Je viens de relire un Spirou période Franquin, un tome que je connaissais très mal. Ouais, « relire » est un bien grand mot, mais je pense néanmoins que je l’ai parcouru il y a très très longtemps (dans une lointaine galaxie ?). Cette période, je ne l’ai pas en entier, et il m’arrive d’en dénicher ici et là. C’est le cas des Pirates du Silence, numéroté 10 dans la série centrale. Je l’avais sur une pile, dans le bureau, depuis un bout de temps, et il a été le prétexte d’une petite pause.
Par son intrigue, signée d’ailleurs Rosy, l’un des bâtisseurs de l’univers de Tif & Tondu, c’est un petit Franquin : Fantasio est mandaté par son journal pour faire une enquête sur Incognito-City, une ville moderne surveillée à outrance où vivent recluses des célébrités en tout genre. L’action débute alors que le Marsupilami se rue chez Spirou et que les deux héros sont incapables de contacter Champignac. En chemin, ils font quelques rencontres puis découvrent la ville en question, font à nouveau des rencontres, entrent et sortent, repartent et reviennent, dans une succession de péripéties qui donnent l’impression que les auteurs improvisent au fur et à mesure. Mais Rosy parvient à renouer tous ses fils d’intrigue, en racontant comment des pirates ont dérobé le gaz somnifère de Champignac afin de délester les habitants de leurs richesses (dans un intrigue qui préfigure un fameux épisode de Chapeau Melon et Bottes de Cuir, au passage).
Si l’intrigue est sympathique, la modernité de son cadre est épatante. Un ghetto de riche, que c’est visionnaire en 1958. Un journaliste en quête de scoop, toujours en train de chercher l’information, ça annonce aussi la précarité de certaines professions et la dictature de l’image. Le tout fait écho à la modernité graphique que déploie Franquin dans la série, avec sa fascination des carrosseries fuselées et des architectures modernes. Il y a dans les Spirou de Franquin comme un feu d’artifice de fulgurances futuristes qui tapent régulièrement juste, et pas simplement d’un point de vue esthétique : en matière de symbole, de société, c’est très novateur, voire avant-gardiste.
Le récit de complément (Les Pirates du Silence fait 46 planches, l’album est complété par une autre enquête du tandem, plus courte), confirme tout cela : cette fois, Fantasio doit essayer pendant trois jours un modèle révolutionnaire de voiture. Le récit s’ouvre sur une image montrant l’immeuble où est installé le concessionnaire, et tout respire la modernité, ces magnifiques designs des années 1950. Le dessinateur déploie sa passion pour les belles voitures. L’intrigue tournera autour d’une vaste escroquerie à l’assurance, avec en filigrane l’appétence du public pour le neuf, le clinquant, le technologique.
Signalons au passage que c’est le dessinateur Will (autre auteur attaché à Tif & Tondu, mais aussi à Isabelle, entre autres choses) qui signe les décors. Il sait jouer sur les contrastes, notamment quand il fait circuler les voitures dans des quartiers plus modestes, aux rues pavées et aux palissades barrant des terrains vagues (ah, la France de l’après-guerre). Son style est reconnaissable dans les affiches de cinéma ou de publicité qui habillent les décors, et où apparaissent de jolies femmes aux grands yeux noirs.
Jim