WONDER WOMAN : DIEUX ET MORTELS t.1-2 (Perez, Potter, Wein)

[ul]]Séquence autocitation : je reproduis ici la « défense et illustration » que j’ai initialement écrite dans un topic nommé « Quel comics lire en VF aujourd’hui ? » sur un-autre-forum – ceci pour situer le contexte et, partant, et en partie, l’approche : en effet ce topic s’adresse d’abord à des néophytes en matière de comics et pas forcément ultra-versés, ni ultra-fans, en matière de super-héros. Je me permets d’espérer, cela dit, que certains ici aussi pourront peut-être y trouver un intérêt./:m][/ul]

Voilà un titre enfin disponible pour la première fois en français (en deux tomes, le second arrive dès cet été), trente ans après sa publication originale, et qui mérite à mon sens de figurer dans une short list (même « très short ») des séries de super-héros.

Suite au grand chambardement éditorial Crisis on Infinite Earths, plusieurs des héros de l’univers DC virent leurs origines rebootées. Ce fut notamment le cas pour Wonder Woman avec cette mini-série « Gods and Mortals », Dieux et mortels dans la langue de Molière, mais aussi pour Superman avec le Man of Steel de Byrne, sans oublier le Batman Année Un de Miller et Mazzuchelli – pas un reboot à proprement parler, mais on voit que la revisitation des origines était dans l’air du temps. Alors, qu’est-ce qui fait que le titre mérite sa place dans une* sélection sélective* d’indispensables du genre, qu’elle s’adresse à des néophytes ou à des amateurs chevronnés ?

Le run de Pérez fait partie des tout meilleurs titres consacrés à un personnage majeur de l’univers DC et qui n’a pourtant été qu’assez rarement bien servie (Pérez sur WW, c’est un peu la lumière du phare isolé au milieu d’un demi-siècle de production allant du médiocre au catastrophique, entre la fin de la période initiale par Marston et les runs réussis des années 2000 par Jimenez, Rucka et Simone). Mais s’il donne tout son lustre à Wonder Woman, il privilégie pour cela une approche originale, qui diffère grandement de la norme en matière de récit super-héroïque. Ainsi, sur les quatorze épisodes réunis dans ce premier volume, un seul est consacré à la traditionnelle baston contre un super-vilain (en l’occurrence une super-vilaine, Cheetah). Symptomatiquement, on peut aussi mentionner que les exploits de Wonder Woman aux côtés de la Ligue de Justice durant l’event Legends (La Légende de Darkseid chez Urban), qui auraient pu faire l’objet d’un épisode tie-in, sont expédiées et résumées en quelques lignes dans un épisode se présentant pour l’essentiel comme une succession d’extraits de journaux intimes de personnages secondaires, et joliment intitulé « Le temps passe… » : l’essentiel n’est pas là…

Car c’est finalement moins en tant que Wonder Woman qu’en temps que Diana de Themyscira que Pérez semble s’intéresser au personnage. D’une part, il la réinscrit très fortement dans un contexte de mythologie grecque revisitée – dont je ne peux, au passage, m’empêcher de me demander à quel point il n’a pas marqué un Neil Gaiman (Sandman et American Gods viennent à l’esprit plus d’une fois). D’autre part, il en fait, avant d’être une super-héroïne, une émissaire de la culture amazone (Greg Rucka, à plus d’un titre l’héritier « direct », à quinze ans de distance, de l’approche de Pérez, au point qu’il m’arrive de ne plus bien me souvenir si un épisode appartient à l’un ou l’autre run, en fera une ambassadrice officielle). À ce titre, Diana est à la fois une candide plus d’une fois perdue face à sa découverte du fonctionnement du « monde patriarcal » et de la modernité (un détail parmi d’autres, mais elle ne parle pas spontanément anglais…), et le fier porte-étendard d’un discours féministe et pacifiste, voire déjà pro-LGBT (ce dernier élément restant « discret », époque oblige, mais si la question de relations sexuelles entre Amazones est réfutée comme une insinuation « salace » de Pan, il n’en reste pas moins que celles-ci se font à longueur de temps des déclarations d’amour et témoignent parfois d’un comportement montrant un attachement passionné : cf. notamment la relation entre Hyppolyte et Philippus).

La force de Wonder Woman : Dieux et mortels (tout le programme est dans le titre !) est de faire de son héroïne un trait d’union – et, du point de vue de l’économie narrative, un point d’équilibre – entre une dimension « mythologique », ici prise au pied de la lettre (les dieux de l’Olympe sont très présents sur la page comme dans les enjeux), et une dimension très humaine : les militaires Steve Trevor et Etta Candy, l’universitaire Julia Kapatelis et sa fille Vanessa ou encore la publicitaire Myndi Mayer entourent Wonder Woman d’un large casting dépourvu de super-pouvoirs mais non d’intérêt, de psychologie et d’émotions, ancrant le récit dans le réel. L’histoire de Diana Trevor, la mère de Steve, dévoilée dans l’un des derniers épisodes de ce volume, peut par ailleurs s’interpréter comme une démonstration qu’il n’est pas nécessaire de posséder des pouvoirs fantastiques pour devenir une héroïne et un emblème.

Indispensable à tout fan de Wonder Woman, à peu près incontournable pour tout amateur de comics super-héroïques en général, et, de par sa capacité à sortir des sentiers battus du genre, valant la découverte pour ceux qui y sont plus réfractaires, Dieux et mortels est tout simplement un classique, et un modèle d’approche intelligente. À lire en VF aujourd’hui si vous avez fait l’erreur de passer à côté depuis quinze jours, avant de poursuivre avec Greg Rucka présente Wonder Woman, également de très bonne tenue, dans la droite filiation et continuation de Pérez.