Bon, je continue à lire ce bouquin, et mes deux agacements de base, à savoir l’écriture à la première personne très nombriliste et l’usage de tics inclusifs dans la langue, continuent à me tarabuster.
Dommage, parce que le raisonnement est pas mal, les exemples sont pertinents. Il manque une véritable mise en contexte historique, avec davantage de dates (parce que citer la chaîne d’origine ou le nom du showrunner ou de la showrunneuse, c’est bien, mais pour qui n’est pas au fait, c’est flou), mais il y a en germe une remise en perspective de choses qui ont marqué à l’époque (Friends ou Sex and the City me viennent à l’esprit) qui est bien vue.
Cependant, cette absence de perspective historique interdit tout commentaire du genre « c’est dépassé aujourd’hui par des choses qui sont entre-temps allées plus loin, mais à l’époque c’était fort ». Et c’est lié à une autre obsession, celle de l’invisibilisation.
Et là, l’agacement confine à l’urticant. Parce que le raisonnement, mais aussi les sources sur lesquelles il s’appuie, convergent pour finalement arriver à la conclusion que le monde homosexuel, et lesbien en particulier, a été invisibilisé par l’hétéropatriarcat dont il faut savoir s’émanciper des règles imposées. OK, en soi je suis d’accord, mais cette vision monolithique empêche toute vision historique, là encore. Tout est au même niveau : la création hors-norme est invisibilisé par la norme. Sans détail, sans subtilité. Et l’autrice ne semble pas vraiment être consciente de ce défaut de raisonnement, au point de railler des personnages (dans une série ou un film, je ne sais plus) qui « refont l’histoire » en dressant la liste des femmes qui sont des lesbiennes qui s’ignorent (et ça commence à Ève). En gros, on voit de l’invisibilisation partout, et des invisibilisés partout (et je ne parle pas de son emploi de l’adjectif « racisé », qui me semble sinon problématique du moins exagéré), ce qui est quand même un comble. Cela revient à relire l’évolution des genres littéraires en en déformant la portée (tout ce qui est « romantic friendship » au XIXe siècle, par exemple),la tonalité, la note d’intention.
Il y a à ce sujet une interrogation intéressante sur le « couple » de Thelma et Louise, qui conduit à quelques paragraphes sur les personnages féminins qui s’émancipent de l’homme sans pour autant aller vers une relation amoureuse. Mais cette interrogation n’est pas creusée. Dans les fictions qui ne disent rien explicitement, l’autrice voit de l’implicite (ou de l’invisibilisé). A contrario, elle cite l’exemple d’un film qui met en gros plan un baiser lesbien, citant l’auteur (scénariste ou réalisatrice, je ne sais plus) qui affirme que, si le film avait été réalisé plus tard, le sous-texte lesbien n’aurait pas eu besoin d’être soutenu par une image aussi explicite. L’explicite ne serait donc là que pour lutter contre l’invisibilisation ? Et donc, s’il n’y a pas besoin de s’opposer à l’invisibilisation, on peut rester implicite ? Donc si l’on est implicite, ça devient explicite ? Donc tout couple d’amies femmes est obligatoirement et implicitement un couple lesbien, même s’il s’ignore ? Il y a là un raccourci de penser que Wertham aurait pu jalouser.
Jim