THE BLADE (Tsui Hark)

le pitch :

Dans un monde où règne la barbarie, Ding On, jeune forgeron d’une fabrique d’armes décide de partir à la recherche de l’assassin de son père après avoir appris les circonstances de la mort de ce dernier. Mais, peu de temps après, il perd un bras après avoir été attaqué par une bande de pillards. A la suite de cela, il met au point une nouvelle technique de combat au sabre pour pallier son handicap. Dans le même temps, les pillards s’attaquent à la fabrique d’armes. A leur tête, l’assassin de son père.

Mon avis :

Dire de The Blade qu’il est le meilleur film de sabre est il le surestimer ?

Je ne pense pas, Tsui Hark atteint avec ce film un tel degré de maîtrise tant sur le plan narratif qu’esthétique en faisant ainsi un film habité qui vous prend aux tripes pour ne jamais vous lâcher

Tsui Hark revisite ici le personnage.du guerrier manchot, héros de la littérature asiatique précédemment porté à l’écran par Chang Che avec sa trilogie du sabreur manchot.
Mais ici Tsui Hark ne se contente pas de faire un remake ou son interprétation de l’histoire de ce légendaire personnage.

Ainsi il se démarque du cadre historique de ce personnage : dans The Blade nous ne savons ni le lieu ni l’époque où cette histoire prend place. On se rapproche plutôt d’un monde à la Conan le Barbare ; nous sommes dans un monde sauvage livré à la sauvagerie de bandes de pillards, notre héros vivant dans un havre de paix qui, pourtant, est un des éléments de cette barbarie puisque c’est une fabrique d’armes.
Et alors que le légendaire personnage du sabreur manchot est à la base un guerrier, sa mutilation étant due à ce statut (dans la rage du Tigre, il s’automutile suite à une défaite) ; il est ici au contraire élevé loin des armes et souhaite ardemment la paix, sa mutilation intervenant dans une bataille qu’il n’aura pas voulu.
Tsui Hark fait donc de son sabreur manchot un martyre qui prendra les armes par la force du destin.

Pourtant Tsui hark ne renie pas les codes traditionnels du Wu Xia Pian : vengeance, honneur, famille, amour, haine… Tous sont bien présents dans The Blade. Mais alors qu’ils sont élevés au rang de vertu dans le film de sabre traditionnel, Tsui Hark en fait les causes de la barbarie de son monde : l’amour y est représenté sous le signe du viol, de la jalousie et de la prostitution ; la vengeance et l’honneur font sombrer dans la folie et la douleur, le combat est fait pour survivre…

The Blade est un film puissant, intense, violent (mais d’une violence crue, la mort ici n’est pas sublimée, ce qui pourra choquer certains) servie par une mise en scène exemplaire, l’action se situant aussi bien dans que hors champ, la caméra étant sans cesse en mouvement, s’arrêtant à peine sur les protagonistes, ce qui est au départ assez déstabilisant (puis on s’aperçoit de la force supplémentaire que cela apporte aux sentiments exprimés).
Cette puissance visuelle est renforcée par le choix des couleurs. Les couleurs sont sombres, saturées avec de nombreux effets d’ombres accentuant la violence de ce monde.
A ceci s’ajoutent des combats d’une intensité rarement atteinte : chorégraphiés avec classe et simplicité, ils ne sont pas montrés comme des ballets à la mortelle beauté. Ils répondent à la sauvagerie du monde par leur propre sauvagerie : on se bat ici pour survivre et non faire la démonstration de ses aptitudes. Le monde est violent et cruel, ils le sont donc tout autant.

Le film est en outre porté par ses acteurs qui sont avant tout des « gueules ». Leurs sentiments, et la violence de ces derniers, transparaissent sur leurs visages, rendant ainsi inutile les nombreux dialogues habituels.

Intensité des émotions, interprétation intense, violence visuelle… The Blade est un chef d’œuvre apocalyptique dont l’on ne sort pas indemne.

Le meilleur film de sabre ? … j’hésite avec La Rage du Tigre. Le meilleur film de Tsui Hark pour moi en tout cas.

Tiens, je n’avais pas vu qu’il y avait un sujet sur « The Blade », qui au petit jeu ridicule des « top lists » est probablement l’un de mes deux ou trois films préférés…

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Par grand chose à rajouter au post très complet de notre camarade ci-dessus. Je reste soufflé par la puissance cinématographique pure, et pourtant basée sur des moyens très simples (décadrages, placement original des éclairages, parfois en plein cadre…), de ce film surhumain (au sens propre), où si le héros est bel et bien un martyr, il n’est certainement pas une figure christique : il est littéralement une figure anti-christique. C’est toujours intéressant d’avoir l’éclairage d’un artiste oriental (non-chrétien je veux dire) sur la métaphysique chrétienne, ça donne souvent des variations intéressantes.

« The Blade » mélange intelligemment des éléments d’intrigue des premier et troisième volet de la saga initiée dans les années 60 (oubliant judicieusement le second volet, plus faible), avec ce décalage concernant les questions liées à la chevalerie (honneur, galanterie, etc…), jouissivement détournées. Un peu comme Sergio Leone qui passait l’Ouest américain au tamis de sa vision acide, réinjectant paradoxalement un regain de « réalisme » au western (alors qu’il tournait en Espagne).
Plus radicale encore est la mise en scène, totalement réinventée pour l’occasion. Le Wu Xia Pian semblait inextricablement lié aux chorégraphies câblées lisiblement shootées : voilà que Tsui Hark envoie balader tous les codes en vigueur, tournant caméra à l’épaule sans planifier les mouvements des acteurs (sans les communiquer au cadreur en tout cas ; d’où le rendu reportage de guerre, même si les mouvements d’appareil savent se faire virtuose et pas qu’un peu…), faisant improviser ses dialogues aux acteurs comme dans un Godard de la grande époque.
Plus fin découpeur encore qu’un Spielberg ou un Mann, aussi profond qu’un Antonioni ou un Argento dans son emploi des couleurs (qualité TRES rare), Hark ne vient pas de nulle part (n’importe qui ne peut pas avoir un brûlot comme « L’Enfer des Armes » ou un OVNI comme « Zu » dans sa filmo, à côté de perles mélo à tomber à la renverse comme « Shanghai Blues » ou « Peking Opera Blues » ; quel éclectisme !). Mais jamais il n’avait tutoyé de tels sommets.

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Il signe quatre ou cinq moments de bravoure inoubliables dans un film aussi chaotique que remarquablement homogène à sa façon (comme une longue expiration), au premier rang desquelles le combat final (une des plus grandes scènes d’action de tous les temps, tout simplement), ou la scène nocturne de la crucifixion « à l’envers ».
Mais ma préférence va à une scène moins impressionnante, mais pour moi proprement bouleversante. Etant tombé sur un manuel de lutte à moitié brûlé (lui étant manchot…), le héros s’entraîne en désespoir de cause, subissant échec sur échec. Mais au lieu de réussir en progressant petit à petit, c’est en un éclair, le temps d’une petit pause, qu’il acquiert subitement le savoir qui lui faisait défaut ; il suffit d’un instant de bascule (littérale dans le film) pour devenir un surhomme.

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Car à l’instar de la trilogie originelle, dont il inverse pourtant dans un geste radical les valeurs morales, ce héros blessé qui se caractérise (comme un Zatoïchi, comme un Daredevil) par ce qui lui manque (un bras) devient le parangon de l’héroïsme absolu, faisant de son handicap sa force (son « déséquilibre » est la source de sa vitesse), retournant sa tragédie à son avantage : et à la fin, malgré tout, il triomphe.
A ceux qui seraient insensibles à ce type d’envolée, on conseillera quand même le film, qui demeure une des expressions les plus ludiques qui soient d’une sorte de vitalisme philosophique dont le cinéma de Tsui Hark est une des plus belles expressions.
Chef-d’oeuvre ABSOLU.

Je conserve une préférence pour la rage du Tigre, mais oui, The Blade est un film fort, très fort.

J’aime beaucoup « La Rage du Tigre » aussi, qui est un film à la fois très subtil (le sous-texte sur l’homo-érotisme) et très puissant (le massacre de dizaines voire de centaines d’adversaires sur le pont à la fin, des décennies avant « Kill Bill Vol. 1 »). Mais je ne sais pas, je trouve « The Blade » tellement plus intense et fou…
Il n’y a pas tellement de comparaison possible.

Dans le genre curiosité, il y a aussi le très chouette « Zatoïchi contre le Sabreur manchot » (ce dernier étant interprété par Jimmy Wang Yu en personne, celui de « Un seul bras les tua tous »). Il n’a pas très bonne presse, mais je l’avais bien aimé pour ma part.