SPIDER-MAN : LA DERNIÈRE CHASSE DE KRAVEN (DeMatteis / Zeck)

Ah fichtre, ce matin, j’ai commencé à répondre à ce post, et paf, coupure d’internet. Avec l’ordi qui s’éteint et tout. J’ai absolument pas compris ce qui s’est passé, j’ai fait trois fois toutes les vérifs et j’ai absolument pas compris comment j’ai récupéré la connexion, mais voilà, c’est revenu.
Donc je re-réponds.
Je vais le poster tout de suite comme ça, et je vais l’éditer ensuite, des fois que ça recommence…

Voilà un argument que je ne comprendrais jamais. Celui de l’actualité.
Ne le prends pas mal, ce n’est pas une critique, mais plutôt une constatation sous forme interrogative (prends-le plutôt comme un grommellement d’un vieux ronchon). Mais je pense que l’argument du « c’est ancien, donc faut avancer avec prudence » n’est pas un bon argument (pas plus que « c*'est ancien, donc c’est mieux* »). Aborder un truc avec l’idée que ça ne date pas d’hier consiste à sortir le truc en question de tout contexte et de toute histoire, à nier toute possibilité de comparaison, voire de lecture et d’analyse. Et à oublier que la création est une suite d’influences qui s’étale dans le temps (et dans l’espace…). Un a priori, qu’il soit négatif (« ouhlà, 1987, le dessin va être mou ») ou positif (« ouhlà, 1987, du temps où l’on faisait de bons comics »), est toujours néfaste à la lecture et au commentaire, je crois.
D’autant que 1987, sérieux, c’est pas loin.
Selon moi, un bon récit, que ce soit un bon film, un bon roman, une bonne série ou une bonne BD, est atemporel. Ça reste un bon récit. Ce qui vieillit, c’est peut-être la manière de faire, et encore. Je crois sincèrement que « Master Race » de Bernie Krigstein ou « Raving Maniac » de Stan Lee et Joe Maneely, qui datent tous deux de la première moitié des années 1950, ont nettement moins vieilli que WildC.A.T.s #1 ou Youngblood #1, qui doivent à peine avoir vingt ans. Parce que les récits de Krigstein et Maneely ne correspondent pas à des effets de mode, mais se penchent surtout sur la manière de raconter. La narration est toujours d’actualité, et le sujet est toujours d’actualité.

J’ai revu récemment Planète Interdite, qui date de 1957. Ça faisait genre bien vingt ans que je ne l’avais pas vu. Je me souvenais de l’histoire, assez brillante, ingénieuse et roublarde, mais on peut imaginer que mon esprit l’avait sublimée, rendue meilleure qu’elle n’est. J’ai donc revu le film, et, sérieux, il n’a pas vieilli. Ce qui a vieilli, c’est les costumes (et encore), quelques décors (mais la plupart ont laissé une trace indélébile : le puits central, on le trouve dans Nova chez Marvel, dans Star Wars…), et peut-être une vision positiviste du voyage spatial, mais autrement, c’est bourré d’idées (le vaisseau représenté dans un pendule situé au centre du cockpit, pour restituer sa position dans l’espace, c’est astucieux en diable), les effets spéciaux sont de premier ordre (l’être d’énergie, les traces de pas de la créature invisible, les rayons, les volets qui se ferment…), le filmage est calme mais sait jouer sur la tension et sur la suggestion… Bref, c’est une merveille. Et l’écriture est également épatante : on navigue entre mystère, drame, tension familiale, comédie et romance, tout en faisant monter le suspense. Les deux scènes du tigre sont là pour montrer que l’équipage est de moins en moins à l’aise, qu’il y a une angoisse qui s’installe. Rien n’est dit explicitement, c’est sous-entendu, et les personnages se définissent par leurs actions. C’est particulièrement bien écrit, et c’est une leçon que devraient réviser bien des dialoguistes.
Alors oui, c’est pas d’actualité, et oui, on a fait plus fort en termes d’image depuis. Mais sans Planète Interdite, par exemple, on a tout un pan du space opéra cinéma qui ne serait pas là : 2001 pour la vision calme et posée de la conquête spatiale, Star Wars pour le rapport à la vie robotique, Silent Running pour le rapport à la vie et aux civilisations perdues…

Voilà, j’ai fini mon grommellement de vieux ronchon.
Tout ça pour dire que l’argument de la date de sortie ne devrait jamais être utilisé, sauf pour signifier une importance historique, une filiation, une parenté. Mais jamais dans une perspective de prévention ou de louange.
Je sais que ce n’était pas le cas, mais j’ai profité de l’occasion pour revenir sur le sujet.
Et bien au contraire, j’incite tout le monde à découvrir les vieilles œuvres (même si 1987, c’est pas « vieux »), que ce soit en comics, en manga, en cinéma, en littérature… Regardez et lisez des trucs qui datent d’avant 1970. C’est toujours très éclairant, et souvent bien savoureux.

[quote=« Jeje-99 »] Il réussit dans ce volume à rendre Kraven humain au travers des différents tourments de sa personnalité et son
obsession pour Spiderman. Le personnage est rendu plus adulte et évolue dans un environnement sombre et dramatique, ce qui nous permet de découvrir un tout autre aspect du personnage.[/quote]

C’est l’un des trucs qui me fascinent à chaque fois que je le relis (j’ai une édition italienne, une édition française, va falloir que je me décide à avoir une édition américaine, quand même, pour avoir le texte d’origine). C’est cette plongée dans l’esprit des personnages. La gestion des voix off est formidable. J’ai lu l’histoire en VO avant la sortie chez Comics USA, et cette réplique, « they said my mother was insane » est restée gravée.
Ce qui est impressionnant dans Kraven’s Last Hunt, c’est que tout est à sa place. Chaque case est pertinente, et sert le propos, y a pas une case en trop ni une case qui manque. Chaque cadrage est judicieux, chaque texte est pesé. La voix off, avec sa déconstruction, restitue le flot de pensée, un peu comme chez Miller. D’ailleurs, j’aurais tendance à penser que Kraven’s Last Hunt est un des moments où DeMatteis fait plus fort que Miller. Peut-être le seul moment.
DeMatteis avait commencé à travailler là-dessus notamment sur Captain America, mais il passait encore par des bulles. Là, il passe par des récitatifs, procédé qu’il retrouvera notamment sur Spectacular Spider-Man, mais pas avec le même bonheur (mais ses épisodes sont trèèèèès bons aussi).
Là, DeMatteis, comme Miller à la même époque, trouvent un équivalent BD au flot de pensée, ce fameux « courant de conscience » qu’on trouve chez James Joyce, voire chez Virginia Woolf. À savoir des pensées décousues, des phrases pas finies, des collages qui font sens ensemble en s’émancipant de la construction classique des phrases. Le lettreur (comme j’ai pas la VO sous la main, je sais toujours pas qui c’est, le lettreur US, mais ça tabasse) restitue ça de manière formidable, notamment en plaçant des récitatifs de biais, comme pour montrer que la pensée, la conscience, s’effondre, tombe en morceaux. Un procédé qu’il a repris dans Spectacular Spider-Man et Daredevil, mais que Miller et Sienkiewicz avaient exploré aussi dans Elektra Assassin.
Rien que ça, ça donne à l’ensemble une qualité d’écriture purement BD qui est extrêmement rare.

Oui, un choc à l’époque.
Et vraiment, du coup, une vraie plongée dans l’esprit des deux personnages principaux.

Zeck, j’ai du mal à le trouver « old school ». Son dessin est puissant et évocateur, ses décors sont travaillés, ses personnages très expressifs. Les cadrages sont soignés.
Et Zeck, il a grosso modo le même style depuis 1980 : bien la preuve qu’il n’est pas daté !
:wink:

Alors justement, je me méfie.
Entre la colo de l’époque (celle de 1987, donc) et la colo de certains TPB (en gros, ça ressemble à la colo de la couverture qui a été postée ici), ce n’est pas la même chose. Par exemple, l’édition italienne que j’ai, c’est de la colo refaite, avec son cortège d’effets un peu tape-à-l’œil. C’est pour cela que je voudrais prendre un TPB américain : pour avoir le texte de DeMatteis, mais aussi, pourquoi pas, pour avoir une colo plus sobre. Mais je sens que pour avoir cette colo, va falloir que je retrouve l’édition Comics USA, qui reprend la colo sobre (mais tramée) de 1987.
Ceci dit, je n’ai pas vu cette édition Panini : si ça se trouve, elle a une colo sobre. Mais je ne crois, sérieux.
C’est toujours ce qui m’a refroidi de prendre le TBP, ces couleurs refaites. Que, pour le coup, je trouve plus datées que le dessin de Zeck lui-même.

Je crois qu’il n’y a pas de « style visuel de l’époque ». Surtout chez Zeck, qui n’avait quand même pas le look des dessins populaires de l’époque. C’était pas John Byrne quand Byrne était au sommet, et c’était pas Silvestri quand Silvestri était une vedette. Même s’il a des qualités de chacun.
Qui plus est, je ne crois pas à un « style d’époque ». Ça voudrait dire qu’à un moment M (ou un temps T ou une époque É, comme vous voulez), tout le monde dessine pareil. Et il y a tellement de disparité entre un Zeck, un Buscema, un Golden, un Adams, qu’il reste quand même difficile de les dates.
Ce qui se date, c’est les effets de mode. C’est Marvel demandant à ses dessinateurs de dessiner comme Neal Adams, comme Jack Kirby ou comme Rob Liefeld quand ces derniers étaient des stars. Rich Buckler imitant Kirby sur Fantastic Four, c’est effectivement plus daté que sur Deathlok.

C’est à mon sens l’un des sommets de toute l’histoire éditoriale de Spider-Man. Et DeMatteis et Zeck n’ont jamais été aussi bons. Ensemble ou séparément. Il y a un équilibre, une finesse dans l’analyse et dans le cadrage, qui en fait un truc presque parfait.
J’ai pour ma part longtemps pensé que Vermin était de trop, mais en fait, non : d’une part, il sert de déclencheur à plein de choses, d’autres part il permet à DeMatteis de travailler en profondeur sur la dimension totémique animale de la série. Des années avant JMS. Et en beaucoup mieux.
Non vraiment, c’est un chef-d’œuvre.

Jim