SILVER SURFER : L'INTÉGRALE 1966-1988

Pareil que le Doc, j’adore : visuellement, ça tabasse à un point incroyable. Buscema enchaîne les tours de force, l’épisode avec Thor est magistral, proprement. J’aime beaucoup celui avec Mephisto, et celui avec le Stranger et Al Harper.
Alors ouais, c’est grandiloquent, ouais, c’est pétri de bons sentiments, mais déjà, c’est en accord avec le personnage (noble, chevaleresque et naïf) et ensuite, cela fait écho avec la note d’intention de la série, consistant à aborder des sujets différents, à évoquer une sorte de dimension philosophique du genre super-héros, en se penchant sur la condition humaine vu par un extraterrestre issu d’une société utopique (à ce sujet, il convient de rappeler que Mar-Vell tient des propos comparables dans le fond au sein de sa série, dont les premiers épisodes sont chapeautés par Lee, mais très différents dans la forme, l’une des raisons en étant qu’il est issu d’une société martiale assez opposée à celle des Zenn-laviens). Donc ouais, l’enjeu, ici, c’est de pousser le bouchon plus loin, mais en restant dans la lignée des « grands opprimés » ou « grands incompris » que sont Peter Parker ou Ben Grimm, qui servent de révélateurs aux travers de la société. Cela ne va pas sans maladresse : quand Lee parle du fait que les humains font la guerre au nom de leur drapeau, il ne montre pas Washington ou le Pentagone, il montre (de mémoire) la Chine communiste. Mais l’idée, c’est ça, c’est « pourquoi nous battons-nous, mes frères ? » Moi qui suis en train de (re-)lire des séries franco-belges des années 1970, ça ne me semble pas plus con que L’Indien français, par exemple (ou d’autres trucs).
Remettons aussi cela dans le contexte : nous sommes en 1968 (je crois), les comics n’ont pas encore assimilé les évolutions de la société (on a quelques manifs dans Amazing Spider-Man mais pas encore dans Iron-Man, je dirais). En revanche, le lectorat a un brin vieilli, Lee s’est rendu compte que les étudiants s’intéressent à ses personnages, et le héros argenté répond aussi aux préoccupations de la jeunesse, puisqu’il s’interroge sur le bien-fondé de la société et de ses choix : il y a une fibre un brin hippy, mais aussi écolo et pacifiste, qui fait écho aux inquiétudes (et propositions) de l’époque. D’une certaine manière, l’enquiquineur d’argent qui vient faire la morale en pleurnichant, se montre plus subversif que les autres héros, qui, de leur côté, demeurent des garants de l’ordre établi, même s’ils ruent parfois dans les brancards. Même Hulk, qui est le « ultimate hobo » de l’époque, n’occupe pas la même fonction de révélateur des choses qui clochent. En cela, le Surfer version Lee et Buscema occupe une place à part, qui me semble à la fois novatrice et visionnaire. Le style ampoulé fait que ça peut avoir mal vieilli (personnellement, j’y suis toujours autant sensible : j’aime ce côté théâtral), mais ma foi, quelques quatre cinq ans plus tard, quand O’Neil et Adams viendront parler de sujets tels que la drogue, le racisme, l’expropriation ou le féminisme, ils ne feront pas preuve d’une subtilité plus grande, et quand ils commettront des maladresses, ça sera encore plus frappant que chez Lee. Les deux prestations ont vieilli, c’est certain, mais il faut faire l’effort de les regarder avec leur contexte : tant sur la forme que sur le fond, ce sont deux percées vers un mode d’expression sinon plus adulte, du moins plus ambitieux que ce à quoi le genre habituait ses lecteurs à l’époque. Ce ne sont pas les seuls, loin de là, mais ce sont deux rendez-vous incontournables dans l’histoire.

Jim

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