Raymon Poïvet est un dessinateur admiré par tous les illustrateurs, mais dont le graphisme, à la fois très réaliste et complètement brouillon, est aussi sublime que difficile d’accès. Sa volonté de laisser les crayonnés respirer, et de se consacrer à la beauté du trait plutôt qu’à la fluidité de la narration, le conduit souvent à livrer des albums imparfaits, aussi fascinants à regarder que décevants par les histoires qu’ils racontent.
Tiriel, héritier d’un monde, est bien entendu de ceux-là.
Le récit propose de suivre un jeune homme, dont le nom demeure inconnu même s’il est précisé qu’il est imprononçable pour les gens de l’autre monde qu’il va explorer. Ce garçon hérite d’un oncle mystérieux, visiblement peintre, une riche villa au jardin plein de surprises et un médaillon accompagné de la requête étonnante de toujours le porter en souvenir de l’aïeul.
Le kiosque à musique, dans le jardin, bénéficie d’une électricité mise à neuf par un ami, et notre héros s’aventure donc dans le petite pavillon charmant, qui est en réalité un passage vers un autre monde. S’ensuivent des aventures diverses, qui donnent la part belle à une faune et une flore exotiques et surprenantes, et durant lesquelles Tiriel (ce qui veut dire « libérateur » dans le monde où il a atterri) va affronter les troupes d’une méchante reine aussi belle que retorse. Il s’avèrera bientôt que la souveraine a connu l’oncle en question, qu’elle en était amoureuse, et que la physiologie du jeune terrien l’immunise contre les poisons locaux, ce qui précipite la chute de la despote.
L’histoire se découpe en cinq chapitres, visiblement en prévision d’une parution en feuilleton au sein de Metal Hurlant, alors en gestation. Dionnet semble en être l’instigateur, mais si son nom apparaît en couverture, il est réduit, dans les crédits intérieurs, au rang de collaborateur, laissant entendre qu’il s’agit d’un projet de Poïvet seul.
Il semblerait que ce premier cycle n’ait pas été publié dans le magazine, la première édition remontant à l’album noir & blanc de 1975, chez Fernand Nathan. Cependant, une suite, « Retour à Golgondooza », a été publiée dans Metal Hurlant #79 à 82, en 1982.
L’ensemble brille par son manque d’originalité. Tiriel, s’il n’est pas un héros musculeux, emprunte quand même beaucoup à la génération des Flash Gordon, et bien entendu à l’un de leurs précurseurs, John Carter : on retrouve l’héritage, le saut dans l’autre monde, le changement de statut du héros, la faune déconcertante…
Le trait de Poïvet est magnifique, comme toujours, mais difficile à reproduire, certaines cases semblant comme effacées tant le trait est fin. De même, quelques vignettes sont très jolies mais complètement inutiles, témoignant du plaisir du dessinateur, qui oublie parfois de raconter. De même, certaines cases muettes auraient gagné à disposer d’une bulle, tant l’attitude des personnages donnent bien l’impression qu’ils se disent quelque chose.
Il existe deux versions de l’album. Celle de Fernand Nathan, en noir & blanc de 1975, et celle des Humanoïdes Associés, en 1982, dans la célèbre maquette jaune et noire qui a abrité le Den de Corben, l’Outland de Steranko ou encore Dan Dare ou Judge Dredd. Pour l’occasion, le dessin de Poïvet est mis en couleurs : on y perd la grâce de son trait inimitable, on y gagne une certaine lisibilité. Dans les deux cas, on a un album imparfait, où qualités et défauts du dessin se parasitent.
Jim