TWO-FISTED TALES t.1 (collectif)

[quote]Two-fisted tales tome 1
Éditeur : Akileos (18 octobre 2012)
Collection : EC Comics
Date de parution : 08 nov. 2012
ISBN-13 : 978-2355741210
Illustration : Noir et blanc
Prix : 27 euros
Anthologie de récits de guerre et d’aventure à l’initiative d’Harvey Kurtzman, Two-Fisted Tales paraît pour la première fois au mois de novembre 1950, sous le label de l’éditeur indépendant américain Max Gaines : EC Comics.
Le titre reprend alors la numérotation de The Haunt of Fear et vingt-quatre numéros seront publiés.
Si les premiers numéros font la part belle aux récits d’aventures, le début de la guerre de Corée amènera Harvey Kurtzman, qui écrivait la plupart des histoires, à écrire principalement des récits de guerre relatant la brutalité de celle-ci à travers l’Histoire.
Pour illustrer ces histoires, on retrouve la patte d’auteurs majeurs tels que : Wally Wood, Harvey Kurtzman, Jack Davis, Johnny Craig, Joe Kubert…
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Liens :
Le site de l’éditeur : www.akileos.com
Le blog de l’éditeur : akileos-editions.blogspot.com
La page facebook de l’éditeur : fr-fr.facebook.com/pages/Akileos-Editions

[quote=« Benoît »]

Je note que la coquille « Cubert », encore présente hélas sur la quatrième de couverture, a été corrigée pour la communication sur le net.

Jim

Alors j’ai craqué, je suis passé chez mon libraire et j’ai acheté ce tome, ainsi que le tome 2 de Frontline Combat. J’en ai profité pour commander le tome 1 (oui, je le répète parce que je suis régulièrement étonné d’apprendre que les gens ne le font pas, vous pouvez commander vos bouquins, c’est le boulot du libraire de passer commande, aussi…). et je vais faire les autres, aussi, je le sens…

J’ai commencé par bouquiner celui-ci, sans doute justement parce que c’est un numéro un. Les épisodes datent de 1950-1951, ce qui nous permet de (re-)découvrir un Johnny Craig qui n’a pas encore stabilisé son style post Caniff, ou un Wally Wood encore un peu tremblant. La série américaine étant bimestrielle (tous les deux mois, je le répète), les progrès et les évolutions graphiques d’un épisode à l’autre sont quand même particulièrement visibles : Wood gagne en finesse et rajoute des trames, Kurtzman développe son encrage « au rouleau » si caractéristique, Craig épure son trait (dans une évolution qui me fait un peu penser à John Romita, d’ailleurs), bref, graphiquement, c’est à une gestation, ou une croissance, que l’on assiste, et c’est très agréable.

Sur la présentation, je trouve l’édition assez belle : chouette reliure (j’aime bien les dos ronds), beau papier, reproduction nickel. La traduction est parfois un peu raide, trop proche du texte américain, manque de naturel, sans pour autant rendre le ton d’époque (il y a quelques expressions un peu modernes, quelques tournures d’aujourd’hui qui casse l’effet). Le lettrage est propre aussi, mais pas parfait, le calage dans les bulles pouvant parfois être amélioré. Dernier petit défaut, l’accès aux sources est compliqué : les titres français des histoires sont à la page sommaire, mais il faut aller à la page des crédits pour savoir de quel numéro américain ils proviennent. Et malgré ce jeu de piste, les titres américains sont absents, ce qui est dommage.
L’ensemble pèche peut-être par trop de fidélité au matériel de base.
Mais bon, péché véniel, je dirais : on a des éditions « raisonnées » des EC Comics, ce qui tranche radicalement de l’approche florilège qui est de mise depuis le début des années 1980 et la collection Xanadu (voire depuis 1978 et le premier recueil de MAD, « Les Années Folles de MAD », avec Superduperman en couverture).
Il manque quand même les couvertures, reproduites en petit en quatrième de couverture, ce qui est mieux que rien, mais bon, quand même…

Et c’est là que l’édition Akileos est vraiment intéressante. Elle replace les histoires dans le contexte de publication, faisant comprendre à ses lecteurs que les EC Comics étaient des anthologies. Et qui dit anthologie dit niveau varié. On n’est plus dans la sélection des meilleures histoires thématiques ou des meilleures prestations de tel ou tel auteur, mais on est dans l’exposition recontextualisée des périodiques. Pour quelqu’un de ma génération, qui aurait fait sa culture EC avec les traductions sans jamais avoir accès aux rééditions (notamment celles de Gemstone d’il y a une vingtaine d’années), ça change radicalement.
Du coup, ça a deux conséquences. La première étant de montrer que, contrairement à ce que les éditions précédentes nous amenaient à croire, tout n’est pas formidablement génialissime dans les EC Comics, et que, comme tout comic books, ils contiennent à boire et à manger. Par exemple, le récit « Intrigue à Hong Kong », d’Al Feldstein, qui n’est jamais qu’un petit récit d’aventure dans un Orient fantasmé (avec ce petit zest de racisme léger face au « péril jaune »), sorte de prototype de son Yellow Claw qu’il fera avec Joe Maneely quelques années plus tard pour Stan Lee chez Atlas. Ou encore « Fuite devant le danger », de Johnny Craig, vague histoire d’exfiltration du bloc soviétique, cousue de fil blanc et aux personnages stéréotypés au possible, qui témoigne d’une vision américaine et caricaturale de l’espionnage et de la Guerre Froide. Comme quoi, les EC Comics ne sont pas imperméables au manichéisme que les critiques s’ingénient à voir chez leurs concurrents. Au milieu de cela, des récits d’aventures à grands coups de poings, des histoires à chute ironiques (« Mort Jivaro » de Kurtzman est toujours aussi efficace), et des récits de guerre plus âpres, effectivement inspirés à Kurtzman et ses compères par l’enlisement dans la Guerre de Corée. Mais là encore, à la relecture de ces récits de guerre, on peut se prendre à comparer avec d’autres auteurs chez d’autres éditeurs (Chapman chez Atlas, Kanigher chez DC), et l’on se dit que les prestations de Kurtzman n’éclipsent en rien d’autres scénaristes qui ont également couvert l’absurdité, la violence, la brutalité de la guerre, contexte narratif aussi propice à des épisodes plein de sentiments, d’humour, de mélancolie ou d’ironie cruelle.
Cette réédition permet aussi, en replaçant dans son contexte d’origine la série, de constater que la réputation des EC Comics tient sur une poignée de récits qui sortent du lot. La maison d’édition de Bill Gaines a laissé des auteurs s’exprimer, et ça a donné des classiques du genre, des choses qui, des décennies plus tard, sont toujours aussi percutantes. On peut citer par exemple « Judgment Day », un récit d’Al Feldstein et Joe Orlando avec un astronaute noir, formidable réquisitoire contre le racisme en Amérique, « The Guilty », dessiné par Wood, autre dénonciation violente du racisme, « The Patriots », dessiné par Jack Davis, violente condamnation d’un patriotisme que, pour le coup, on peut qualifier d’aveugle, ou encore « … And All Through the House… », un suspense proprement infernal avec une chute puissante, réalisée par un Johnny Craig au style lisse qui contracte merveilleusement avec l’atmosphère oppressante du récit.
Ce n’est qu’une poignée de récits, on peut en trouver des dizaines d’autres, mais ceux-ci font partie des références citées tout le temps, adaptées à la télévision, repris en clin d’œil ici ou là… Mais remettre les récits dans l’ordre de publication permet de se rendre définitivement compte que les EC Comics ne mettaient pas dans le mille à chaque fois, et que la production de 1950, pour qualitative qu’elle fût, ne valait pas celle de 1953, aiguillonnée par un contexte plus difficile et plus tendu.
De même, finalement, cette édition remet en perspective critique la perception que nous, le public français, avons des EC Comics. Parmi les éditeurs américains des années 1950 qui publiaient des récits anthologiques, c’est l’un des rares à avoir bénéficié de traductions (les anthologies de guerre ou d’horreur de DC et les anthologies de SF et de monstres d’Atlas-Marvel ont eu droit à des traductions dans les pockets, dans Sideral ou Aventures Fiction (version 1958), ce genre de revues de kiosque. EC a été le seul éditeur de cette période a bénéficier d’une redécouverte via les albums de librairie au tournant des années 1980 (sans doute parce que certains récits étaient réédités aux États-Unis, chez Warren je crois). Dès lors, cela a induit une perception méliorative des EC Comics, fort méritée je suis d’accord, mais un peu injuste pour la concurrence. DC, Atlas voire Standard publiait de très bons récits de suspense, de science-fiction, d’horreur ou de romance à la même époque (Standard alignait des talents comme Ross Andru, Mike Sekowski ou Alex Toth, c’était pas n’importe quoi…). La popularité des EC Comics en France s’est un peu faite au détriment de sa concurrence, les critiques estimant que les comic books des années 1950 commençaient et finissaient chez EC. Un indice de cette perception est le fait que les critiques affirment que les meilleurs dessinateurs étaient chez EC. Ce qui n’est pas tout à fait vrai. Ils avaient une brochette de formidables talents, mais souvent ces derniers étaient jeunes et acceptaient les tarifs proposés. Wood était en début de carrière, par exemple. George Evans raconte que, lorsqu’il quitte Fawcett (qui vient de perdre son procès contre DC et se trouve obligé de réduire la voilure), il arrive chez EC (sur les conseils de Williamson, je crois) et découvre que le tarif proposé était inférieur. Si Gaines accepte aussitôt de s’aligner sur les tarifs de Fawcett, on peut légitimement en conclure que ceux pratiqués chez EC étaient inférieurs.
Et même au-delà de ces considérations financières, force est de constater qu’ils n’avaient pas Carmine Infantino, John Buscema (qui commence vers 1950), Bill Everett, Mort Meskin, Mac Raboy, Ruben Moreira, Ross Andru (qui commence en 1948), Joe Maneely (qui débute aussi en 1948) ni même Jack Kirby. Joe Kubert ne fera à ma connaissance qu’une seule histoire pour eux. Alex Toth, une poignée.

Cette remise en perspective fait de cette édition, pour un lecteur français curieux, une excellente occasion de découvrir la production EC sans le fard que constitue une approche sélective. C’est sans doute la grande force de cette collection : sortir les EC Comics de leur mythe critique, pour les remettre « belle, sans ornements, dans le simple appareil d’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil ». La critique est toujours avide d’une préselection, c’est toujours plus facile. Je trouve plus courageux de disposer la vitrine dans son intégralité. Un commentaire, même de deux pages, pour remettre dans le contexte, bref, quelques « ornements », aurait cependant permis d’expliciter la valeur, historique et artistique, du contenu.

Jim