RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Bon, ça a mis le temps, parce que j’avais plein de taff, mais en ce moment, ça se calme un peu, ce qui permet de reprendre le fil des lectures abandonnées en route (et d’en commencer d’autres, aussi, héhéhé).

Donc, Marvel a entreprise de rééditer, dans une logique d’omnibus (un arrêt à chaque gare) la carrière de la Cape et de l’Épée. Étonnamment, les recueils, qui font leurs quelque 450 pages, ne sont pas numérotés, ce qui ne rend pas la chasse au trésor bien facile pour quelqu’un qui serait parti en retard en quête de ces rééditions. En revanche, chaque volume arbore un titre construit autour d’une association : le premier s’intitule « Shadows and Light », puis viennent « Lost and Found » et « Predators and Preys ». Je crois que le prochain porte le doux titre de « Agony and Ecstasy », sans compter le « Runaways and Reversals », qui compilent des apparitions plus récentes.

Les couvertures de chacun des tomes reprennent une illustration d’époque, retravaillée, et bien entendu recolorisée. Le style très propre et précis des auteurs de l’époque, Rick Leonardi au premier chef, contraints de travailler avec détail dans le cadre d’une profession publiée sur papier médiocre, permet facilement ce genre de réinterprétation, d’autant que les illustrateurs travaillent avec de larges masses noires qui minimisent les effets fluo propres aux couleurs d’aujourd’hui. La couverture du premier tome fonctionne à ce titre assez bien.

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Dans la logique de passer en revue toutes les apparitions des personnages, qui au demeurant se construisent en squattant les séries des autres, leur propre mini-série ne suffisant pas à assurer la visibilité et la pérennité, ce premier tome s’affiche comme un vaste fourre-tout.

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Les réjouissances commencent avec Spectacular Spider-Man #64, de Bill Mantlo et Ed Hannigan. On ne répétera jamais assez que les quelques épisodes que ce dernier réalise dans les années 1980 constituent un mets de choix pour les amateurs de bons comics. Sa narration est complexe, s’inspirant de celle de Frank Miller, déjà en train de faire souffler un vent d’innovation sur Marvel via ses épisodes de Daredevil. Mais il renoue également avec la version Ditko du héros arachnéen, décrivant un justicier plus freluquet, toujours en déséquilibre, parfois sans traits de mouvement. L’un des plus beaux chapitres est celui où Spidey affronte Boomerang, Hannigan livrant des cases horizontales de combat bâties sur le modèle des affrontements que dessinait le créateur du personnage. L’apparition de deux jeunes héros, dont les origines sont présentées ici sommairement (victimes de dealers, ils subissent une injection d’une drogue expérimentale qui, plutôt que les rendre accrocs, leur confère des pouvoirs), appartient à cet enjeu graphique déployé sur plusieurs numéros. Le dessinateur déploie des idées efficaces : Spidey coincé dans une case noire, les parties rouges de son costume étant les seules à apparaître à l’image, ou encore la séquence finale dans laquelle des bandits fuient les nappes d’obscurité de Cloak, se dirigeant vers une lumière lointaine : celle-ci est en fait une fenêtre à un étage élevé, représentée par des petites cases comme autant de carreaux qui découpent les méchants en segments, et quand ils traversent la vitre, ils sortent de la case et dégringolent dans la planche. Virtuose.

Ensuite vient la publication de Spectacular Spider-Man #69 et 70, encore plus beau. Si le précédent était encré par Mooney (pas tout à fait en phase avec son dessinateur, surtout sur les premières planches), celui-là est encré par Milgrom, et le tandem fonctionne très bien, l’encre grasse du second servant à merveille les atmosphères lugubres du premier. Au rayon prouesses visuelles, il y a une séquence avec le Kingpin, recourant à des trames afin de créer des surimpressions d’images, et c’est du meilleur effet.

Cloak & Dagger, à nouveau alliés à Spider-Man, sont plongés dans les ramifications complexes d’une guerre des gangs opposant notamment Silvermane (vieux personnage de la période Lee / Romita, boosté en cyborg mourant. L’action est efficace, et les pages sont étourdissantes. Quant à notre tandem, il commence à prendre ses marques dans son nouveau rôle d’équipe de justiciers, ayant même droit à une magnifique pleine page dans le #70.

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L’étape suivante est un nouveau diptyque, Spectacular Spider-Man #81-82, dans lequel interviennent le Kingpin et le Punisher. C’est toujours Mantlo au scénario (qui est ici au milieu d’une des plus épatantes prestations de sa carrière), mais c’est Al Milgrom qui assure le dessin, soutenu par Jim Mooney, plus ou moins l’encreur attitré du personnage à l’époque.
Milgrom n’est pas un grand dessinateur, mais c’est un excellent narrateur. Il raconte avec une clarté telle qu’il peut se permettre d’inclure dans ses planches des effets sympas, comme par exemple les barreaux d’une cellule de prison découpant en parties verticales une case de gros plan. Il récupère ainsi certaines astuces de son prédécesseur, la série conservant identité visuelle.
L’intrigue est plus anecdotique concernant Cloak & Dagger, qui une fois de plus se retrouve dans le feu croisé d’autres personnages occupant le devant de la scène. Il est donc temps pour les deux héros d’avoir leur moment de gloire.

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Le mois suivant arrive donc le premier numéro de la mini-série à leur nom, encore écrite par Bill Mantlo, mais cette fois-ci illustrée par Rick Leonardi, encore débutant. S’il n’a pas encore la rondeur qu’on lui connaîtra par la suite, notamment sur de nombreux fill-ins consacrés aux mutants, et s’il fait encore preuve de maladresse au détour d’une case, il assure quand même le spectacle, d’autant qu’il est encré par Terry Austin, qui confère à ses planches une somme colossale de détails.

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La mini-série introduit deux personnages nouveaux, le père Francis Delgado, qui offre aux deux héros gîte et couvert, et l’inspectrice Brigid O’Rielly, qui enquête sur une légende urbaine parcourant le milieu des drogués et des revendeurs. À l’occasion de cette mini-série, Mantlo décide de pousser la dimension sociale de ses personnages, présentés dès l’origine comme des victimes, comme une métaphore de l’addiction et de la drogue. Mais jusque-là, les deux apprentis justiciers avaient toujours été abordés avec le point de vue de Spider-Man, un personnage qui survole les rues malfamées, qui y intervient parfois, mais qui finit toujours par reprendre le chemin des toits. Cette fois-ci, le scénariste plonge dans l’horreur sociale, dans le quotidien sordide des ruelles sombres peuplées d’une faune composée de dealers, de drogués, de prostitués, de crapules à la petite semaine vivant des profits qu’ils peuvent tirer de leurs victimes. La scène d’ouverture, suivant le père Delgado (dont on n’apprendra le nom que bien des pages plus tard), permet de prendre un bain de cette foule malsaine. Dans la carrière de Mantlo, qui a toujours été obsédé par la maladie mentale et physique (on se souviendra du Wraith / Spectre, dans Marvel Team-Up, qui cristallisait déjà ces fixettes, en 1976), cette série marque un tournant. Les années suivantes (courtes) de sa carrière verront l’émergence de thèmes tournant autour du parasitage, de la tumeur, de la contamination, le tout dans une tonalité nettement plus sombre que précédemment. Ombre et lumière.

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La mini-série ne présente aucun super-vilain, nouveau ou classique. Au contraire, les deux personnages affrontent… la réalité sociale. Les quatre épisodes constituent une plongée dans la face cachée du rêve américain. Et Mantlo développe de nouvelles choses concernant ses personnages, notamment en établissant l’instabilité de Cloak, qu’il s’agisse de la maîtrise de ses pouvoirs ou de sa santé. Renouant avec l’idée centrale que le drogué est une victime, il postule que le héros est un danger pour lui-même, mais aussi pour les autres. Le tandem de héros est dès lors fragilisé à son tour, puisque les pouvoirs de l’un peuvent nuire à l’autre. Autant de développements qui nourriront les aventures des héros pendant des années.

À la fin de leur mini-série, les deux justiciers urbains reprennent leur valse dans les titres des voisins. Donc l’étape suivante est le Marvel Team-Up Annual #6 de 1983, par Mantlo et Frenz, où le tandem rencontre les Nouveaux Mutants. Il fallait bien que ça arrive : l’idée que la drogue injectée aux deux victimes ait déclenché leurs pouvoirs mutants latents est présente dès les premiers chapitres dans Spectacular Spider-Man.

Cloak & Dagger font une nouvelle escale dans Spectacular Spider-Man, cette fois-ci dans les épisodes 94 à 96, où Al Milgrom, désormais auteur complet sur la série, exploite le fond de commerce de la série, notamment avec Silvermane (qui, finalement, s’est bien habitué à son corps de cyborg).

Bill Mantlo retrouve ses deux héros à l’occasion de Marvel Fanfare #19, dans un récit en trois parties réalisées par Tony Salmons, Rick Leonardi et Terry Austin, puis Kerry Gammill et George Freeman (une association superbe).

Enfin, ce premier recueil se referme sur New Mutants #23 à 25, trois épisodes écrits par Chris Claremont et illustrés par Bill Sienkiewicz, issus de leur légendaire prestation qui continue à scotcher les amateurs.

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Ce recueil déjà riche est complété par de nombreux bonus éditoriaux. Les articles de Marvel Age présentant la mini-série ouvrent le bal, avec notamment la reproduction des pages qu’Ed Hannigan avait réalisées pour le premier épisode, avant d’abandonner le projet et de céder la place à Leonardi. Il est intéressant de comparer les compositions proposées par les deux auteurs, mais également de constater que Hannigan évoluait déjà, s’éloignant de son hommage à Ditko pour préférer un style plus traditionnel, qu’il utilisera par la suite, chez DC ou dans sa série Skull & Bones.

Le reste est composé des illustrations du portfolio Cloak & Dagger par Leonardi (à ce titre, si quelqu’un a une adresse parisienne susceptible de vendre de vieux portfolios, je suis preneur), des pin-ups réalisées pour Marvel Fanfare par des gens comme Terry Austin ou Kevin Nowlan, des reproductions de couvertures de Marvel Tales ainsi que des reproductions, hélas trop petites, de planches originales.

Un menu de choix.

Jim

P.S. : le travail d’Ed Hannigan sur la mini-série, avant son remplacement par Rick Leonardi, est évoqué ici :