SPEED RACER : LES WACHOWSKI À LA LUMIÈRE DE LA VITESSE (Julien Abadie)

L’histoire de la pop culture est aussi celle du XXe siècle, du progrès qui l’accompagne et des bouleversements sociaux qui en découlent. Une histoire du changement en accéléré, qu’aucune oeuvre mieux que celle des soeurs Wachowski, de Matrix à Sense8, n’a mieux représenté dans une série de films mutants et militants dont Speed Racer fût l’apothéose plastique sidérante. Partant de ce chef d’oeuvre emblématique des années 2000, véritable blockbuster cubiste caché dans un divertissement pour enfants, Julien Abadie plonge dans l’histoire de notre modernité pour explorer comment, à travers son évolution technique et les grands mouvements artistiques qui l’ont jalonnée, les Wachowski ont façonné leur vision et philosophie d’un humanisme trans-. Littérature, cinéma, peinture, animation japonaise, jeu vidéo, mais aussi révolution industrielle et numérique éclairent ainsi d’une lumière inédite une oeuvre queer et obsédée par la vitesse. Un ouvrage pop majeur et un puissant manifeste pour comprendre autrement les enjeux identitaires de notre temps.

LE LIVRE :

Pourquoi ce livre ?

Dans la continuité de notre livre Jim Carrey : L’Amérique démasquée, Speed Racer est un essai ayant pour objectif de poser un autre regard sur le monde à partir du cinéma, et en particulier ici à travers l’oeuvre des soeurs Wachowski qui, depuis plus de vingt ans, nous accompagne en ne cessant d’anticiper ou de faire écho à notre époque. Il ne s’adresse pas qu’aux amateurs érudits des réalisatrices de Matrix, mais à tous ceux curieux de découvrir un point de vue original à partir d’une oeuvre visionnaire où cohabitent l’ambition esthétique et militante comme nulle part ailleurs dans l’histoire du cinéma.

Et quelle est son originalité ?

Partant de la filmographie de Lana & Lily Wachowski : Bound, Cloud Atlas, Sense8, la trilogie Matrix, pour se focaliser sur Speed Racer, ce livre est à l’image de ses autrices. Il est transversal, inspiré, surprenant et mené à un rythme trépidant au style maitrisé. Elaboré tel un voyage à travers l’histoire du XXème siècle, il prend la forme d’un parcours passant par plusieurs moments clés de la pop culture, de l’histoire de l’art, et de l’Histoire tout court, pour montrer comment l’oeuvre des premières cinéastes transgenres prend appui sur des références multiples, et surtout sur une longue histoire de l’accélération qui démarre avec la révolution industrielle, lorsque apparait un nouveau rapport à l’espace et au temps. C’est à travers ce prisme que Julien Abadie propose un ouvrage passionnant et solidement argumenté sur les Wachowski, mais aussi un authentique manifeste mettant en lien la transidentité des cinéastes avec la vitesse.

L’AUTEUR :

Journaliste et critique multi-tâches, Julien Abadie a écrit aussi bien sur le cinéma, le jeu vidéo que l’équitation, la bombe atomique et les micro- brasseries. Il a collaboré avec différents médias tels que Chronic’art, Slate, Climax, Virus, Games Magazine, Vertigo, Carbone, Les Affaires ou encore Voir au Québec. Quittant Paris pour Montréal en 2012 après avoir mis en place la nouvelle stratégie en ligne du groupe Equidia, il se lance dans une nouvelle carrière de spécialiste numérique et d’analyste, avant de retrouver son premier amour, la presse, en prenant la direction de la revue Vies des Arts. Il a aussi collaboré à l’ouvrage collectif Paul Verhoeven: Total Spectacle (Playlist Society), ainsi qu’à un essai à paraitre sur le cinéaste John McTiernan chez Aedon. Speed Racer : Les Wachowski à la lumière de la vitesse est son premier livre.

2 « J'aime »

Euh, du coup, Julien Abadie est en fait plusieurs femmes ?

Je ne pense pas qu’elles soient les premières.
En revanche, les frères Wachowski étaient si connus que leur transition n’est pas passée inaperçue.

Ah, concernant le bouquin, j’aime bien la couverture, qui reprend l’illustration d’une boîte de maquette, qui sent bon la fin des années 60 :

Tori.

Mais dit comme ça, personne ne me vient à l’esprit.

Jim

Leurs transitions datent de 2012 et 2016…
Il doit bien y avoir des noms avant (même dans le cinéma « mainstream », parce que dans le porno, il doit y en avoir quelques-uns aussi).

Tori.

Hé bien j’ai pas l’impression en fait mais faudrait que je me renseigne. J’imagine que les collègues du festival Désir, désirs pourraient me donner plein de noms.

Là j’ai que Yance Ford qui me vient en tête et c’est un réalisateur. Je ne serais pas étonné que Lana et Lily soient bien les premières cinéastes transgenres en dehors du porno

Quelle différence tu fais entre un cinéaste et un réalisateur ?

Sinon, comme nom, je suis tombé sur Andrea James, entre autres.

Tori.

Aucune. Par contre j’en fais une entre un réalisateur et une réalisatrice

Ah, OK.

Tori.
PS : Ce qui est certain, concernant les Wachowski, c’est que leur transition s’est effectuée au cours de leur carrière et alors que celle-ci était déjà marquée par le succès.

C’est aussi ce que je me disais.

Je viens de le prendre chez ma libraire. Le livre est un objet étrange : la couverture est double, l’illustration étant imprimée sur une première couverture au rabat plus court, dévoilant le titre que l’on voit sur l’image, lui-même imprimé sur une couverture plus légère (qui n’est en fait qu’une feuille collée entre la couverture et le premier cahier). Ce qui implique un façonnage à la fois compliqué et onéreux.
Et certains textes sont imprimés non en noir, mais… en orange : les préfaces, les notes… Quel bizarre objet.

Speed Racer: Les Wachowski à la lumière de la vitesse

  • Éditeur ‏ : ‎ Façonnage éditions; Illustrated édition (17 juin 2021)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Broché ‏ : ‎ 243 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2364810612
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2364810617
  • Poids de l’article ‏ : ‎ 280 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 13 x 1.6 x 19.5 cm

Je vais me plonger dedans sous peu, j’en ai bien l’impression : c’est très tentant.

Jim

Diable, c’est bien vendu ça! Je vais forcément me laisser tenter…
T’as négocié un pourcentage Jim? :grin:

Donc, j’ai commencé à le lire. C’est très bien écrit : élégant, fluide, compréhensible, mais avec une richesse de vocabulaire et une variété dans les tournures qui rendent l’ensemble à la fois accessible et exigeant.
Ensuite, l’articulation du livre s’organise autour d’une perspective historique, convoquant à la fois les sources et les influences des Wachowski. On commence par une explication technique des travaux photographiques de Muybridge, afin d’éclairer le « bullet time », puis on passe aux conséquences de ces travaux sur les autres domaines, que ce soit la physiologie, la peinture, mais aussi la physique ou la philosophie (le rapport au temps).
L’auteur passe par plusieurs étapes de (pour faire large) l’histoire des idées. Le passage évoquant la réflexion sur le temps et la polémique entre Bergson et Einstein, je l’ai quand même lu trois fois, hein. Et sans cesse, le texte établit un va-et-vient entre ces précédents et le travail des Wachowski. Il y a un très chouette chapitre consacré au cubisme et au futurisme, dont le but est de démontrer que si le deuxième se veut l’art de la vitesse (et de la modernité), le premier traduit mieux la vitesse en ceci qu’il explose l’espace-temps. Je le dis mal, moins bien que l’auteur en tout cas, mais c’est assez étourdissant.
Bref, c’est brillant. Mais l’écueil à cela (au bout d’une centaine de pages), c’est que le bouquin parle davantage des idées, des ambitions et de la culture des Wachowski que de leur cinéma. Si l’on exagérait, on pourrait dire que ça cause de tout, mais pas des films. Ce serait exagéré, puisque le va-et-vient évoqué plus haut conduit à mettre en avant certains effets dans les films, mais il est clair qu’à mesure que l’on s’enfonce dans la jungle des idées, on s’éloigne du corpus central. Une sorte d’effet pervers de l’argument d’autorité qui sous-tend le livre.
Le vrai point noir (ou plutôt orange) c’est le parti pris de l’encre orange fluo. Notamment pour les notes. C’est vraiment très désagréable à lire, et moi qui suis pourtant amateur de notes dans les essais, je me rends compte que je les zappe volontiers. Ce qui est dommage parce qu’elles sont de qualité.

Jim

Bon, sortir d’une grosse période de boulot et retrouver un peu de temps permet de faire certaines choses… genre finir les bouquins déjà entamés. C’est ce que je fais avec ce Speed Racer.

Et là, aux alentours des pages 158 à 171, une douzaine de pages s’interroge sur la définition à apporter au film. S’il peut être qualifié de « pop », qu’est-ce que cela implique ? Dans une volonté de bien distinguer « pop art » et « pop culture » (et poussant le lecteur à choisir son camp, camarade : le sien n’est clairement pas le mien…), Abadie s’interroge sur la fiction pop (tout en appelant ça la « culture pop » : il réduit son champ sans le dire) qui, à l’en croire, se mort la queue, se répète. Il confond un peu les choix formels et les choix narratifs, sans doute volontairement, mais il pose une question intéressante, à savoir celle de l’inévitable citation au sein de la culture pop, qui conduit à la répétition ou à la déclinaison. Et il postule que la culture pop ne veut pas finir car elle a peur de sa fin, donc elle se répète.

J’ai bien entendu immanquablement pensé à l’analyse du « à suivre » menée par n.n.nemo. Le propos d’Abadie me semble à la fois plus radical et plus critique (au sens méchant du terme), mais j’ai trouvé ça intéressant (même si orienté).

D’autant que ces pages contiennent une réhabilitation courageuse et enthousiaste du Hulk d’Ang Lee. Je trouve pour ma part que c’est un excellent film, même si je ne partage les raisons d’aimer qu’exprime Abadie.

Jim

Lu hier un passage assez intéressant comparant la décomposition du mouvement et du temps dans le cadre du travail expérimental de Muybridge avec la décomposition du temps et du mouvement dans la théorie du travail par Taylor et Gilbreth. Saisissant.

Jim

Je l’ai fini récemment (ce qui m’a permis de le ranger dans une étagère cinéma où il restait encore de la place, et de faire un peu baisser la pile), et c’est quand même pas mal. Quelques fulgurances brillantes, quelques passages fumeux, mais globalement, super bouquin, très riche, très dense.
En revanche, les choix de maquette, et notamment cet orange fluo pour les notes, c’est proprement illisible. Ça casse les yeux.

Jim