apep, est singulièrement absent. Un enjeu secondaire, le contrôle inexplicable des sentinelles extraterrestres, est évoqué à travers quelques dialogues. D’ailleurs, le tome est ponctué d’une flopée de points d’interrogation qui témoigne de la manière de gérer le suspense, un peu artificielle.

Pour ma part, je ne sais pas trop si je vais réellement me mettre en quête des deux numéros qui me manquent. Surtout pour obtenir une série de toute façon incomplète. La lecture n’est pas assez satisfaisante pour cela, à mes yeux. C’est bien, mais souvent bancal, incomplet, imprécis. Je sens que ça va finir en cadeau, ou dans une boîte à livres…

Jim