X-MEN : L'INTÉGRALE 1963-1998

Le départ de Byrne consommé, Claremont et son nouveau ex-acolyte Dave Cockrum se lancent dans une grande saga spatiale qui occupera pratiquement toute l’année 1982, la fameuse « Saga des Broods ». Le titre n’a pas fini de faire parler de lui…

X-Men : l’intégrale 1982 (Uncanny X-Men 153 à 164 / Uncanny X-Men Annual 6)

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*Alors que les X-Men travaillent d’arrache-pied pour réparer leur QG après l’assaut du Club des Damnés, Kitty profite d’un moment d’accalmie pour distraire la petite Illyana, soeur de Colossus, en inventant une histoire qui met en scène des X-Men version « conte de fées », à la grande joie de toute l’équipe massée derrière la porte de la chambre de la petite.
Xavier décide, afin de pallier à l’absence d’un QG en bon état de marche, d’occuper la base de Magneto du Triangle des Bermudes ayant vu leur dernier affrontement. Seuls Cyclope et Tornade restent à l’école, et entame une relation amicale de leader à leader. Ils sont rejoints par le Corsaire, qui atterrit sur Terre en catastrophe. Cyclope apprend à cette occasion qu’il s’agit de son père, un fait que Jean Grey lui avait caché, à la demande du Corsaire. Ce dernier est pourchassé par les Sidris, de terribles chasseurs de primes intergalactiques.
Débarrassé de ces derniers, Corsaire révèle la raison de sa présence : Lilandra, impératrice des Sh’iars, a été capturée et emmenée sur Terre. Sans nouvelles d’elle, l’armée Sh’iar mené par l’amiral Samedar va anéantir la planète…

Les X-Men négocient un délai et sollicitent l’aide des Vengeurs, absents : seule Tigra vient leur prêter main-forte pour affronter Deathbird, soeur de Lilandra et instigatrice du complot, et ses alliés, les mystérieux Broods. Durant le combat, Colossus est laissé pour mort par Deathbird, et les forces de l’ordre appréhendent les X-Men. Ils sont cependant tirés d’affaire par les Starjammers, venus récupérer le Corsaire, qui soignent Colossus. Mais Xavier est enlevé à son tour.
Pour le secourir, les X-Men affrontent les Broods, tandis que Diablo et Kitty, retenus par les Sh’iar, convainquent une partie de la Garde Impériale de rallier leur cause. Samedar s’avèrera finalement un traître à la solde de Deathbird, et s’il a le temps de tuer le chancelier Araki, il ne peut mettre sa menace de destruction de la Terre à exécution. Les X-Men récupèrent un Charles Xavier catatonique, que même la télépathe Oracle échoue à sauver, celui-ci semblant désirer mettre fin à ses jours.

Inquiets de la montée de l’hystérie anti-mutante et de l’implication du gouvernement (via le sénateur Kelly) dans celle-ci, les X-Men décident de s’introduire dans le Pentagone pour y effacer les données les concernant. Mais ils y affrontent Mystique et Malicia de la Confrérie des Mauvais Mutants. Mystique est arrêtée, mais les X-Men constatent que leur action n’a fait qu’empirer les choses.
Les X-Men affrontent par la suite à deux reprises le seigneur vampire Dracula, qui s’intéresse de près à Ororo, dont il veut faire sa reine. Impressionnée par la force de volonté de celle-ci, il décide de relâcher son emprise sur elle dans un premier temps, mais revient à la charge pour être défait par Rachel Van Helsing. Mais les mutants sont aussitôt confrontés à une autre menace mystique en la personne du sorcier Belasco, qui kidnappe l’équipe. Il s’intéresse surtout à la petite Illyana. Dans les Limbes hors-du-temps de Belasco, les X-Men rencontrent des contreparties « âgées » d’eux-mêmes ayant échoué à vaincre Belasco et son serviteur le démon S’ym. C’est cette rencontre qui leur permet d’échapper aux Limbes, mais Illyana y est retenue par Belasco : elle rentre quelques secondes à peine après les autres mutants, mais émerge vieillie de sept longues années…

Alors que Xavier est toujours plongé dans un profond coma, il se remémore son séjour en Israël bien des années auparavant, et sa rencontre avec une rescapée de l’holocauste, Gabrielle Haller, avec qui il entame une relation. Il rencontre aussi à cette occasion un autre survivant d’Auschwitz, un certain Magnus, qui n’est autre que le futur Magneto. A eux deux, ils défont le Baron Von Strucker, ancien agent nazi à la tête de l’Hydra, et Magnus s’enfuit avec tout le trésor de guerre de ce dernier. Xavier finit par émerger de son coma au grand soulagement de tous. Mais alors que les X-Men fêtent l’évènement, ils sont attaqués par Deathbird, qui usurpe le trône de sa soeur, et la livre, ainsi que les X-Men, aux Broods, qui cherchent des hôtes exceptionnels pour les précieux oeufs de leur Reine.

Seul Serval parvient à s’échapper. Il découvre la vérité sur le plan des Broods, mais son facteur auto-guérisseur a tôt fait de le débarrasser de l’embryon brood qu’il héberge. Libérant dans un premier temps Carol Danvers, livrée à des expériences des Broods, Serval finit par libérer ses autres équipiers mais n’ose leur dire quel destin funeste les attend.
Les X-Men livrent une rude bataille spatiale aux Broods, mais prennent un avantage décisif quand Carol Danvers réalise l’étendue des pouvoirs à elle conférés par les expérimentations des Broods. Elle devient Binaire. Logan révèle alors le plan des Broods aux autres X-Men et leur annonce qu’ils sont condamnés ; Binaire au mépris de la survie de ses camarades décide de foncer détruire leurs effrayants adversaires…*

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L’ère post-Byrne s’est amorcée l’année précédente, et à l’exclusion de deux épisodes mémorables (144 et 150), force est de constater que le titre, malgré le retour de Cockrum, marque un peu le pas. Mais Cockrum est loin d’avoir dit son dernier mot : il ouvre l’année 82 par un épisode d’anthologie qui lui doit beaucoup, et entame, en collaborant de près avec Claremont on l’imagine, une grande saga spatiale qui le montrera plus à son aise que dans un contexte plus « urbain » et réaliste…
L’épisode 153, « Le conte de Kitty », est un must absolu, et un des favoris des fans toutes périodes confondues, peut-être plus encore pour les lecteurs qui comme votre serviteur ont eu la chance de lire cet épisode enfant. Ce délire jouissif est une idée de Cockrum ; on a beaucoup parlé au sujet de cet épisode de l’influence de la série « Elfquest », des époux Dini, qui cartonne à l’époque. Cet apport, assumé par les auteurs explicitement (Kitty porte un tee-shirt « Elfquest »), est probablement du fait de Claremont. Mais l’impulsion initiale vient de Cockrum et d’une de ses lectures de jeunesse de prédilection, la série « T.H.U.N.D.E.R. Agents », et notamment un épisode à la structure identique (un conte de fées basé sur les personnages du titre, raconté à un neveu alité…).
Cockrum fait un travail de re-design absolument ébouriffant sur les personnages, notamment sur Serval et Diablo, la race des Bamfs qui fait son apparition ici intégrant plus tard la continuité « officielle ». Thématiquement, c’est l’occasion pour Claremont (et pas pour la dernière fois) de revenir sur le Phénix Noir et de donner une sorte de happy-ending de « substitution » à la Dark Phoenix Saga…
A la base, Cockrum est tellement content de ce que Claremont lui donne en retour de l’idée initiale que le tandem envisage de consacrer deux épisodes au conte, ou alors de faire du numéro 153 un épisode double. L’éditrice Louise Simonson rejette cependant l’une et l’autre de ces options, considérant que l’histoire n’est pas suffisamment « importante » pour justifier de telles mesures. Les auteurs coupent alors beaucoup de choses, dont un affrontement avec les Vengeurs version « fairy tale » qui ne restera qu’un fantasme de fan. Très à l’aise dans l’ambiance « swashbuckler » adoptée ici, Cokrum reviendra 3 ans plus tard à cet univers à travers une mini série consacrée à Diablo.
L’épisode est une petite perle, toujours aussi touchant et drôle après toutes ces années.

Changement complet d’ambiance avec le numéro 154, qui marque le début de la très (trop ?) longue saga des Broods, qui s’étendra au final sur 10 épisodes (ce qui est considérable à l’époque) et débordera sur l’année 1983. C’est déjà le chant du cygne pour Cockrum, qui ne terminera même pas la saga (c’est Paul Smith, son successeur, qui s’en chargera). Pourtant, on sent bien sa patte sur ce « space-opera » quelque part entre « Star Wars » et « Alien » de Ridley Scott : c’est par exemple l’occasion pour les auteurs de réintroduire les Starjammers, une création de Cockrum à peine entrevue lors de la précédente saga cosmique des mutants. Cockrum souhaitait en fait consacrer un titre à part entière à ces corsaires de l’espace, mais par dépit les introduira dans les X-Men. Claremont en profite pour étoffer le background des Summers, puisque le père disparu de Scott et Alex s’avère être devenu une sorte de pirate de l’espace, un point qui demande évidemment un immense effort de suspension d’incrédulité de la part du lecteur ; mais ce type de prises de liberté avec les probabilités et les coïncidences fait partie intégrante de l’écriture claremontienne, et concourt en fait à son charme.

La saga est en quelque sorte coupée en deux : elle occupe les épisodes 154 à 157, puis 162 à 167, les épisodes 158 à 161 étant des stand-alones, tous aussi cruciaux les uns que les autres (pour des raisons différentes). La première partie de la saga, la moins convaincante, est cependant dans la bonne moyenne du deuxième run de Cockrum. Les auteurs y introduisent nombre de concepts appelés à devenir importants pour la suite.
Ainsi le numéro 154 permet à Claremont d’installer une relation intéressante entre Cyclope et Tornade, faite d’amitié naissante et de respect mutuel, mais aussi de rivalité quant au leadership (qui culminera des années plus tard). Surtout, Cyclope apprend à connaître son père, et Claremont en profite pour induire un désaccord père / fils bien dans le ton de ce qu’il fait par ailleurs avec Serval et Tornade, notamment : Corsaire tue sans états d’âme, Cyclope s’y refuse catégoriquement. Cet arc sera l’occasion pour Claremont de réfléchir à la question, la saga se révélant même être un moment-clé pour plusieurs personnages de ce point de vue. L’école est détruite au cours de l’épisode, ce n’est pas la dernière fois que cela se produira…

L’épisode 155 marque quant à lui l’apparition de Deathbird et des Broods. Nous reviendrons sur ces derniers, pour l’instant cantonnés aux seconds rôles. La première est la soeur démente de Lilandra (il est sous-entendu qu’elle a assassiné leur mère), à la fratrie décidément bien frappadingue (rappelez-vous de l’empereur fou D’Ken). Deathbird, à l’instar de Mystique, est une création de Claremont pour « Miss Marvel », mais jusque là, le personnage est loin d’avoir fait des étincelles. Elle a même été facilement défaite dans les pages des Vengeurs par un Oeil-de-Faucon en solo, pourtant dénué de pouvoirs. Claremont redore brutalement le blason du personnage en en faisant « l’assassin » de Colossus : évidemment, le mutant russe ira mieux dès l’épisode suivant, mais à l’époque, on est moins habitué aux morts et résurrections quasi mensuelles. Les lecteurs de l’époque, qui ont déjà vu mourir Epervier et Phénix, y croient (et l’auteur de ces lignes aussi, à l’époque). Pas la trouvaille scénaristique la plus aboutie de Claremont que cette fausse mort, et plutôt inutile dans le contexte global de la saga, si ce n’est que des limites claires aux pouvoirs de Colossus sont établies…
Contre toute attente, et malgré la proximité du mentor de l’équipe avec l’impératrice Sh’iar Lilandra, Deathbird ne s’imposera pas comme un adversaire majeur des X-Men, ne réapparaissant qu’à la toute fin du run de Claremont, quand Jim Lee est déjà en place.
Les Starjammers (plus discrets par la suite) joue un rôle majeur dans cette partie de la saga, et les auteurs s’autorisent quelques trouvailles originales, comme les Acantis, sortent de pacifiques baleines de l’espace qui auront un rôle important dans la résolution du récit…et évidemment les Broods.

C’est probablement Claremont qui impose ce concept, souhaitant revenir sur une référence déjà convoquée dans le titre, à savoir « Alien » de Ridley Scott. Les « sleazoïdes » (surnom conféré par Logan, qui va vite devenir « canonique ») sont des décalques appuyées du xénomorphe de Dan O’Bannon et HR Giger. Le problème, c’est que si Cockrum se sent très à l’aise dans le registre de l’odyssée cosmique, il n’est peut-être pas le plus à même de retranscrire le côté « horreur organique » qui va avec le concept (et les standards de l’époque en termes de violence ne l’y autorisent de toutes façons pas vraiment). Là aussi, de manière étonnante, les Broods ne feront plus qu’une autre apparition dans le run de Claremont, mais particulièrement mémorable, sous le crayon de Marc Silvestri.
La première partie de la saga s’achève sur un cliffhanger qui deviendra un sub-plot à court terme : le lecteur a en effet compris que le Prof X a été contaminé par un embryon Brood, cause de sa catatonie…

Le premier des stand-alones évoqués plus haut est le numéro 158. Il relate le retour de Mystique, et surtout la première apparition de Malicia dans les pages de « Uncanny X-Men ». Elle y est méconnaissable au regard de ses apparitions ultérieures : elle est encore ici, très largement, la super-vilaine impitoyable du « Avengers Annual 10 ». Elle échappe aux X-Men à la fin de l’épisode et c’est peu dire que la rédemption n’est pas encore à l’ordre du jour.
L’épisode creuse aussi le passé commun à Serval et Carol Danvers, dont il semble bien qu’ils aient travaillé ensemble, Logan évoquant même une association avec feu Michael Rossi, un agent éliminé par Stephen Lang aux premières heures du titre. Cette relation sera à la base d’histoires ultérieures, à Genosha par exemple, et plus généralement à chaque fois que Carol prend le dessus sur la personnalité de Malicia.
L’épisode est aussi, hélas, l’occasion de constater à nouveau les limites de Cockrum dans le registre plus réaliste / barbouzard de l’intrigue… Dommage car Claremont, s’il ne rechigne pas aux sagas spatiales (qui ne semblaient pas la tasse de thé du Byrne, sur ce titre en tout cas), va plutôt se rabattre sur ce champ dans le futur proche. De toutes façons, Cockrum ne va pas tarder à faire ses valises…à son grand dam.

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L’épisode 159 et le sixième annual mettent tous deux en scène Dracula, le célèbre vampire imaginé par Bram Stoker. S’il ne s’agit pas là d’un adversaire « évident » pour les mutants, il n’est pas illogique cependant que les X-Men finissent par l’affronter. D’une part, Claremont fait une bonne place aux antagonistes d’origine « mystique » dans ses épisodes, et Dracula est un « possesseur d’esprits » comme il les affectionne ; d’autre part, on aura compris le souci constant du scénariste de lier l"univers mutant au reste de l’univers Marvel (quitte à agacer certains de ses collègues) ; or à l’époque une bonne part de cet univers a eu maille à partir avec le plus célèbre de vampires (le Docteur Strange débarrassera par la suite l’univers Marvel de Dracula et de tous les vampires, à l’exclusion de son propre frère, avec la même formule invoquée ici). Profitant d’un renouveau des figures horrifiques classiques (c’est-à-dire, pour le dire vite, des protagonistes des films d’horreur de la Universal dans les années 30, comme le Loup-Garou, la Momie, Dracula donc…qui auront tous leur contrepartie Marvel), ce dernier devient au début des années 70 le « héros » d’un titre désormais mythique, « Tomb Of Dracula » de Wolfman (!!) et Colan, qui verra par exemple l’apparition du fameux Blade.
Si l’épisode 159 est au final assez anecdotique (l’annual est déjà un peu plus consistant), ces deux épisodes sont surtout l’occasion de voir arriver sur le titre un artiste exceptionnel et singulier, le grand Bill Sienkiewicz. Celui-ci fait des merveilles avec Doug Moench sur « Moon Knight » en émulant le style de Neal Adams, son idole. Associé au plus conventionnel Bob Wiacek, il est ici plus « discret ». Son style entrera dans une phase de mutation totale à partir de 1984, année où il revient à l’univers mutant, pour illustrer des épisodes mémorables des « New Mutants »…
Car oui, l’univers mutant est en pleine expansion, et ce n’est pas prêt de s’arrêter.

Le numéro 160 est un fill-in du talentueux Brent Anderson. Renouvelant sa performance plutôt « macabre » du numéro 144, Anderson se révèle parfait pour cet épisode très sombre pour l’époque. Claremont y exhume un adversaire de Ka-Zar, Belasco, un sorcier italien contemporain de Dante et régnant sur les « Limbes ». des limbes à ne pas confondre avec celles gouvernées par Immortus, l’adversaire des Vengeurs (encore que…).
Plus que le sorcier manchot Belaso que l’on ne reverra plus que le temps d’une mini-série complémentaire de cet épisode (et un peu chez les FF d’Englehart, aussi), l’apport principal de l’épisode (en plus du concept des Limbes intemporelles) est la création de S’ym. A terme, c’est ce personnage qui mènera aux évènements d’« Inferno », une saga cruciale qui peut être vue comme le point final à ce que Claremont met en place ici, 7 ans auparavant.
S’ym, cela a été relevé maintes fois, est un personnage qui fait écho à un auteur de BD et à sa création emblématique, à savoir Dave Sim et son « Cérébus ». Durant la première partie de sa longue existence, Cérébus est une sorte de parodie du « Conan le Barbare » de Roy Thomas, et sert de véhicule à une mise en boîte du monde des comics (avant de se muer en une série beaucoup plus ambitieuse). Dans un épisode, Cérébus croise le chemin d’un mystique habitant un sanctuaire ressemblant beaucoup à celui du Docteur Strange, et qui répond au nom de…Professeur Charles X. Claremont. Les choses sont claires.
Claremont rétorque donc dans cet épisode, avec son S’ym au patronyme transparent qui ressemble à une version démoniaque de Cérébus…

Thématiquement, Claremont fait un pas de plus vers l’âge sombre à venir. La chute de l’épisode, assez glaçante et de mauvaise augure, contribue à la noirceur générale de plus en plus prononcée du titre. Mine de rien, Claremont rejoue ici, après « Days of Future Past », un autre futur alternatif catastrophique des X-Men, qui rencontrent des versions d’eux-mêmes jamais sorties des Limbes. Quelques visions funestes comme celle du squelette de Serval (à nouveau) ou de Colossus à la cage thoracique défoncée font référence soit à des développements tout récents, soit à la fameuse saga susnommée. Claremont semble toutefois s’empêtrer lui-même dans ses paradoxes temporels (même si le concept flou des Limbes autorise les approximations), mais conclue l’épisode sur un coup de théâtre fort prometteur, le « vol » de l’enfance d’Illyana qui devient subitement une adolescente. Si Claremont a peut-être des plans pour la jeune fille, l’astuce se révèle en tout cas parfaitement raccord avec la thématique de la perte de l’innocence que le scénariste travaille maintenant de front…
Un épisode très dense, très riche, imparfait mais crucial, une pierre angulaire de la saga.

L’épisode qui suit ne l’est pas moins : le numéro 161, en effet, est l’un des plus importants de tout le run claremontien. Il s’inscrit dans la droite ligne du fameux « Psi War » sous l’ère Byrne, qui voyait un jeune Xavier affronter son premier mauvais mutant. Tout aussi fondateur (si ce n’est plus), cet épisode introduit Gabrielle Haller (future mère de Legion), et surtout fait la lumière sur les relations passées entre Magneto et Xavier. Les deux hommes se connaissent, ils se sont croisés 15 ou 20 ans avant « X-Men 1 » en Israël.
Coup de génie de Claremont : c’est l’épisode qui achève de cimenter « son » Magneto.
Xavier fait la connaissance de Magnus, ce mutant surpuissant qui n’est pas encore Magneto, mais dont les opinions sur la marche à suivre quant à l’avenir de la mutanité divergent déjà franchement de celles de son « camarade ». Magnus (c’est ainsi que l’on pense que Magneto se nomme vraiment à l’époque) est un survivant des camps de la mort, et Gabrielle Haller aussi. Si la deuxième moitié de l’épisode est consacré à des péripéties très « Indiana Jones » dans l’esprit (méchants nazis et trésors perdus du IIIème Reich inclus), la première permet à Claremont de creuser le sous-texte de l’holocauste comme horizon final de la relation humains / mutants. A partir de ce constat les moyens divergent, mais il est désormais difficile de considérer Magneto, comme Byrne le fait, comme un simple tyranneau de bas étage.
Il est à noter qu’à l’instar d’un Art Spiegelman dans « Maus », les auteurs choisissent de ne pas se confronter directement à la représentation de la barbarie nazie : en guise d’officier SS, c’est un soldat inhumain qui tient plus de l’animal qui hante les recoins de l’esprit de Gabrielle.
Episode incontournable de la saga mutante, ce numéro est aussi la base scénaristique du récent « X-Men : First Class » au cinéma, où le Prof et Magneto sont censés avoir travaillé ensemble avant de diverger. C’est également à cet épisode que se réfère la saga « Legion Quest », durant laquelle le fils de Xavier remonte le temps pour éliminer Magneto, mais finit par tuer son père. C’est donc cet épisode qui constitue le point de divergence qui mène à la réalité alternative connue sous le nom d’Ere d’Apocalypse…

Les trois derniers épisodes du volume marquent un retour à la fameuse saga des Broods, qui traîne quand même un peu en longueur, trop pour son propre bien, sans compter qu’elle phagocyte l’attention des auteurs et ne permet pas le développement des fameux sub-plots. La saga aurait probablement gagné en impact en étant plus ramassée.

Le numéro 162 est quand même un grand cru : c’est le premier épisode à être intégralement raconté du point de vue de Serval, très largement mis à l’honneur ici. Il y a une raison pragmatique à ça : le mois précédent, le premier numéro de la première mini consacrée au personnage (celle, historique, où Claremont s’associe à Frank Miller, auréolé de gloire pour son « Daredevil ») est sorti. Comme dans la mini en question, les « captions » traditionnelles sont remplacées par la voix off / intérieure de Logan. Un procédé qui sent bon son Miller, de même que la célèbre réplique « je suis le meilleur dans ma partie… », inaugurée dans la fameuse mini, mais importée dans la série mère à l’occasion de cet épisode. Sans surprise, après le premier affrontement contre le Club des Damnés, Logan s’y impose un peu plus comme un membre à part des X-Men : son facteur auto-guérisseur, guère impressionnant jusque là, y fait des merveilles, et il se révèle plus impitoyable qu’on ne le pensait puisqu’il est prêt à régler leur compte à tous ses camarades en l’absence d’un remède pour eux… Il donne enfin toute la mesure de ses talents de tueur face aux inhumains Broods.
Dans le registre un peu plus SF super-héroïque qui lui va si bien, Cockrum fait des merveilles, notamment à l’occasion d’une mémorable double page qui présent la capitale Brood (en fait le cadavre d’un Acanti gigantesque).

Les épisodes 163 et 164 voient quant à eux l’apparition de Binaire, soit le nouvel avatar de Carol Danvers, qui en connaîtra encore bien d’autres. Une création un peu bancale, qui lorgne trop ouvertement sur le défunt Phénix. Claremont n’avait de toutes façons probablement pas prévu de l’intégrer à l’équipe, vu les développements ultérieurs.
Si on a toujours l’impression que Claremont et Cockrum tirent un peu à la ligne avec leur histoire, cette deuxième partie de la saga s’avère plus intense que la première (malgré des redondances) du fait du sort particulièrement lugubre qui semble attendre les X-Men, la transformation en Broods (variation sur le contrôle mental / possession typique de Claremont). Les X-Men n’en sortiront pas vraiment indemnes, et particulièrement Tornade, chez qui des changements majeurs s’annoncent. Les X-Men sont de plus confrontés à un dilemme éthique : doivent-ils éliminer les Broods ? Logan a sa réponse, et on l’aura rarement vu aussi déterminé qu’à travers cet arc.

Le numéro 164 est aussi le deuxième et dernier chant du cygne de Cockrum sur le titre. Celui-ci confiera avoir regretté sa décision de partir, mais Shooter venait de lui donner le feu vert pour le projet « Futurians » qui lui tient particulièrement à coeur, et qui lui impose de choisir. Il le regrettera d’autant plus amèrement qu’après avoir décidé de partir, il reçoit son premier chèque de royalties depuis son retour, et il constate qu’être le dessinateur des X-Men est une activité devenue lucrative : en effet, le titre a gagné quelques 100000 lecteurs depuis l’ère Byrne (résultat évidemment du bon bouche-à-oreille de celle-ci). Mais sa décision était prise.
Il sera avantageusement remplacé par un certain Paul Smith…

Prochain épisode : Un très grand cru !! La conclusion d’une saga majeure, l’apparition de nouveaux concepts porteurs, l’arrivée d’un dessinateur exceptionnel…n’en jetez plus !

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