SPIROU & FANTASIO t.1-56 (Jijé, Franquin, Fournier, Cauvin, Tome, Morvan, Vehlmann… / Jijé, Franquin, Fournier, Nic, Janry, Munuera, Yoann…)

Je viens de relire un Spirou période Franquin, un tome que je connaissais très mal. Ouais, « relire » est un bien grand mot, mais je pense néanmoins que je l’ai parcouru il y a très très longtemps (dans une lointaine galaxie ?). Cette période, je ne l’ai pas en entier, et il m’arrive d’en dénicher ici et là. C’est le cas des Pirates du Silence, numéroté 10 dans la série centrale. Je l’avais sur une pile, dans le bureau, depuis un bout de temps, et il a été le prétexte d’une petite pause.

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Par son intrigue, signée d’ailleurs Rosy, l’un des bâtisseurs de l’univers de Tif & Tondu, c’est un petit Franquin : Fantasio est mandaté par son journal pour faire une enquête sur Incognito-City, une ville moderne surveillée à outrance où vivent recluses des célébrités en tout genre. L’action débute alors que le Marsupilami se rue chez Spirou et que les deux héros sont incapables de contacter Champignac. En chemin, ils font quelques rencontres puis découvrent la ville en question, font à nouveau des rencontres, entrent et sortent, repartent et reviennent, dans une succession de péripéties qui donnent l’impression que les auteurs improvisent au fur et à mesure. Mais Rosy parvient à renouer tous ses fils d’intrigue, en racontant comment des pirates ont dérobé le gaz somnifère de Champignac afin de délester les habitants de leurs richesses (dans un intrigue qui préfigure un fameux épisode de Chapeau Melon et Bottes de Cuir, au passage).

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Si l’intrigue est sympathique, la modernité de son cadre est épatante. Un ghetto de riche, que c’est visionnaire en 1958. Un journaliste en quête de scoop, toujours en train de chercher l’information, ça annonce aussi la précarité de certaines professions et la dictature de l’image. Le tout fait écho à la modernité graphique que déploie Franquin dans la série, avec sa fascination des carrosseries fuselées et des architectures modernes. Il y a dans les Spirou de Franquin comme un feu d’artifice de fulgurances futuristes qui tapent régulièrement juste, et pas simplement d’un point de vue esthétique : en matière de symbole, de société, c’est très novateur, voire avant-gardiste.

Le récit de complément (Les Pirates du Silence fait 46 planches, l’album est complété par une autre enquête du tandem, plus courte), confirme tout cela : cette fois, Fantasio doit essayer pendant trois jours un modèle révolutionnaire de voiture. Le récit s’ouvre sur une image montrant l’immeuble où est installé le concessionnaire, et tout respire la modernité, ces magnifiques designs des années 1950. Le dessinateur déploie sa passion pour les belles voitures. L’intrigue tournera autour d’une vaste escroquerie à l’assurance, avec en filigrane l’appétence du public pour le neuf, le clinquant, le technologique.
Signalons au passage que c’est le dessinateur Will (autre auteur attaché à Tif & Tondu, mais aussi à Isabelle, entre autres choses) qui signe les décors. Il sait jouer sur les contrastes, notamment quand il fait circuler les voitures dans des quartiers plus modestes, aux rues pavées et aux palissades barrant des terrains vagues (ah, la France de l’après-guerre). Son style est reconnaissable dans les affiches de cinéma ou de publicité qui habillent les décors, et où apparaissent de jolies femmes aux grands yeux noirs.

Jim

Un Spirou de Franquin, c’est toujours propice à une pause.

Même sur une (enfin deux) aventure aussi mineure, son génie se manifeste.

il y a même des gens qui ont écrit des trucs, là-dessus. À ces deux éléments, j’ajouterais le mobilier moderne, d’ailleurs.

Tori.

Oui, il y a un bouquin sur le sujet, qui me fait de l’œil depuis longtemps.

Ici, les personnages passent leur temps à courir en extérieur, ça se voit moins. Mais ça se sent déjà dans Modeste & Pompon.

Jim

Ah, tiens, une femme au scénario.
J’espère que son expérience dans le segment jeunesse ne va pas trop déplacer le curseur de Spirou vers des récits plus « simples ».
Enlever un peu de noirceur ne fera pas de mal, mais je n’ai pas envie de lire des récits trop enfantins.

Tori.

Depuis longtemps, j’avais Du Cidre pour les étoiles, l’un des tomes réalisés par Jean-Claude Fournier, dans une version souple (sans doute un « collection Pirate », j’ai la flemme de me lever et de vérifier). Alors oui, j’adore les vieux albums souples, je conserve mes Sammy et mes Tuniques Bleues d’époque, dans ce format à la fois léger et moins large, mais bon, en Spirou, j’ai surtout des cartonnés, donc j’ai profité récemment d’une descente dans une solderie pour reprendre celui-ci en cartonné, comme ses copains.

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L’intrigue est simple : en revenant à Champignac, Spirou et Fantasio se rendent compte que le calme village est cette fois-ci l’objet d’un couvre-feu serré avec barrages routiers et contrôle d’identité. Car, en effet, des phénomènes étranges paniquent les habitants et inquiètent les autorités, le maire en premier. Tous les regards se tournent vers Champignac, ce doux rêveur qui tourne, dans l’esprit des autochtones, au savant fou coupable de tous les mots dont on l’accuse.

Très vite, les deux héros découvrent que leur vieil ami n’est pas étranger à l’affaire : en effet, il accueille des extraterrestres qui se sont découvert une passion pour le cidre.
Et avant de le ranger, je l’ai relu. Une partie de l’intrigue tourne autour du fait que les visiteurs parlent sur une fréquence inaudible pour les humains (mais pas pour les animaux, qui hurlent à la mort, ce qui nourrit les inquiétudes campagnardes), raison pour laquelle Champignac a inventé des casques transmetteurs qui permettent de communiquer, mais bien entendu, les péripéties, nombreuses, vont empêcher les gens de se comprendre, comme de juste.

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Rajoutons à cela des espions qui rrroulent les rrrr, et on obtient un album dense, où tout le monde court dans tous les sens à la recherche d’une explication. Fournier s’amuse avec le petit monde de Champignac (le maire et ses discours sans queue ni fin, Dupilon l’ivrogne et sa vache folle…) et livre des planches dans la parfaite tradition de Marcinelle. Parfois, il lui arrive de consacrer beaucoup de place pour une grande case, ce qui l’oblige à conclure la planche avec une bande étroite, ce qui dénote une certaine maladresse, mais dans l’ensemble, il s’en tire assez bien. C’est dynamique, vif, amusant, plein d’action, il sépare Spirou et Fantasio afin de multiplier les décors et les rencontres. Parfois, les dialogues sont peut-être trop affectés, trop soignés. N’est pas Tillieux qui veut.

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On sent que l’auteur s’amuse. Son trait est vif, j’aime beaucoup la manière dont il dessine des sortes de pattes d’eph’ aux pantalons de Spirou, ce qui donne une allure élancée au personnage, le rapproche un peu des origines robveliennes, tout en créant un dynamisme visuel imparable. En reparcourant ce tome, j’ai eu la confirmation d’un sentiment que j’avais depuis longtemps, à savoir que, venant après Franquin, il est un peu dans l’ombre de ce dernier, et pourtant il ne démérite pas en matière de péripétie, d’action et de personnages sympathiques. Je crois que ce qui manquait à Fournier, c’était une certaine audace. Pourtant, il a tenté de projeter ses héros dans de nouvelles aventures en ne reluquant pas trop vers le patrimoine, là où Tome & Janry n’hésiteront pas à emprunter à Franquin (et consorts). Mais ces derniers avaient un talent évident pour donner de la vie aux personnages secondaires. C’est peut-être ça qui manque à Fournier, notamment dans cet album, où ses visiteurs de l’espace sont un peu interchangeables, malgré leur bouille sympathique.

Reste un album très agréable, que j’ai eu plaisir à relire. En le rangeant, je me suis aperçu qu’il arrivait juste avant l’Ankou, qui est peut-être le premier tome de la série que j’ai lu, tout gamin. Et ça me donne envie de m’y replonger.

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Oh, ça me donne envie de me plonger dans les intégrales de Spirou par Fournier… Sauf que je ne les ai pas (Ce sont les seules qu’il me manque, avec celle de Cauvin et Nic) !
Mais je sais que j’ai du cidre pour les étoiles (comme toi, je dois l’avoir en souple dans une édition « pirate », mais je crois que je l’ai également en cartonné).
Ça fait un moment que je ne l’ai pas relu, d’ailleurs (mais moins que la plupart des autres histoires par Fournier, qui sont celles que je connais le moins, je pense, en dehors de l’Ankou).

Tori.

L’ankou, ça a été une claque pour moi enfant à la bibliothèque. Le passage final avec la voiture dans les rochers.
Je sais pas pourquoi, ça m’a bluffé et ça me bluffe encore maintenant. L’impression de vitesse, de danger… Magnifique.

Ça me donne encore plus envie de le relire.
Alors que j’ai du boulot.

Jim

L’Ankou se passe essentiellement au « Guelhoat », anagramme du véritable Huelgoat, où se trouve vraiment la grotte d’Artus et ces grosses roches représentées dans l’album, qui forment des Chaos.
Il y a de chouettes petites boucles de randonnées à faire par là, allez-y vite !

Pour les albums de Nic et Cauvin, il faut passer. Je viens de les relire, c’est insipide, pas marrant, ça ne tient pas debout, les caractérisations sont farfelues, et après trois albums pourtant à suivre, l’histoire n’est pas achevée : on ne sait toujours pas qui est le boss des méchants, resté dans l’ombre.
Peut-être dû à un départ précipité de l’équipe créatrice ?
En tout cas, la tâche n’était pas aisée pour eux, avec l’interdiction de réutiliser les personnages secondaires, si je me souviens bien.
Mais ce n’est pas une raison pour ne pas clore une intrigue après trois albums, ce n’est pas un comics marvel !
(même si la politique récente de Dupuis tend - malheureusement - à s’en rapprocher)

Ah c’est vrai, trois albums. Bizarrement, ça me semblait plus long.

C’est sans doute lié au fait que j’en garde un souvenir peu convaincu.

Outre que Tome & Janry ont su réinventer le petit monde de Spirou dès leur reprise (à commencer par Champignac, puis Zorglub, puis Zantafio…), ils ont aussi profité du fait que la série était dans le creux de la vague juste avant eux.

Tu n’en sais pas plus ?

Jim

Ce sont mes souvenirs d’époque, dans des réponses du courrier des lecteurs du magazine Spirou lui-même, il me semble bien. Ou dans des articles d’alors, présentant cette nouvelle direction.

Il doit aussi exister une interview de Cauvin après son retrait de Spirou, où il compare les facilités accordées à Tome et Janry par rapport à la contrainte de repartir de zéro avec laquelle il avait dû composer, et la pression pour pondre du scénario en continu alors qu’il avait déjà plusieurs séries.

Je n’ai pas trouvé de traces très officielles en googlant rapidement.
un article ici, mais je ne sais pas qui se cache derrière le pseudo.

C’est globalement admis sur les forums sur Spirou, que ce choix a été imposé aux auteurs. Il ne semble pas y avoir débat, mais il n’y a pas de sources non plus :-/

Une version de l’histoire ici :
Il ne faut pas perdre de vue que l’arrivée de Nic Broca sur Spirou est le résultat d’une guerre entre le Rédacteur en Chef de l’époque Alain de Kuysshe, qui n’était pas pour retirer Spirou à Fournier, et José Dutillieu qui avait trouvé une oreille attentive auprès de Charles Dupuis en disant que par sa rapidité de travail, Broca saurai remettre du Spirou chaque semaine dans le journal. Or c’est ça qui ennuyait beaucoup Dupuis, qu’il n’y ait plus, comme du temps de Monsieur Franquin, du Spirou chaque semaine…
C’est d’ailleurs De Kuyssche qui s’est arrangé pour mettre Chaland et Tome et Janry dans les pattes de Nic Broca afin de mettre la pagaille dans le beau plan bien huilé de Dutillieu qui, ne l’oublions pas, était copain avec Broca puisqu’il travaillaient ensemble à Belvision. Sinon comment expliquer qu’on ait retiré Spirou à Fournier, un auteur de talent et aguerri, pour le refiler à Broca, qui n’avait jamais dessiné de BD à cette époque.

Ma chasse est un peu maigre, hein ?

Au contraire, je trouve ça intéressant. Parce que tu mets des liens qui nous replongent dans la soupe éditoriale autour de ce qui était déjà devenu une licence. Tu faisais un peu plus haut la comparaison avec Marvel, et même si le parallèle est évident depuis la période Morvan, je trouve qu’il fait également sens ici : des décisions arbitraires qui ne tiennent compte ni du talent des auteurs ni du goût des lecteurs, des exigences de productivité, des consignes aberrantes et contre-productives…

En tout cas, merci pour tout ça.

Jim

Je relève ce passage de la présentation de ce livre, dans lequel nous aurons je l’espère quelques éléments plus solides :

"Pendant dix années passées à Bruxelles, le jeune François Walthéry réalise bien entendu des albums qui marqueront plusieurs générations ( Natacha , Les Schtroumpfs , Benoît Brisefer , Johan et Pirlouit , etc.), mais il vit surtout avec quelques-uns des plus grands auteurs de l’époque. Non seulement, il travaille avec Peyo ( Les Schtroumpfs ), Derib ( Yakari ), Gos ( Le Scrameustache ), Roger Leloup ( Yoko Tsuno ) et Marc Wasterlain ( Docteur Poche ), mais toutes ses sorties se déroulent auprès des figures marquantes des Éditions Dupuis: Franquin ( Gaston et Spirou ), Will ( Tif et Tondu ), Roba ( Boule et Bill ), Tillieux ( Gil Jourdan ), Yvan Delporte et les autres.
Témoin privilégié de leurs soirées délurées, Walthéry revient en détails sur des moments importants, comme la création de Natacha ou le choix du repreneur de Spirou , ainsi les tours pendables que ces grands enfants se sont joués les uns aux autres.

Et avec les années, l’esprit facétieux de Walthéry ne l’a jamais quitté. Il a par la suite réalisé les 400 coups dans les festivals de bande dessinée, aux côtés de Cauvin et Lambil ( Les Tuniques bleues ), lorsqu’il ne réunissait pas tous ses confères à la Police de Liège pour apprendre à tirer avec de vrais revolvers sur des cibles qu’ils avaient peintes. Sans oublier ses aventures avec le chanteur Renaud, ainsi que d’autres hauts faits (et méfaits) haut en couleur!"

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Merci pour l’info.
Je vais en profiter pour créer un sujet dans la section correspondante.

Jim

Il y a quelques semaines, j’ai relu le très chouette diptyque de Fournier constitué de « Kodo le tyran » et « Des haricots partout ». Et vraiment, quel plaisir.

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Donc, Spirou et Fantasio décident d’aller découvrir le Çatung, un pays fermé, visiblement dominé par une dictature, et auquel les étrangers n’ont pas accès. La seule tâche de se rendre là-bas est déjà prétexte à de nombreuses aventures, à la description de personnages intéressants et amusants, et à une avalanche de péripéties qui n’empêchent pas l’auteur de glisser quelques allusions à la politique.

Mais c’est une fois qu’ils sont à l’intérieur que les choses deviennent frénétiques. En effet, Fournier recourt aux mécaniques du quiproquo et du vaudeville, avec confusion d’identités, parcours qui se croisent, trajectoires contradictoires et tout ça. C’est parfaitement huilé, bien rythmé, jusqu’au télescopage final (et explosif) qui permet de créer un cliffhanger et d’annoncer le deuxième volet de l’aventure. Mention spéciale à la petite tortue amoureuse de Spip, qui est toujours au bon endroit au bon moment.

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Le deuxième volet, donc, continue sur le même rythme, mais les héros commencent à prendre en main l’intrigue, plutôt que la subir. Fournier donne notamment beaucoup d’importance à Fantasio, qui est rusé, plein d’initiative, très courageux, sans perdre son sens de la dérision. Puis le tandem est réuni, Spirou trouve des alliés et passe à l’action. Côté humour, Fournier nous fait rencontrer des personnages dont les noms sont des jeux de mots qui font mouche.

Je me rends compte que ce diptyque marque la fin de la période Fournier. À la lumière de ce que nous disait @gb666, c’est d’autant plus dommage qu’il ait perdu la série, car il y faisait un chouette boulot, construisant des intrigues solides et distrayantes et tenant bien ses personnages.

Jim

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Tiens, j’ai envie de les relire, maintenant.

Tori.

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Le Spirou et Fantasio le plus adulte de la série, et assurément un de mes préférés. Tome et Janry signent là leur petit chef-d’œuvre, et on sent que tous leurs albums précédents ont mené à celui-ci. Dommage que les auteurs qui ont suivi n’aient pas gardé cette nouvelle ambiance pour la suite.

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Sans doute parce que je crois que cet album a été mal perçu par une partie des fans.