Je l’ai acheté à la gare de Rennes et je l’ai lu durant mon séjour vendéen, et c’est impressionnant.
Coates fait le choix du corps afin d’évoquer les violences racistes. Il insiste sur la violence physique, qui est l’expression de la violence sociale / culturelle / psychologique. Il ne parle pas d’âme ou d’esprit, et précise bien, à un moment, qu’il pense que nous n’existons que par notre corps, et qu’il ne croit pas à l’âme telle qu’on la définit communément. Donc l’ensemble de sa démonstration est axée sur le corps, que l’on peut voler, piller, monétiser et bien entendu détruire. Ça donne des pages d’une grande puissance.
Mais c’est également un texte qui s’en prend au Rêve et aux Rêveurs, et là, c’est clairement une attaque contre une certaine conception de l’Amérique. C’est l’occasion pour lui d’évoquer le développement du pays comme grande puissance mondiale, dont les moteurs ont utilisé l’esclavage comme carburant (on pensera aussi à Triste Amérique, de Michel Floquet). À ce titre, la préface d’Alain Mabanckou tape dur, également.
Cela dresse le portrait d’un homme qui ne croit pas en l’Amérique, en tout cas pas celle que l’on nous donne à croire d’ordinaire. Un décalage s’impose. Il y a notamment deux pages consacrées au 11 septembre 2001, qui sont proprement saisissantes tant il s’exprime à contre-courant, avec violence, du discours habituel.
Ouais, vraiment, sacré bouquin.
Ce chapitre, et plusieurs autres, abordent également le thème de la peur : sociale, physique, culturelle, politique. Peur qui est dévoilée lors de la rencontre avec une autre culture, et qui trouve les moyens de se « guérir ». C’est assez passionnant (et angoissant, aussi), de constater que ce sentiment devient un ciment social, envers et contre tout.
Je n’ai fait que survoler les deux premiers épisodes. Faut vraiment que je m’y mette.
Il y a un truc qui m’attriste, c’est que ma méconnaissance de la littérature américaine actuelle, notamment celle produite par des auteurs de la communauté afro-américaine, m’empêche d’évaluer la singularité ou non de cette vision de Coates.
C’est à la fois si pertinent, si puissant et si révolutionnaire (pour moi) que je suis vraiment curieux de savoir si d’autres partagent aujourd’hui ce point de vue.
Et puis, ça ferait d’autres bouquins à lire, ce qui ne gâche à rien
En apprenant que Ta Ne-Hi-Si Coates allait écrire Black Panther chez Marvel et ayant également pris connaissance de la publication de son ouvrage dans l’Hexagone, quand l’occasion se présente de lire des commentaires sur son livre je le fais, voir supra l’extrait de la revue BOOKS et l’article des Inrockuptibles que j’ai posté dans le fil de discussion dédié à la BD Black Panther.
Bref puisque tu soulevais ce point ailleurs, en voyant le livre à la médiathèque (je me suis souvenu de ce que tu reprochais (?) à **Onfray **notamment), je me demandais quelle attitude l’auteur de Une Colère Noire avait vis à vis de l’alternative dans son discours ?
Parce qu’à ce sujet ma position est qu’un auteur qui propose un point de vue, une théorie, n’a pas à donner du grain à moudre à l’alternative. C’est au lecteur de faire cette démarche s’il en a le souhait.
Et ici, Ta Ne-Hi-Si Coates ménage-t-il des ouvertures vers une pensée qui aurait un son de cloche divergent ou ne sert-il que son discours ; l’auteur de la critique dont j’ai posté un extrait semble dire qu’il oublie les « avancées qui ont eu lieu » ?
Est-il « quelqu’un qui cherche à avoir une influence sur la pensée de ses contemporains » ou pas ?
D’ailleurs peut-on rapprocher à quelqu’un, un « intellectuel » de surcroît, dont je recopie *supra *le définition selon Regis Debray (que tu avais communiquée), d’avoir un avis, de penser juste (ou du moins de le croire) et de tenter (au lecteur/auditeur/spectateur de s’en défaire le cas échéant de mon point de vue) d’influencer ses contemporains ?
Moi je ne crois pas, et j’irais plus loin les « intellectuels » qui m’intéressent ce sont ceux qui d’une part ont une pensée franche (et pas un robinet d’eau tiède), claire et argumentée.
Les deux derniers points sont de mon point de vue indispensables car de fait le lecteur peut alors soupeser et comprendre les arguments, et se faire sa propre idée.
Contrairement par exemple aux textes pleins de néologismes, de charabia emprunté aux sciences « dures » (souvent) mal digéré et appliqué au « champ du social » comme on dit.
Le passage sur Paris me semble correspondre à un moment de son expérience personnelle où il découvre que le monde peut ressembler à autre chose qu’à ce qu’il a connu. Et lui inspirer autre chose que la peur. D’une certaine manière, même si ce n’est pas formulé aussi abruptement, il nous laisse entendre que, peut-être, il a eu tort. C’est un passage de remise en cause, de doute, qui me semble assez fort.
Je crois que si l’on arrive à l’argumentation (ce qui est souhaitable, selon moi, hein…), on sort un peu de la pensée tranchée, puisque l’on identifie les points sur lesquels il peut y avoir discussion (parce que s’il n’y a pas discussion, il est inutile d’argumenter). Une pensée qui a conscience de la possibilité d’être contestée n’est pas, selon moi, une pensée tiède.
J’ai sans doute une vision très scolaire de la philosophie, mais il me semble que le philosophe doit être capable de dire qu’untel pense ceci, qu’untel pense cela. Et il me semble que c’est valable pour n’importe quoi d’autre (sociologie, histoire, politique, langues…).
En gros, je crois qu’on ne peut pas penser tout seul. On pense avec et on pense contre. Mais fatalement, si on pense bien, on a conscience des pensées des autres.
Je fais le reproche à Onfray de prendre trop position. Mais ce que j’aime bien dans le bouquin de Coates, c’est qu’il arrive un moment où il dit, entre les lignes, qu’il a découvert qu’il était sur des positions trop tranchées. Quand il parle de son épouse, qui va à Paris avant lui, il en parle en des termes qui laissent entendre qu’il lui trouve une capacité d’ouverture qu’il n’a pas encore. Et qu’il aura plus tard, mais qui sera une expérience à la fois enrichissante et douloureuse (du moins, c’est ce que j’ai ressenti à sa lecture).
Pour en revenir aux commentaires issus de l’extrait de Books que tu as posté, je renverrai à la lecture de Triste Amérique, de Michel Floquet, un portrait désabusé et angoissant des USA, sans doute forcé, mais bon, pas tant que cela je crois. Et dedans, il y a un chapitre sur les violences policières et la place des noirs (pauvres, mais pas seulement) dans la société. Et l’auteur évoque le « talk », le moment où les parents expliquent à leur enfant adolescent comment faire profil bas afin de ne pas attirer l’attention et de ne pas avoir d’ami. Il cite un personnage public haut placé (je ne sais plus qui… Colin Powell ?) qui a tenu un tel discours à son fils. À la lecture de ce paragraphe, on peut se poser la question des « avancées réelles qui ont eu lieu ».
« Voici ce que j’aimerais que tu comprennes : dans ce pays, annihiler le corps noir est une tradition, et cette tradition fait partie du patrimoine national. Je ne souhaitais t’élever ni dans la peur ni dans le mensonge. Je voulais éveiller ta conscience. J’ai donc décidé de ne rien te cacher. » Dans cette lettre adressée à son fils de 15 ans et rédigée dans le contexte des mobilisations de Black Lives Matter, Ta-Nehisi Coates décrit la violence raciste de la société américaine et revient sur le parcours qui lui a permis d’en prendre conscience. Il observe comment la fiction de la race a gangrené les États-Unis sans jamais cesser de peser sur les femmes et les hommes noirs, et s’interroge sur la possibilité de se libérer du fardeau de l’histoire en jetant une lumière crue sur les sociétés contemporaines. Cette nouvelle traduction, précédée d’une préface inédite de l’auteur, remet à l’honneur ce classique contemporain.