VORTEX t.1-9 (Stan & Vince)

Discutez de Vortex

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Un grand plaisir de lecture, cette série. Action, surprise, gros rythme. Du mainstream pop-corn parfaitement mené. Et la structure de cross-over était étourdissante pour l’époque.

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Jim

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L’un des éléments les plus enivrants de la série, c’est cette volonté de l’installer dans une esthétique années 1940-1950, renvoyant aux serials mais aussi aux comics de ces décennies.

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Un côté rétro qui se sentait déjà dans les pubs que les deux auteurs dessinaient pour la librairie Mondes Mutants, à la fin des années 1980 (on sentait l’influence de Wally Wood et de Frank Frazetta).

Vortex

Dans Vortex, ça se sent grave, et c’est super agréable.

jim

Légender et illustrer mes deux postes précédents, ces derniers jours, m’a donné envie de me replonger dans cette saga qui m’avait emballé dans les années 1990.

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Le principe est simple, mais assez original pour ce milieu des nineties qui a vu naître la série : c’est celui des cross-overs américains, mais sous une forme un peu bidouillée. Sur une trame à base de voyage dans le temps (classique), les deux auteurs mettent en scène deux héros, Campbell, un agent de terrain, et Tess Wood, une conseillère scientifique. Ces deux alliés de fortune sont projetés dans un lointain avenir, où ils se retrouvent séparés. Cette séparation implique deux destins différents, et donc une construction éditoriale un peu innovante. À savoir que Campbell voyageur du temps 1 (par Stan) raconte la même histoire que Tess Wood prisonnière du futur 1 (par Vince). Il est donc possible de lire un seul des tomes et de comprendre toute l’histoire. Mais lire les deux permet d’avoir l’ensemble des informations, de saisir deux points de vue, et surtout de savourer davantage la caractérisation, puisque les personnages ne perçoivent pas de la même manière et que la narration ne met pas l’accent sur les mêmes choses.

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À l’époque (octobre 1993), Stan & Vince ne sont pas encore très connus, même s’ils ont déjà réalisé Eden (Vince) et Parasite (Stan), deux tomes 1 sans suite chez Zenda. Actifs également dans la publicité et bientôt dans le storyboard, ce sont deux auteurs prometteurs travaillant dans un mainstream trépidant et décomplexé.

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Avec Vortex, ils se lancent dans une série ambitieuse, qui témoigne de la confiance que leur accorde l’éditeur. Le récit, dans l’un comme dans l’autre album, débute sur les chapeaux de roue : les alliés mettent sur pied une technologie de voyage temporel, mais soudain, des saboteurs nazis (on est un peu avant le conflit, mais ça chauffe déjà) surgissent et sabotent l’endroit, s’enfuyant dans un engin temporel qui les projette à plus de mille ans dans le futur. Les savants, qui ne sont pas nés de la dernière pluie, avaient prévu le coup et envoient Tess Wood et Campbell à leur poursuite, en 3020.

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Dans quel ordre lire l’histoire ? La première édition propose des couvertures bien séparées, mettant les deux personnages en scène dans des situations de danger. La seconde édition propose, au contraire, des couvertures multiples, composant quand on les rapproche des images plus grandes. Cela induit un sens de lecture, en commençant par Campbell. Cependant, à titre personnel, je conseillerais de débuter ce diptyque par la partie Tess Wood. Ça me semble un poil plus fluide. Mais les deux choix sont possibles.

Jim

Forts de leur première salve, les deux auteurs enquillent aussitôt sur une deuxième paire d’albums sortis en même temps, et fonctionnant en binôme. Et cette fois-ci, dès la première édition de ces deux numéros 2, les couvertures sont pensées afin de constituer un tout : une petite astuce qui témoigne de la cohérence du propos mais également du fait que le lectorat est là qui les suit. Là encore, cela induit un ordre de lecture, mais rien n’empêche l’amateur d’inverser et de lire dans l’ordre qu’il veut.

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Donc, nos amis Campbell et Tess Wood sont projetés plus de mille ans dans le futur, en 3020 plus précisément, où ils sont momentanément séparés. Quand ils parviennent à se retrouver, ils sont pris dans une bataille et doivent à nouveau suivre deux chemins différents, ce qui justifie une nouvelle fournée d’aventures à leurs noms respectifs.

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Sauf que, cette fois-ci, plutôt que de jouer la carte du récit perçu selon deux angles, les auteurs privilégient celle du paradoxe temporel. En effet, dans l’un des albums, le personnage central profite d’un moment d’inattention de la partie adverse et s’empare d’une machine temporelle afin de revenir au moment crucial (le début du tome) et de tenter de changer le déroulement des événements tragiques auxquels il a assisté. Mais ce faisant, il se retrouve dans son propre passé (premier effet paradoxe), annulant les événements qui constituent son album (deuxième effet paradoxe), tandis que ceux qu’on a lus dans l’autre album sont confirmés, le lecteur découvrant qu’il a lu dans ce dernier le résultat de la bidouille temporelle précédente (troisième effet paradoxe).

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Stan & Vince s’inscrivent dans une science-fiction rétro, avec des motifs visuels renvoyant aux pulps, aux serials, aux comics de l’Âge d’Or. Leur dessin est vigoureux, même si souvent les illustrateurs s’accommodent de leurs propres faiblesses et erreurs, en se montrant très généreux en détails et plein d’énergie dans leur narration. Bref, cette seconde virée sur leur grand huit est une réussite.

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Jim

Mais, du coup, l’intégrale choisit pour nous…

En tout cas, tu as attiré, encore une fois, mon attention…

Tori.

Je ne m’étais pas posé la question, ayant les albums (acheté au début des années 2000, alors que j’avais lu les premiers tomes en bibliothèque quelques années auparavant).

Jim

Allez, on continue.

Donc, après avoir embarqué les héros dans deux séries parallèles, les deux auteurs livrent un Tess Wood & Campbell tome 3 qui, n’en déplaise à la numérotation, est bien le cinquième bouquin de la série (puisque les deux héros ont chacun eu droit à deux épisodes, vous suivez ?).

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Les personnages, eux aussi, ne sont pas en nombre prévu : ils sont plus qu’annoncés. Les détails sont contenus à l’intérieur de l’intrigue, à vous de les découvrir. Toujours est-il que ça court dans tous les sens, ça explose, ça bastonne. Tess et Campbell se retrouvent pris dans la guerre civile du futur qui couve depuis leur arrivée en 3020, et ils doivent essayer d’éviter les balles perdues tout en trouvant des alliances surprenantes.

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C’est là que l’on en apprend davantage sur les deux « espions » que nous avons croisés au début. L’un d’eux n’est ni un espion ni un homme du « présent », même si cela l’arrangeait bien de le laisser croire. Ces révélations éclairent aussi la progression des scénaristes, entre à tâtons et en trompe-l’œil. Une petite impression d’improvisation se fait sentir, qui se confirmera dans les tomes suivants, mais au final ça fonctionne très bien dans l’atmosphère feuilletonnante de la série. On est dans une ambiance un peu à la Ponson du Terrail, où les auteurs inventent au fur et à mesure, et puisqu’ils se placent dans la tradition d’une science-fiction un brin pulp et délirante, ça passe assez bien.

Jim

Le quatrième tome (donc le sixième, héhé) propose en couverture la seconde moitié de l’image, montrant la trogne ricanante du méchant au centre de la composition.

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Les révélations continue, les héros s’allient à un personnage qui pour l’instant n’était pas dans leur camp, et surtout ils quittent cette époque (l’an 3020) pour se précipiter dans l’Égypte antique. Entre-temps, nous les lecteurs avons eu un aperçu de l’identité des personnages qu’on a vu apparaître dans un éclair d’énergie au milieu des deux premiers tomes, et surtout on va suivre deux groupes de personnages qui sautent d’une époque à l’autre et se poursuivent.

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Le côté débridé du récit, qui ne prend pas la précaution de donner des explications en amont (après tout, qu’est-ce que l’amont et l’aval d’un récit quand on parle de voyage dans le temps) et qui envoie les protagonistes dans l’intrigue comme on pousse violemment les boules dans un flipper, en espérant les voir rebondir le plus souvent possible.

Cet album fonctionne comme ça (ou songez à la métaphore des montagnes russes que je suggérais un peu plus haut), les personnages courant partout et quittant bientôt l’Égypte antique pour aller encore plus loin dans le passé, précisément dans le crétacé. C’est là qu’ils perdent leur véhicule temporel, qu’ils aperçoivent une structure technologique qui n’a rien à faire là, qu’ils échappent aux crocs de carnivores voraces et qu’ils retrouvent une figure connue. Le tout sous le regard de créatures d’un autre monde.

Ça speede, les pauses sont rares et courtes, et les lecteurs sont ballottés d’une époque à l’autre, dans un festival de clins d’œil et de références (parce que, je ne l’ai pas dit, mais Stan & Vince sont complètement dans les traces des EC Comics, de Wally Wood et autres dessinateurs des années 1950, s’amusant à visiter les lieux que leurs prédécesseurs fréquentaient sur leurs planches).

Jim

Comme là :

Farpaitement,
La deuxième est d’ailleurs une reprise d’une publicité qu’ils avaient faite pour une librairie parisienne, Mondes mutants, il y a environ trente ans. Faudrait que j’en retrouve une et que je la scanne.

Tiens, j’en retrouve deux, mais pas celle à laquelle je pense. Deux pubs dans des styles différents (la première présentant les deux vendeurs de la boutique, Walter et Bruno, qui ressemblaient presque à leur caricature)…

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Jim

Le tome 5 (donc le septième bouquin dans la série, hein…) continue sur la lancée, retombant en partie sur ses pattes (la guerre imminente) et résolvant quelques intrigues en cours (la fameuse tempête temporelle qui menace les installations dans le « présent »).

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Les héros ont retrouvé le professeur à l’origine du programme temporel, qui s’est matérialisé à leur époque (les explications techniques viendront plus tard, et encore, parcellaires : ce n’est pas l’important, car l’important, c’est l’action). Ensemble, ils font la rencontre d’étranges créatures qu’ils poursuivent jusqu’à un très lointain futur. Cette race a appris à maîtriser le voyage dans le temps mais s’inquiète des vagues de destructions temporelles dans le « présent » des héros, ce qui les oblige à repartir en mission afin de rattraper les deux criminels de 3020 qui leur échappent pour l’instant.

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Donc, recavalcade, refusillade, rebaston, revoyage dans le temps. L’album est un peu plus long, et permet d’accueillir ce déluge de péripéties plutôt de bon aloi, dans cette logique de serial qui tient la route à condition de ne pas y regarder de trop près. Ce que je conseille, d’ailleurs : le plaisir n’est pas dans le décortiquage mais plutôt dans la vaste attraction remuante qu’ils ont montée pour leurs lecteurs en les invitant à y grimper et à hurler alors que l’ensemble prend de la vitesse.

Ce tome 5 (donc 7, je vois l’ai déjà dit ?) marque également la fin de ce que les auteurs et l’éditeur appellent la « première époque ». En effet, l’intrigue touche à sa fin, les méchants sont rattrapés, la tempête endiguée… Mais il reste des choses irrésolues, et les derniers dialogues, ainsi que le point d’interrogation après le mot « FIN », laissent entendre qu’une seconde époque se prépare. La suite au prochain numéro.

Jim

Petite curiosité : avant d’évoquer la seconde époque de la série, arrêtons-nous sur cette planche qu’on peut trouver sur le net.

La personne qui a posté l’image attribue le dessin à Stan & Vince. Les marques sur la planche laissent entendre qu’il pourrait s’agir de la troisième planche du tome 4. Mais la scène ne correspond à rien de ce qu’on peut trouver dans l’album. Plus frappant, le style de dessin n’est pas celui des deux auteurs (les lecteurs du diptyque Sidney & Howell le reconnaîtront).
Il s’agit de Nicolas Moraës, un dessinateur qui n’aura fait que quelques incursions dans le monde de la bande dessinée (les deux albums de Sidney & Howell cités plus haut ainsi que, plus récemment, une histoire courte dans un numéro de Doggy Bags chez Ankama, sous le pseudonyme de Kartinka) avant de retourner dans l’univers de la photographie de mode. Je lui ai demandé des précisions, et voici ce qu’il m’a répondu : « Oui, c’était un essai libre pour Vortex, au bic direct et pinceau. Tout l’encrage est de moi… »
Plus précisément, et d’après Nicolas lui-même, « oui, c’etait pour un spin off. Ils [Stan & Vince] m’avaient demandé de faire un essai… », ce qui confirme la suggestion d’un des commentateurs en réponse au propriétaire de la planche, un projet donc qui n’a pas abouti.

Jim

La seconde époque de Vortex s’ouvre sur un enjeu déjà expliqué à la fin du précédent tome (retrouver le professeur) et sur une manifestation temporelle que j’ai toujours trouvé complètement ridicule dans son principe et particulièrement réjouissante dans sa mise en scène : la « dévolution », pour reprendre un anglicisme souvent utilisé. En gros, le temps va à rebours, et les choses et les êtres aussi, un char d’assaut devenant une calèche et un homme contemporain une créature préhistorique. Deux exemples que les auteurs s’empressent de représenter, bien conscients de l’impact visuel.

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Campbell et Tess Wood assistent à ce genre de phénomènes et comprennent que c’est lié à la disparition du professeur : l’histoire a été réécrite, certaines personnes ne les connaissent pas (et inversement) et ils se mettent en tête d’aller réparer les dégâts en récupérant les différents effets qu’ils ont laissés traîner ici et là (dans la préhistoire, dans l’Égypte antique, dans le futur). Tess sachant se servir de la plate-forme temporelle qui est, dieu merci, toujours là et opérationnelle, elle envoie Campbell, mais ses agissements sont repérés, elle est arrêtée et envoyée à New York, une ville désormais aux mains (aux pattes, plutôt) de tribus simiesques ayant subi la vague temporelle de plein fouet.

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C’est à peu près aussi con qu’Un coup de tonnerre de Peter Hyams, mais c’est nettement plus réjouissant, parce que l’intrigue, les personnages et les auteurs ne se prennent pas au sérieux. Les références abondent, tant visuelles que textuelles, le rythme est soutenu, et les deux dessinateurs s’en donnent à cœur joie, ménageant de la place pour des grandes cases, et même une double page tonitruante.
L’encrage est moins gras que précédemment (j’ai une petite préférence pour leur première manière, même si tout cela reste très maîtrisé), et les personnages sans doute plus caricaturaux, affichant des expressions de surprise, de peur ou de dégoût parfaitement surjouées, mais qui correspondent très bien à la dimension exagérée du récit.

À la fin de l’album, Tess grimpe à son tour sur la plate-forme, dans l’espoir de retrouver Campbell lui aussi perdu dans le temps, de le ramener et de compléter sa mission. Tout finit dans un grand éclair : la suite au prochain numéro !

Jim

À la fin du tome précédent, Campbell a été précipité dans un passé indéterminé, avant que Tess soit capturée. Nous le retrouvons donc, dans un décor que le héros et ses lecteurs reconnaissent vite : le Londres du XIXe siècle.

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Le héros, allant de surprises en rencontres, finit par être recueilli par une famille dont les filles s’occupent du bel inconnu, dans un remake amusé des Proies de Don Siegel, bien plus innocent que l’original. C’est donc l’occasion pour lui de découvrir les actions d’une société de nantis qui nourrit des plans obscurs et pratique des sacrifices humains (pour lesquels Campbell constitue un mets de choix).

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Le récit est trépidant, très dense, bourré de références surtout liées aux ambiances, qui renvoient à la littérature post-gothique, aux films de la Hammer et à plein d’autres choses un brin steampunk. Ça va très vite, les pages sont d’une grande densité, ce qui contraste avec l’album précédent, plus décompressé. Sans doute les auteurs ont-ils le sentiment d’avoir beaucoup à raconter, et l’envie de tirer un maximum de cartouches.

Jim