TOO OLD TO DIE YOUNG (Refn, Brubaker)

Vu les deux premiers épisodes, et j’ai beaucoup aimé.

Bon, je conseillerais évidemment pas ça aux allergiques au style Refn ; ils se pendraient probablement de désespoir devant ce show incroyablement léthargique. Dix fois plus lent et atone que du Refn « habituel », le show est également beaucoup plus beau. Soufflante de puissance, la mise en scène de Refn, si elle adopte un rythme ultra-particulier qui ne peut que rebuter une partie des spectateurs, est à tomber par terre (et bardée de références, les plus criantes étant des renvois au travail de Kenneth Anger, habituels chez le cinéaste danois).
D’autre part, contrairement à ce qu’on peut lire à droite à gauche (l’accueil de la série a été globalement catastrophique, mais les quelques convaincus, dont le mag’ « La Septième Obsession » qui hurle au chef-d’oeuvre, se sont montrés particulièrement enthousiastes ; rien d’étonnant devant une proposition aussi radicale, presque suicidaire pour Refn), le show ne raconte pas « rien ». Il raconte une histoire qui s’annonce un polar extrêmement classique pour du Brubaker, avec squelettes dans le placard, vieux comptes à régler, flics ripoux, cartel mexicain… bref, toute la panoplie. Mais le rythme est tellement lent que le récit est dilaté jusqu’à donner l’impression d’être peu ou pas dramatisé. Il n’en est rien.
Scorcesien dans l’âme (les « Pusher » s’inscrivaient clairement dans une veine post-Scorcese), Refn ménage des éclats de violence extrêmement soudains, dénouant brutalement des fils narratifs jusque-là léthargiquement déroulés… D’autre part, la majesté de la mise en image (et en son, ne surtout pas négliger cette dimension du travail de Refn; comme d’habitude ici associé à son vieux compère Cliff Martinez) transmute un récit par ailleurs relativement banal pour le faire accéder à une dimension quasi-mythologico/shakespearienne (bon, j’exagère un peu, hein ; un feeling de tragédie antique, on va dire).

Pour l’instant, j’adhère déjà sans réserves à la proposition de Refn et Brubaker. Paraît que ça se met à bouger un brin plus à partir du quatrième épisode. Pourquoi pas, mais à ce stade je suis déjà conquis.

Pas vraiment en fait… mais disons que passés les trois premiers épisodes (qui correspondent donc en gros au premier tiers du récit), l’exposition est bouclée et on voit un peu mieux où les auteurs veulent en venir ; de ce point de vue, d’ailleurs, la série est éminemment « Brubaker-ienne », avec cette réflexion sur le vigilantisme qui renvoie à certains fleurons du cinoche américain des années 70.
Et arrivé à l’épisode 5 (le dernier que j’ai vu à ce stade), le show propose une séquence absolument incroyable, où Refn revisite à sa façon la figure imposée de la course-poursuite en voiture, magnifiée en son temps par un cinéaste de la trempe de William Friedkin. Refn s’y était déjà frotté avec l’épatante ouverture de son « Drive », où il déjouait les attentes en proposant une course-poursuite « au ralenti ». Ici il en prend le contrepied total en proposant une traque qui s’éternise sur des heures entières. Le début nocturne de la course-poursuite fait penser à du Michael Mann, avant que sa part diurne, sous un soleil de plomb en plein désert, ne convoque carrément le spectre de « Mad Max ». Une séquence proprement époustouflante, magnifiée par des idées de mise en scène démente et la photo toujours hallucinante de Darius Khondji…

Scénaristiquement, on voit aussi un peu mieux comment procède le duo Refn/Brubaker, en lançant leur « héros » sur une série de « quêtes secondaires » presque par hasard, qui dilate encore plus le temps déjà très élastique de la narration.
Si on supporte le rythme volontairement indolent du récit, on se retrouve devant une oeuvre policière de première bourre, réfléchissant de façon finalement simple et directe sur l’état de l’Amérique à l’ère Trump, tout en se montrant obsédée par une imagerie aussi clinquante et artificielle que visuellement hypnotique.

Quel ennui (pas forcément dû au rythme, auquel il suffit de s’habituer), il est peu probable que je m’inflige ça une seconde fois (après avoir mis du temps à arriver au bout de cette saison).
Il y a bien des éléments à grappiller ici et là (la photo, l’atmosphère, la façon dont Refn filme le personnage de Jesus) et d’autres plus pénibles (le supérieur hiérarchique plutôt fantasque de Teller, avec ses ouailles en pâmoison dès qu’il apparaît) mais sur la durée c’est assez laborieux.