Je viens de lire les deux TPB, reprenant respectivement Tom Strong and the Robots of Doom puis Tom Strong and the Planet of Peril. Je vais donc en profiter pour parler des deux dans cette unique discussion.

Les deux recueils constituent des lectures agréables. De petits chapitres dans la grande carrière de Tom Strong. C’est paradoxal parce que, si l’on regarde la vie personnelle du héros, ce sont des étapes importantes (mariage puis grossesse de Tesla), mais les péripéties super-héroïques en tant que telles sont un peu légères. Très agréables, pleines de bons moments, mais somme toute assez anecdotiques.

Dans le premier récit, Peter Hogan raconte comment Albrecht, le « fils » de Tom et d’Ingrid Weiss, remonte dans le temps afin d’altérer l’histoire et de faciliter la victoire des Nazis (un régime qu’il n’a pourtant pas connu). Lui-même en possession du médaillon de chronium issu des travaux du professeur Parallax, Tom n’est pas concerné par la réécriture de l’histoire et se lance dans une mission visant à réunir des alliés et à empêcher son fils d’agir. Le scénariste s’appuie beaucoup sur deux sagas de Moore, à savoir celle qui nous présente Ingrid et Albrecht et la saga de Tom Stone. Il en profite pour éclairer le mystère des Dero, les robots souterrains, et pour développer l’intrigue autour du Doctor Permafrost, qu’il avait esquissée dans deux épisodes de la série régulière.

Le second récit s’ouvre sur la grossesse contrariée de Tesla, qui oblige Tom et son beau-fils Val à se rendre sur Terra Oscura afin de demander l’aide de Tom Strange. Là encore, Peter Hogan s’appuie sur des sagas précédentes, auxquelles d’ailleurs il a largement contribué, et offre un nouveau chapitre dans la vie de cette Terre parallèle qui semble jouer de la même malchance que la Terre du Squadron Supreme chez Marvel, à savoir que toutes les poisses possibles lui tombent sur le museau. Le scénariste livre là aussi quelques beaux moments (la confession de la Fighting Yank, l’enterrement du Cavalier), au milieu d’une intrigue assez simple dans laquelle Tom et Val courent d’interlocuteur en interlocuteur à la recherche d’alliés. La solution au double problème qui se pose (le virus sur Terra Obscura et la grossesse de Tesla) est finalement trouvée dans un échange de bonnes volontés. Et si le récit souffre d’un manque évident de suspense, sa construction a néanmoins une visible élégance : Hogan prend le temps d’introduire l’intrigue, mais il prend le temps de la refermer également, rien n’est jamais précipité, l’équilibre est très agréable.

Reste que les intrigues utilisent des clichés, ce qui correspond bien à la nature allégorique de la série et du personnage, mais là, ça se voit. C’est bien fait (associer le nazisme au thème de la terre creuse et de la société souterraine perdue, ça force l’évidence), mais il y a peut-être, justement, une sensation de trop grande évidence, qui ruine la surprise. La structure un peu décompressée du récit fait que la lecture se déroule sans accroc, les événements s’enchaînant de manière fluide, mais sans aspérité. Pas de surprise, pas de contre-emploi…

Après, Hogan livre une prestation qui est totalement dans la lignée de la série principale. On y retrouve le thème de la famille, qui s’agrandit de bien des manières, celui de la rédemption des vilains, autant d’approches qui ont défini un surhomme disposé à parler et à aider avant même de cogner. Sauf qu’à trop vouloir rester fidèle à ces postulats, à trop vouloir mettre en scène un héros qui privilégie la discussion sur la bagarre, il obtient un personnage central qui semble se balader en observateur, détaché des intrigues. Ce qui a pour effet de désamorcer toute sensation de danger.

La partie graphique, fort agréable, confirme cette impression. Chris Sprouse dessine toujours Tom Strong debout, droit, calme. Mais là où l’on sentait une force tranquille qu’il ne s’agissait pas de bousculer dans les premiers épisodes d’Alan Moore (la confrontation avec Ingrid dans le mémorial de Saveen laisse sentir le tempérament bouillant sous l’apparence placide, cette fameuse « eau qui dort » et qu’il convient de ne pas réveiller), ici, on a un grand costaud qui semble toujours en retrait, entre l’observateur et le conseiller, qui prête main-forte alors qu’il devrait être au centre des décisions et des initiatives. Les personnages de Sprouse sont assez raides, et l’encrage de Karl Story, étonnamment plus sec et fin, ne fait que renforcer cette impression qu’ils sont « dessinés » sur la page, et non qu’ils sortent des cases. De plus, Sprouse a, entre deux prestations, systématisé sa manière de dessiner les visages, et ces automatismes confèrent aux protagonistes des rictus figés : les personnages de Sprouse sont ici botoxés. Une élégance s’est perdue.

C’est un peu la même chose concernant le lettrage de Todd Klein. La série Tom Strong se distinguait par un raffinement incroyable, d’une discrétion aussi saisissante que la richesse du bullage. Or, dans ces deux mini-séries, les bulles semblent constamment encombrantes. Tom Strong bénéficie de bulles plus grosses et d’un corps de caractère plus grand que les autres protagonistes, afin de bien rendre compte du timbre profond et sonore de sa voix, de son autorité naturelle. Mais là, les bulles semblent envahir les cases, telles des ballons trop gonflés. Souvent, les bulles débordent d’une case à l’autre, comme si le lettreur n’avait pas eu le temps de les adapter correctement à la forme des cases. De même, il est très fréquent que les bulles soient calées contre le bord des vignettes, donnant une apparence de maladresse et d’amateurisme, fort surprenant de la part d’un lettreur aussi chevronné.
Le dessin sec et stéréotypé de Sprouse et le lettrage hésitant et comme improvisé de Klein constituent en fait les deux grosses déceptions des deux mini-séries, qui donnent l’impression que l’ensemble a été fait dans la précipitation. L’enrobage aurait pu conférer à ces histoires sympathiques mais oubliables un cachet supérieur, pour peu que la production ait été aussi soignée que dans la série centrale. Or, ce n’est pas le cas. La déception est renforcée par ce sentiment que le soin accordé au dessin, à l’encrage et au lettrage n’est pas au niveau.

Alors bon, ces deux mini-séries ne sont pas des échecs ni des horreurs. Les personnages sont fidèles à eux-mêmes, les idées sont intéressantes, de nombreux passages retrouvent l’émotion et le décalage de la série d’origine. Mais ce sont des produits dérivés secondaires, à lire en tant que souvenirs d’une gloire passée, comme les restes refroidis d’un repas succulent. C’est encore bon, mais on sait que la nappe est froissée et que la fête est finie.
Jim