SUPERMAN & BATMAN : L'ÉTOFFE DES HÉROS (Gibbons / Rude)

Je reviens rapidement sur cette critique, dont je partage l’enthousiasme dans les grandes lignes (mes désaccords sont au niveau du détail, je dirais…).
Bon, moi, je suis nettement plus enthousiaste, pour plusieurs raisons, parmi lesquelles mon goût pour Steve Rude (dessinateur qui m’avait paru étrange les premières fois que j’ai vu son boulot, dans un Teen Titans je crois, mais que j’ai rapidement appris à aimer, parce que son trait m’évoquait parfois, et ici c’est le cas, le travail de Russ Manning, que je vénère depuis l’enfance), mais aussi le fait que j’ai découvert l’histoire dans la collection Comics USA de Glénat, chapeautée par Fershid Bharusha, à la fin des années 1980. C’était une période où DC n’était plus publié en France depuis deux-trois ans, et ce team-up était pour moi l’une des rares occasions de relire du DC, cette collection étant l’un des rares fournisseurs pour qui vivait en province (donc loin des rares comic shops de l’époque). Donc en plus des qualités intrinsèques, cette mini a une place particulière dans mon petit cœur sensible.

En dehors de ça, et pour éclairer un peu mes réactions, je précise que je ne l’ai pas relue depuis des années, et que j’écris ces quelques lignes sur les souvenirs que j’en garde…

Rappelons pour mémoire que cette série se situe globalement dans le DC reformaté de l’après Crisis on Infinite Earths, où Superman et Batman ne sont pas les meilleurs potes du monde. C’est pas très très ancré dans la continuité (difficile à situer précisément, pas tout à fait raccord), mais c’est dans ce contexte. Donc on a non seulement des héros qui sont opposés en tous points, mais qui en plus ne s’entendent pas.

C’est là que je trouve l’histoire (toujours avec mes souvenirs de lecture lointaine) fonctionne bien, en ce sens que la construction et le prétexte permettent de rompre avec plein de structures manichéennes de précédentes versions : Les deux héros représentent aussi deux formes d’héroïsme et deux rapports distincts à la justice et à la loi, donc ce n’est pas monoblocs. Luthor est présenté dans sa version « chef d’entreprise qui a pignon sur rue », et ça induit là encore un regard social différent. Et le Joker, lui, est capable de se retourner contre tout le monde. Le simple fait de jouer sur la lumière et l’obscurité et sur les deux figures de métropoles court-circuite pas mal de la « simplicité » supposée des personnages ou du genre.

Graphiquement, et notamment sur les couvertures, Rude s’inscrit dans la tradition des cartoons Superman des Frères Fleischer.

La corpulence et la silhouette des protagonistes, les palettes de couleurs et les effets de lumière viennent de là. Selon moi, c’est davantage vers les années 1940 (donc l’Âge d’Or) ainsi que vers une version qui a touché un grand public en dehors des pages des comics, que Rude se tourne.
Tu parles un peu plus loin, et à raison, d’un « retour aux sources », je crois qu’il est là, dans une volonté d’associer une esthétique Golden Age à une écriture et des préoccupations qui soient contemporaines (de l’époque de création, à savoir fin des années 1980).

Là où je ne te suivrais pas, c’est sur l’idée que les versions actuelles sont plus complexes que les versions précédentes. Sérieusement, je ne vois pas en quoi. Je trouve au contraire qu’il y a une sorte d’épaisseur de briques et de ton monocorde dans la période actuelle, qui se contente en général de tricoter autour d’un seul aspect des personnages. Pour Superman, aujourd’hui, c’est l’héritage kryptonien d’un héros un peu benêt et dépassé. Pour Batman, c’est l’obsession urbaine d’un justicier qui vit dans le passé. Le seul truc qui m’a semblé un tant soit peu complexe (il me semble que « complexe » ici a un sens de « richesse », dans la mesure où la richesse peut être variée et contradictoire, mais j’interprète peut-être de travers) ces derniers temps, c’est Tomasi qui, dans la foulée de Morrison, décide d’éclairer Batman par des petits instants positifs et souriants (regarder Zorro « en famille », célébrer le jour du mariage de ses parents et pas l’anniversaire de leur mort, commanditer un portrait de famille à un peintre…). Voilà, pour moi, ça, c’est complexe. Parce que c’est riche, presque contradictoire, pas facilement résumable ni rangeable dans une catégorie. Et de tels instants me semblent assez rares à notre époque.
Au contraire, je trouve les personnages des années 1980 tout à fait complexes, parce qu’affichant des opinions, des choix, des décisions et des sentiments qui ne sont pas toujours ceux que l’on pourrait attendre, qui ne répondent pas toujours à des schémas déjà énoncés en amont. On parlait récemment de la dernière page de Killing Joke : voilà, l’éclat de rire de Batman, ça, c’est complexe.
Pour ma part, et même si je veux bien admettre que je vais un peu vite en besogne et donne l’impression de tenir le discours du « c’était mieux avant », j’aurais tendance à dire que chaque période a sa complexité. Une chose est sûre, je ne défendrai jamais l’idée que les choses sont meilleures parce qu’elles sont récentes.

Il est clair que c’est un exercice de style (c’est aussi ce qui fait son caractère profondément indémodable : c’est un récit d’archétype). Ça peut désarçonner.

Si je suis d’accord avec la description que tu en fais (au début, on dirait qu’il n’y a rien, et puis on découvre des détails), je pense que Steve Rude s’inscrit directement dans la lignée de Russ Manning. Et Russ Manning, c’est Tarzan, Magnus Robot Fighter ou Captain Johner, soit années 1950 et 1960. Totalement Silver Age, quoi.

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Pour moi, l’Âge de Bronze chez DC, c’est Garcia-Lopez sur Superman et Don Newton sur Batman (dieu que c’est réducteur, tout de même, mais c’est un peu mes premières rencontre marquantes…), et donc une certaine forme de réalisme dans le rendu, dans les thèmes, dans l’atmosphère.
Loin de la stylisation cartoony que choisit Rude, me semble-t-il, écho à une certaine forme de naïveté graphique de l’Âge d’Or.

En tout cas, je suis ravi que, malgré les points négatifs (selon toi), tu sembles tout de même ravi par cette lecture. Moi, je ne peux que la conseiller. D’ailleurs, je note dans un coin de ma tête qu’il faut que je relise la VO. Et ta description des bonus me donne aussi bien envie, mazette…

Jim

pour faire simple: lisez le,c’est du tout bon!!!

Oui quand je parle de complexité, c’est effectivement dans le sens de richesse du personnage.

Je prends le cas d’un Batman où aujourd’hui juste savoir que c’est un justicier riche intelligent car ses parents ont été assassinés, ne suffit plus.
Il faut prendre en compte les conséquences de death in the family pour comprendre pourquoi il est très protecteur dans l’excès au point de s’isoler des autres, etc.

Autre cas avec Daredevil, où saisir tout le run de Bendis/Brubaker est essentiel pour tout saisir le Daredevil actuel

PS1 : Quoique légèrement moins utile plus le temps passe avec Waid
PS2 : d’ailleurs je n’ai toujours pas tour saisi.

Alors que je trouve que les récits des ages précédents étaient plus auto contenus se contentant plus de l’essence même du personnage, peut-être l’effet pervers de la décompression, ou l’effet série, je ne sais pas.

Jusqu’au jour où un scénariste reprendra le perso à sa sauce sans réellement se soucier de ce qui s’est passé avant.
C’est souvent le cas d’ailleurs, les persos fonctionnent par période. Le Daredevil de Miller n’a rien à voir avec ce qui avait été fait avant.
Et les personnages secondaires vont et viennent aussi.

Ca permet de mieux comprendre certains aspects du personnage, pour ceux qui le connaissent, mais ça ne rentre pas en ligne de compte pour la compréhension de l’histoire.

Partie emmergée de l’iceberg. Quand un scénariste reste longtemps sur une série, il a le temps de mettre en place plein de subplots et d’éléments qui surgiront bien plus tard. On a l’illusion que c’est auto-contenu, mais en fait pas forcément.

Voilà, tout à fait d’accord avec ce que dit Vik.

C’est tout à fait ça pour moi également ; L’Etoffe des Héros a plus de points communs avec l’Âge d’argent qu’avec l’Âge de bronze. Du moins dans mes souvenirs, je ne l’ai pas non plus relu récemment.

En te lisant je m’aperçois que ce que tu appelles complexité s’appelle chez moi continuité.
Alors certes en 2013 il s’est passé plus d’éventements qu’il ne s’en était passé en 1980. Mais ça a peu à voir avec la complexité d’un personnage.
En outre, le scénariste qui évoque une tranche du passé doit à mon avis évoquer cette tranche du passé d’une manière ou d’une autre afin que le lecteur d’aujourd’hui sache de quoi il retourne sans qu’il faille devoir lire 75 ans d’aventure. Et si ce n’est pas le cas, et que cette connaissance est indispensable, c’est un problème scénaristique.

C’est comme ça que je le comprenais aussi.
:wink:

Oui, mais non. Sérieusement, je n’en suis pas convaincu.
Par la nature même de la narration comics (Nemo nous reparlera de sa perception du « à suivre », par exemple), qui se remet à jour tous les cinq, dix ou vingt ans (plus ou moins discrètement, d’ailleurs…), il y a des événements qui comptent définitivement, qui font partie des « fondamentaux », et qui sont presque des « invariants », et d’autres événements qui font partie de la continuité, mais la continuité est appelée à être changeante, voire parfois à être annulée.
Pour ce qui est de Batman, je dirais qu’il y a dans ses fondamentaux deux choses fondatrices, qui sont ses origines (parents morts, découverte de la Batcave, voyages initiatiques en tous genres et création du costume, ces deux derniers étant soumis à des variations et des greffons à longueur de continuité - on découvre par exemple sans cesse de nouveaux mentors à Bruce, alors que l’effet de surprise est dissipé depuis longtemps…) et la mort du second Robin, qui renforce le thème de la culpabilité. Ce dernier point, d’ailleurs, est soumis à la continuité, puisque Jason est revenu sous une autre identité, grandi, tout ça… On aurait pu croire que le retour de Jason aurait soulagé Bruce, mais en fait, il n’en est rien, et les scénaristes continuent à travailler sur l’image du costume vide dans la vitrine, ou du souvenir du Joker avec son pied-de-biche. C’est un peu comme la scène du flinguage de Barbara dans Killing Joke : ses conséquences physiques et visuelles sont annulées, mais les scénaristes continuent à considérer l’événement comme dans la continuité, pour travailler sur la définition et la caractérisation des personnages.
Donc en soi, y a pas grand-chose de stable. De là, j’en conclus qu’on n’a pas tellement besoin de connaître ces « bases élargies », puisqu’elles sont mouvantes.
Qu’est-ce qu’il reste ? La qualité d’écriture, qui fait que le personnage peut être soumis à des tensions contradictoires qui le déchirent et le font réagir de façon riche, variée, surprenante, autant dire « complexe », comme on s’accorde à le définir.

Et puisque c’est la continuité qui fournit aux scénaristes de quoi alimenter dialogues et caractérisation, c’est elle qui fournit la « complexité » depuis longtemps. Je prendrais par exemple le cas de Green Arrow / Green Lantern, qui redéfinit les deux personnages pour le début des années 1970, et qui pose les bases de pas mal de trucs pour la suite. Mais a-t-on besoin de les avoir lus pour savourer les épisodes de Green Arrow par Grell, où le personnage s’engage dans le combat contre tous les trafics (en réponse aux épisodes où Speedy est drogué) ? Ou les Green Arrow de Judd Winick où Oliver se lance dans la politique (conclusion logique de son engagement dans les années 1970 ?
Je ne crois pas. Si c’est bien écrit, le scénariste parvient à éclairer ces « fondamentaux » ou cette « continuité » sans avoir besoin de la citer. Et même si les événements passés sont annulés, la construction des personnages en garde la trace et si le récit est bien troussé, la complexité apparaît même au nouveau lecteur de passage.

Je n’en suis pas sûr.
Déjà, je pense qu’une grosse partie de la continuité s’articule autour du run de Diggle.
Mais quoi qu’il en soit, je crois qu’on peut parfaitement lire les Daredevil de Waid sans connaître, ni même sans avoir entendu parler, de ses immédiats prédécesseurs. Que doit-on savoir ? Que tout le monde prend Matt pour Daredevil ? Waid s’en amuse à longueur d’épisode sur la première année du titre, et installe la nouvelle idylle sur ces bases. Que les autres héros se méfient de Daredevil ? Les tensions lors du cross-over avec Spider-Man et le Punisher sont là aussi pour l’énoncer.

Quant à Daredevil, l’exemple me semble intéressant : le personnage est complexe au moins depuis Frank Miller (soit : 1981, plein Âge de Bronze…), et encore, je crois que les épisodes de Conway et Colan, à San Francisco avec la Veuve Noire, développaient des tensions psychologiques assez tordues en plus d’un rapport à la loi déjà plus « souple », sans compter la période Shooter où le scénariste rapproche le héros de Batman (avec tout ce que ça implique sur la justice et la loi).

Je suis fermement partisan de l’idée énoncée par Stan Lee et défendue par Jim Shooter, selon laquelle « tout comic book est le premier comic book de quelqu’un ». Si c’est le cas, et si les scénaristes gardent ceci en tête, la complexité ne dépend plus de la connaissance que les lecteurs ont des aventures précédentes, mais de la qualité de l’écriture déployée dans les épisodes.

Avec l’environnement éditorial en arcs et en runs qui met en valeur le travail d’un scénariste indépendamment d’une quelconque numérotation, je ne crois pas que la complexité vienne de la continuité. Faut-il avoir lu les Captain America d’Ed Brubaker pour suivre, comprendre et savourer ceux de Rick Remender ? Faut-il même avoir lu ceux de Stern, de Kirby ou de DeMatteis dont Remender se réclame ? Je ne crois pas. En revanche, les thèmes abordés (la paternité, la justice, la famille, le devoir, mais aussi le rapport au corps…) font du personnage écrit par Remender un être complexe.
Les épisodes d’il y a trente ou quarante ans étaient souvent plus « auto-contenus », mais en revanche, ils s’articulaient sur la continuité de manière plus serrée. Les changements de scénaristes ne coïncidaient pas avec une remise à zéro du compteur. Par exemple, les épisodes de Nocenti sur Daredevil se greffent directement sur la fin de Born Again, même si la personnalité des deux runs est bien différente. Aujourd’hui, les choses sont mises en place (dans le meilleur des cas…) pour que le scénariste qui arrive dispose d’un tableau noir immaculé où le travail du scénariste qui part a été effacé (c’est le cas de Hickman sur Fantastic Four quand il est arrivé, puis quand il a été remplacé par Fraction…).
Tout cela me laisse dire que la connaissance des passages précédents n’est pas si important que cela pour un lecteur nouveau…

Jim

Qu’est-ce que tu n’a pas saisi ?

Sinon je ne suis pas d’accord et ca rejoint ce que dit Jim. Quand tu lis le run de Waid la seule information qui peut être essentiel c’est le fait que l’identité de Daredevil est une sorte de secret de polichinelle dans les médias (un peu comme l’homosexualité d’un acteur je dirais).

Et si c’est bon de le savoir il est inutile de lire le run de Bendis et Brubaker pour lire celui de Waid tout comme il était inutile de lire celui de Smith et Quesada pour lire celui de Bendis alors que ce dernier s’appuie pourtant sur l’assassinat de Karen Page pour expliquer l’attitude auto-destructrice de Murdock

Pour ceux qui découvre Steve Rude, voici la deuxième partie d’un dossier qui lui est consacré.

La première partie est toujours disponible ici, elles est plus axée sur Nexus, un personnage que **Rude **a co-créé avec Mike Baron, en supplément il y a un lien vers une vidéo concoctée par les tenancier de la librairie Arkham, dont le sujet est Nexus.

Bonne lecture, et bon visionnage !

Pour ceux qui voudraient avoir un aperçu du talent de Steve Rude sur son personnage Nexus, je propose une courte BD en français et en N&B à cette adresse Ici, je suis ailleurs. :wink:

Ma foi, tout ce qui est dit est non seulement fort intéressant mais aussi loin d’être faux, merci pour ces riches avis.

PS : intéressant ces articles mon cher Arti…chaud !
PS2 : (j’ai fait exprès de mettre un d pour ceux que je vois arrivé :wink: )

:confused:

Je ne connais pas le contenu du recueil d’Urban, mais permettez-moi de vous proposer quelques croquis de Steve Rude qui ont été inclus dans une des éditions U.S.

Je cherchais un truc pour rendre hommage à Richard Donner, l’un des rares Hommes qui m’aura fait aimer Superman. Et je me suis dit qu’avec un titre pareil, et de cette époque, je ne pouvais trouver mieux. Eh bien voilà que j’ai trouvé deux autres hommes qui m’auront fait aimer Superman (cela dit, dans l’intrigue, il est bien dilué avec Batou, Joker (le seul, le vrai, l’unique) et Luthor, ce qui a dû aider à faire passer la pilule, comme le chou fleur dans la béchamel, le gruyère et les patates).

Je ne sais pas ce que je n’ai pas aimé dans cette histoire. Les relations entre Batou et Sup, entre M. Wayne et Kent (appelés aussi les Martha’s Boys), entre le Joker et Luthor, les petits clins d’œils qui permettent d’agrandir artificiellement le casting, mais aussi de donner une ambiance, de délivrer des infos, les extraordinaires dessins de Rude, de son coup de crayon à sa mise en page, en passant par son storyelling (je pense que les premières pages sans paroles, c’est de l’association Gibbons/Rude dans la construction), ses petits détails dans des grandes scènes (j’ai cru voir un mec déguisé en Eros dans la scène de l’incendie) et sa manière de croquer Batman et Superman. Du bonheur en barre tout du long. Même si le scénar’ fleure bon le Batou à l’ancienne, y a comme un parfum d’un Batman TAS un peu plus coloré, avec ses quelques surprises. C’est un rayon de soleil sans niaiserie, avec son petit lot de tragédie (et parce que le crime ne paie pas).

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Ouais, je pense qu’ils avaient les Superman des Fleisher en tête. Surtout Rude. À l’ancienne, mais gracieux, et propice au rêve.

Jim