X-MEN : L'INTÉGRALE 1963-1998

This is it !! Retour de nos chroniques, année par année, du run séminal de Chris Claremont sur les plus célèbres des mutants. La prestation de Claremont et de son nouveau partenaire John Romita Jr au cours de l’année 1984 est peut-être moins flamboyante et spectaculaire que la période Paul Smith ou que la dernière année de John Byrne sur le titre, mais elle n’en reste pas moins passionnante et novatrice…

X-MEN : L’INTEGRALE 1984 (Uncanny X-Men 177 à 188)

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Dans un parc d’attractions désaffecté, Mystique, leader de la Confrérie des Mauvais Mutants, est attaquée par Serval, mais elle s’en débarrasse facilement, avant d’éliminer également tous les X-Men les uns après les autres. Elle finit par hésiter devant Diablo et est vaincue. Il s’agit en fait d’une simulation, à base de robots à l’effigie des mutants, programmée par Arcade dans son Murderworld. Ce dernier offre en effet la possibilité à la Confrérie de s’entraîner en vue de leur revanche sur les X-Men, Mystique étant persuadée que Xavier et ses troupes ont kidnappé sa fille adoptive Malicia.
Alors que les X-Men disent au revoir à Lilandra et aux Starjammers qui bouclent là leur séjour sur Terre, Diablo, Colossus, Kitty et Amanda Sefton profitent d’un moment d’accalmie pour sortir en ville. Ils ne tardent pas à être attaqués par la Confrérie, qui blesse grièvement Colossus, le « statufiant ». Horrifiée, Kitty tente de s’introduire dans le Baxter Building pour y voler un dispositif à même de le sauver. Alerté télépathiquement, le Professeur Xavier envoie ses X-Men à la rescousse, alors qu’il est frappé par une onde d’énergie exploratrice de vaste amplitude. Les X-Men réalisent que le combat contre la Confrérie n’est qu’une diversion dont profite Mystique pour s’introduire au Manoir et abattre Xavier, afin de récupérer Malicia. Cette dernière l’en empêche et lui explique une fois pour toutes les raisons de sa défection. Alors que Mystique abandonne la partie, Kitty disparaît, kidnappée par les Morlocks qui laissent derrière eux un cadavre aux traits de Kitty. A la morgue, le subterfuge est éventé par Logan, et Tornade comprend où est Kitty : prisonnière des tunnels des Morlocks, elle doit honorer sa promesse à Caliban, à savoir l’épouser en échange de son aide passée. D’abord choquée, elle finit par accepter, et admoneste même vertement les X-Men venus la libérer. Alors que Colossus est soigné par Malicia et le Guérisseur Morlock, Caliban finit par libérer Kitty de son serment, cherchant par là à conserver son amitié et peut-être susciter son admiration.
Colossus se remet difficilement de ses blessures, et confie en prime à Logan ses doutes quant à sa relation avec Kitty, très proche selon lui de Doug Bradley, un mutant qui s’ignore à ce stade. Kitty avoue à ce dernier les difficultés qu’elle éprouve à côtoyer Tornade, qu’elle ne reconnaît plus depuis son périple au Japon. Les deux X-Women finissent par s’expliquer, à cœur ouvert.
Alors que Kitty accompagne Doug à l’académie du Massachussets jadis dirigée par Emma Frost, et qu’elle comprend qu’il s’agit d’un piège, le Professeur X identifie l’origine de l’onde exploratrice qui l’aura perturbé durant des jours : il s’agit de l’omnipotent Beyonder, qui emporte les X-Men et d’autres héros sur Battleworld, pour participer aux Guerres Secrètes. De retour sur Terre, échouant accidentellement au Japon, les X-Men affrontent un dragon gigantesque malencontreusement ramené là par Lockheed. Malicia quant à elle est chargée par le Professeur de veiller sur Kitty et les Nouveaux Mutants (en fait prisonniers du Club des Damnés), mais alertée par un message de Michael Rossi, elle quitte le manoir et libère l’agent (un allié du Professeur) des griffes d’une taupe du Club infiltrée au SHIELD. Malicia semble le connaître, mais il s’avère qu’elle est perturbée par les souvenirs qu’elle a dérobés à Carol Danvers, alias Miss Marvel, qui fut la partenaire et l’amante de Rossi. Malicia croit sombrer dans la folie quand Rossi la rejette violemment.
Peter informe Kitty de son histoire avec l’extraterrestre Zsaji sur Battleworld, et lui annonce leur rupture. Afin de donner une leçon à Peter, Logan le laisse se dépêtrer d’une bagarre avec le Fléau, incognito, alors que la mutante immortelle Séléné s’affaire dans l’ombre. Laissant derrière elle un sillage de cadavres vampirisés, elle prend en chasse une mystérieuse jeune fille rousse, Rachel, puissante télépathe qui sera sauvée par les X-Men. Alors que Rachel constate que le passé où elle a atterri (elle vient en effet du futur) est celui d’une réalité alternative à la sienne, Tornade et le Professeur Xavier s’inquiètent pour Malicia, toujours manquante à l’appel après l’évasion de l’agent Rossi. Elle se ressource en fait sur les rives du Mississipi, où elle a grandi, mais ne tarde pas à être retrouvée par Tornade, à qui elle confie certains éléments de son passé. Pour briser sa défiance, Ororo accepte de plein gré de prendre la main de Malicia et de « s’ouvrir » à elle, pouvoirs inclus. Un moment émerveillée et distraite, Malicia est alors attaquée par Henry Gyrich, Val Cooper et leurs troupes, équipés du Neutraliseur de Forge, un inventeur mutant travaillant pour le gouvernement. Ils souhaitent supprimer les pouvoirs de Malicia, mais l’intervention de Forge, furieux de l’utilisation de son invention sans son accord, engendre une confusion qui aboutit à la perte des pouvoirs de Tornade. Dans l’ombre, les Spectres Noirs, adversaires du chevalier galadorien Rom, décident d’éliminer le trop dangereux Forge, dont le Neutraliseur est à même de les vaincre.
Forge accueille chez lui, au Eagle Plaza, une Ororo dévastée et semblant avoir perdu toute raison de vivre ; une idylle commence à naître entre eux. Malicia, quant à elle portée disparue après les événements ayant mené à la perte des pouvoirs de Tornade, réapparaît pour sauver Val Cooper des griffes des Spectres Noirs, moins par altruisme que pour glaner des informations sur la situation de Tornade. Cette dernière découvre la vérité sur Forge, à l’origine du Neutraliseur qui a gommé ses capacités. Elle le quitte, en promettant de revoler un jour…
C’est alors que les Spectres Noirs choisissent d’attaquer Forge. Tornade n’a d’autre choix que de l’aider, différant sa revanche, et tombe sur Nazé, le Shaman Cheyenne mentor de Forge, qui veut lui aussi sauver son protégé. Sans pouvoirs, Tornade tient bon jusqu’à l’arrivée des renforts, les X-Men accompagnés de leurs alliées « mystiques » Amanda Sefton et Illyana. Ils se débarrassent des Spectres Noirs, tandis que Tornade promet à Forge qu’il regrettera leur prochain rencontre. Alors que Diablo, au vu des événements ayant mené à la perte des pouvoirs d’Ororo, s’interroge sur le sens-même de la mission des X-Men, Rachel, qui apprend la mort de sa mère Jean Grey dans cette ligne temporelle, tente de les remotiver en décrivant le monde cauchemardesque d’où elle vient, et en les rappelant à leur raison d’être…

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Aussi étrange que cela puisse paraître rétrospectivement, compte tenu de l’importance de sa prestation sur le titre dans l’essor de sa carrière, John Romita Jr ne garde pas un bon souvenir de son passage sur « Uncanny X-Men », du premier passage en tout cas. Il est beaucoup plus enthousiaste quand il évoque son retour (aux alentours du numéro 300, aux côtés de Scott Lobdell avec qui il s’entendra très bien) que lorsqu’il évoque sa collaboration avec Chris Claremont ; modeste en entretien et semblant même parfois douter de son talent réel, Romita Jr est loin d’être en confiance lorsqu’il entame son run. Il est encore peu expérimenté, et surtout il a l’impression que Claremont n’est pas très heureux de son arrivée sur le titre. Il n’est pas impossible en effet que le scénariste ait eu d’autres noms en tête pour succéder à ceux prestigieux de Smith, Byrne et Cockrum. Rétrospectivement, Romita Jr trouve son travail de l’époque inégal, et peu fécond en créations marquantes, contrairement à celui de ses aînés (on peut d’ailleurs contester son constat), et ses relations avec Claremont, donc, sont très fraîches, le dessinateur confessant par-dessus le marché être décontenancé par la densité des scripts de Claremont, bien plus épais et complets que les scripts à la « Marvel Way » classiques. Et dire qu’il n’était là à la base que pour quelques fill-ins, son run sur « Amazing Spider-man » n’étant pas encore terminé…
C’est étonnant à plus d’un titre : d’une part, Romita Jr restera finalement très longtemps, pratiquement aussi longtemps que Byrne, et d’autre part, Claremont est plutôt réputé pour être un collaborateur ouvert aux idées de ses dessinateurs. Mais il semble qu’à ce moment de la vie du titre le scénariste ait eu clairement envie de reprendre définitivement les rênes. De fait, la tonalité et les spécificités narratives du titre qui perdureront jusqu’à la fin de son run prennent leur source ici, à ce moment de l’histoire des mutants.

On trouve pourtant de tous les avis sur cette période de « Uncanny X-Men » : pour certains lecteurs, c’est en quelque sorte la fin de la période « légendaire » du titre, et le début de la fin. On voit bien quels arguments peuvent nourrir cette appréciation : nous abordons également l’ère de l’univers mutant étendu (VRAIMENT étendu) et des crossovers événementiels, qui viendront « polluer » le grand œuvre claremontien (c’est cependant oublier à quel point Claremont est habile à se dépatouiller des contraintes imprévues, mais nous aurons l’occasion d’y revenir). Pour d’autres, dont votre serviteur, c’est là que le titre au contraire prend une patine particulière, et se pare d’une aura à peu près unique dans l’histoire des comics. Le dessin de Romita Jr a forcément sa part dans cette équation ; gamin, l’auteur de ces lignes se souvient parfaitement de l’effet produit par les couvertures de Strange signées Romita Jr ; un vent de fraîcheur soufflait sur les X-Men, et les comics en général. Romita Jr explosera définitivement peu de temps après, aux côtés de son éditrice sur les X-Men Ann Nocenti, sur « Daredevil », son chef-d’oeuvre, de son propre aveu.
Claremont n’est pas en reste dans cette mue, il en est même le principal architecte ; débarrassé de l’impétueux John Byrne aux idées bien arrêtées, et fort de plusieurs dizaines d’épisodes en guise de fondations solides comme un roc, le scénariste embrasse sa pente naturelle et confère au titre une narration presque délestée du poids des codes du genre. Pas tout à fait ceci dit : le titre ne renonce ni aux super-vilains, ni au grand spectacle. Mais à compter du début du run de Romita Jr, on peut décrire la succession des épisodes de « Uncanny X-Men » comme une alternance entre « grosses histoires » s’étalant sur deux ou trois épisodes (en nombre relativement restreint, au bout du compte ; ce sont souvent ces gros arcs qui étaient réservés aux albums « Une aventure des Etranges X-Men », qui aidaient à combler le retard en VF sur les publications VO, et pas dans Spécial Strange, donc), et des « stand-alones » qui pourront s’arrêter sur tel ou tel personnage, emballer une histoire en peu de pages, et surtout à côté de ça faire avancer les divers fils narratifs, nombreux et enchevêtrés, qui constituent le cœur de la narration de Claremont. Ses techniques en règle générale s’affinent considérablement à ce stade.

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On entame l’année avec l’un de ses « gros » arcs, qui s’étire sur les numéros 177 à 179 (album « Mutants contre mutants », si je ne m’abuse). L’épisode 177 est un peu étrange sur le plan graphique : Romita Jr y est encré par ni plus ni moins que son propre père, John Romita, le dessinateur historique des « Amazing Spider-Man » de la grande époque, avec Stan Lee. Le résultat est bizarre, très « silver age » dans le rendu, comme du Romita Sr en moins élégant mais plus pêchu (et violent). Sur le numéro 179, c’est l’encreur Dan Green qui débarque, et pour un bon moment (plus longtemps que Byrne et Cockrum, par exemple) ; il est l’artiste idéal pour épauler Romita Jr, la finesse de ses finitions compensant le côté parfois massif et pataud des cases du dessinateur. L’ensemble créé indéniablement un style, une patte, une humeur particulière, plus attentive peut-être encore qu’auparavant à l’ambiance de son temps. Les X-Men à cette époque doivent être absolument modernes, pour paraphraser Rimbaud.
Sur le plan des péripéties scénaristiques, il y a à boire et à manger dans cet arc, mais globalement il est de très bonne tenue, et a le mérite comme d’habitude avec Claremont de faire avancer les choses et de bousculer, même discrètement, le statu quo. Un reproche habituel formulé à l’égard du scénariste consiste à le taxer de « radoteur » : selon ses détracteurs, Claremont n’aurait cessé d’user des mêmes ficelles et figures au cours de son run exceptionnellement long. Un reproche particulièrement injuste (même si Claremont a des fixettes d’auteur, encore heureux, et qu’il s’auto-cite parfois il est vrai aux frontières du comique de répétition ; il suffit de compter l’occurrence d’expressions fétiches comme « no quarter asked nor given », par exemple), qui ne résiste en fait pas vraiment à un examen un peu sérieux de la trame narrative de Claremont, le roi du mouvement.
Dans cet arc par exemple, la Confrérie, adversaire emblématique des mutants, refait surface. Au sein du titre « Uncanny… », ce n’est finalement que la deuxième fois que Claremont utilise cet adversaire (même si on aura vu entre ces deux apparitions la Confrérie chez les Vengeurs pour le fameux « Avengers Annual 10 », contre Dazzler ou Rom, voire Hulk dans le cas du Colosse). Et ce sera en fait la dernière fois avant une mutation drastique de la Confrérie (nous reviendrons plus tard sur la Freedom Force, évidemment) ; idem pour un Magnéto, également utilisé deux fois à peine avant le numéro 150 qui amorce sa rédemption. Au temps pour le radotage.

Claremont profite de ce retour de la Confrérie pour revenir ou régler des fils narratifs laissés en suspens ; ainsi, on règle une ambiguïté qui régnait tant chez les lecteurs que chez les X-Men eux-mêmes : Malicia prouve définitivement sa loyauté à l’équipe, en rejetant Mystique et en contribuant à sauver Colossus. Le scénariste reviendra également aux liens de parenté existant entre Diablo et Mystique, mais sans rien résoudre par contre (même si ce qu’il amorce ici se verra grandement confirmé plus tard par ses successeurs… même si l’idée initiale de Claremont était la plus folle de toutes). Il est quand même important de relever que Claremont prend soin de complexifier un brin ses vilains sur ce coup, essentiellement Mystique (qui ne cherche après tout qu’à récupérer sa fille) : l’ouverture de l’épisode 177, qui lui est consacrée, met en scène une voix off qui est celle de la mauvaise mutante. Originale pour son temps, cette méthode ; notons aussi, d’ailleurs, que Claremont recycle ici intelligemment Arcade en sparring-partner pour vilains en manque d’exercice, ce qui est pas mal compte tenu du potentiel limité du personnage.
De manière plus subtile, et peut-être est-ce cette technique qui motive en partie les critiques émises contre lui, Claremont s’est aussi fait le spécialiste de la relecture « altérée » de ses propres récits antérieurs ; c’est une figure récurrente et passionnante à l’oeuvre chez lui. Il a déjà rejoué plusieurs fois le « retour » du Phénix Noir (et le refera encore quelques fois, avec bonheur), mais c’est loin d’être le seul élément revu et corrigé par ses soins. Ici, la bataille contre la Confrérie évoque évidemment celle du déjà mythique « Days Of Future Past », dont certaines cases emblématiques sont « évoquées » par Romita Jr. Petit détail : à la fin de l’épisode 178, Destinée prédit un triste destin à Kitty Pryde au Baxter Building, mais elle ne fait probablement pas référence au faux cadavre à son image laissé par Masque des Morlocks, comme on le pense initialement ; elle fait plus vraisemblablement référence au funeste destin des X-Men, vaincus au Baxter Building dans le futur dystopique de « Days Of Future Past ». Claremont, nous l’avions vu, ne cesse de jouer avec la possibilité de l’échec des X-Men à avoir vraiment empêché le sort funeste susnommé ; il va jouer avec cette idée plus que jamais dans les épisodes à venir ; il semble qu’il prépare presque subliminalement le lecteur à cette idée.

Ce triptyque voit également le retour des Morlocks, apparus sous les crayons de Paul Smith (avec le quiproquo que l’on sait quant au nombre réel de ces mutants subterranéens…) ; eux seront un peu plus présents durant cette période du titre, jusqu’à la décision drastique que l’on sait les concernant (c’est la teneur du fameux « Mutant Massacre »). Claremont, fidèle à ses habitudes, en profite pour faire sensiblement évoluer leur représentation : moins « evil » dans l’esprit, Callisto par exemple s’adoucit un brin (même si elle reste cruelle et impitoyable), alors que l’univers-même des Morlocks s’assombrit : il faut voir à ce titre cette scène purement horrifique (une fibre majeure du run de Claremont, présente dès son toute premier épisode en solo sur le titre) où Masque manipule le visage de Kitty, traumatisée. Leech, un mutant à l’apparence physique authentiquement monstrueuse, fait aussi son apparition (c’est le moins « humain » de tous les mutants, à ce stade), suscitant l’empathie de Kitty, très touchante tout au long de ce récit (elle qui agace toujours certains lecteurs… mais pas pour longtemps). Intelligemment, Claremont profite de la réapparition de cette communauté pour questionner le positionnement des X-Men à leur égard, problématique d’emblée. Sur le plan strictement « politique », le propos du scénariste est passionnant. Ces « parias au carré » que sont les Morlocks (des anti-conformistes radicaux, comme le souligne Masque) perturbent la propre marginalité des X-Men et la questionnent. Très fort.
Au rayon des points faibles, on relèvera le traitement toujours un peu flottant de Colossus, qui revit ici une péripétie pour le coup peut-être redondante avec sa blessure aux mains de Deathbird, durant le deuxième passage de Cockrum sur le titre, et aussi une résolution un brin facile et précipitée…

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L’épisode suivant, le numéro 180, est emblématique de la démarche nouvelle de Claremont sur le titre, même si on trouvait également des prototypes de cette veine dans les ères précédentes, sous Smith par exemple, ou chez Byrne déjà. L’épisode n’appartient à aucun « gros » arc, se concentre sur un nombre réduit de personnages, et se dote d’une ambiance de « tranches de vie » qui constituera la moelle épinière du titre, tout en faisant avancer, bien sûr, divers fils narratifs, voire les résolvant. Ici, Claremont règle deux sub-plots qui traînent depuis quelques épisodes : Tornade et Kitty se réconcilient ; leur bisbille pouvait sembler anecdotique et finalement peu motivée, mais c’est en fait un élément de caractérisation important pour les deux femmes, le discours de Tornade pouvant même résonner comme une mise en garde contre le refus de changer, qui menace la jeune Kitty vu ce qui l’attend au tournant… Mais la leçon sera retenue, et Kitty changera, pour le meilleur.
L’autre sub-plot appelle aussi un commentaire : il concerne les attaques psi subies par Xavier, en fait provoquées par le Beyonder. C’est ainsi que les X-Men s’embarquent dans le méga-event de Marvel (un écho à « Crisis… » chez la concurrence), « Guerres Secrètes », au grand dam on pourrait l’imaginer de Claremont. On savait que le scénariste ne portait pas dans son cœur le grand manitou chez Marvel, Jim Shooter, mais lorsque celui-ci lui pique ses personnages (dont le rôle est considérable dans l’event en question), lui grille la politesse en alliant Magnéto aux X-Men (un Magnéto encore certes caricatural, et puis il y avait eu « God Loves, Man Kills » avant ça…), contrariant probablement ainsi ses plans, et par-dessus le marché lui met dans les pattes un Colossus empêtré dans une improbable love-story extraterrestre (dont il est d’ailleurs précisé qu’elle est de nature factice, comme un effet secondaire des pouvoirs guérisseurs de Zsaji, dont Colossus, donc, tombe amoureux), on se dit que Claremont doit bouillir intérieurement et pas qu’un peu. Apparemment, rien de plus faux : il semble que ce soit Claremont, probablement informé à l’avance par Shooter de ses plans sur « Secret Wars », qui ait demandé à Shooter d’inclure cette love-story entre Colossus et Zsaji, pour rebondir dessus au sein de son propre titre… La rupture entre Colossus et Kitty surprendra d’autant plus que Claremont avait pris soin, avec Byrne, d’inscrire leur histoire dans le long terme au cours de « Days Of Future Past ».

Autre élément intéressant quant à l’évolution des écrits de Claremont : les renvois et échos entre le titre-phare « Uncanny… » et le spin-off « New Mutants » sont désormais constants ; ce qui arrive à Kitty dans l’épisode 180 est développé dans le titre consacré aux Nouveaux Mutants (avec l’apparition des Hellions, leur équivalent pour le Club des Damnés). Certains lecteurs s’en agaceront, arguant que le titre ne tient plus debout tout seul. C’est assez exagéré, les péripéties relatés dans le titre-phare restant largement compréhensibles « toutes seules », à deux ou trois irruptions un peu brusques de personnages issus des « Nouveaux Mutants » près. En matière d’ingérence, on n’avait de toutes façons encore rien vu ; pour l’instant, Claremont reste relativement le seul maître à bord (soutenu à mort, de son propre aveu, par son éditrice Louise Jones/Simonson), et il est passionnant de le voir étendre ainsi son propre univers.
Le numéro 181 est plus anecdotique : c’est un nouvel arrêt au Japon, dans une ambiance plutôt fun de kaiju-eiga des familles. Quelques éléments intéressants tout de même : on en profite pour coller à Logan une sorte de fille adoptive, qui sera plutôt discrète au final mais qui aura son importance dans l’évolution du perso (aucun rapport entre le Serval de Romita Jr et celui de Cockrum, en termes de caractérisation). Plus crucial encore, l’épisode s’achève sur une note bien sinistre : le sénateur Kelly repointe le bout de son nez, avec un fameux projet de loi sous le bras (l’équivalent du « Patriot Act » appliqué aux mutants de l’univers Marvel ; sacrée préscience!!) dont on sait qu’il mène droit, malgré la survie de Kelly, au futur de « Days… ». Dans un chouette moment d’inspiration, Claremont et Byrne avaient daté la loi en question de 1984, l’année orwellienne par excellence. Rendu dans le « futur » (c’est-à-dire en 1984, pour de vrai), Claremont juge cohérent de mettre les événements en branle pour de bon ; ça reste symbolique du fait du « temps glissant » des comics (Claremont ne peut de fait raconter son histoire en temps réel), mais c’est très fort sur ce plan-là.

L’épisode 182 est plus intéressant, et se révèle le prototype d’un genre nouveau d’épisodes (pas tout à fait inédit quand même, si l’on pense au duel Kitty Pryde vs Démon N’Garaï, à Cyclope face à l’Homme-Chose et D’Spayre, ou à Serval seul contre les Brood) : l’épisode centré sur un seul personnage. Claremont, après avoir réglé le problème de son allégeance aux X-Men, peut se permettre d’aller plus loin avec Malicia. Celle-ci acquiert une profondeur et un potentiel insoupçonnés avec ce seul épisode. Le coup de la personnalité de Carol Danvers qui prend le dessus sur celle de Malicia, c’est un petit coup de maître, dont Claremont fera un usage très intéressant (notamment pour aller encore enrichir un peu le background de Logan, et par ricochet sa relation avec Malicia). Claremont souhaite accompagner le personnage sur la voie de la rédemption ; pour que le lecteur morde et entre en empathie, il doit lui montrer que la croix que Malicia porte avec elle est exceptionnellement lourde, et ça fonctionne. Un personnage authentiquement tragique, mais il faut reconnaître qu’il sera fait un usage abusif de cette caractéristique passé un certain point (après le run de Claremont, dirais-je quand même).
Le personnage rencontré ici par Malicia, Michael Rossi, est en fait une vieille connaissance : manifestement secrètement allié à Xavier, l’agent Rossi semblait aux yeux du lecteur avoir disparu dans un crash d’avion aux mains de l’anti-mutant Stephen Lang, aux toutes premières heures du run claremontien. Mais Rossi était bel et bien vivant, réapparaissant pour aider les Nouveaux Mutants contre les Sentinelles de Henry Peter Gyrich, et travaillant pour Xavier à débusquer des taupes du Club des Damnés. Il est dommage que Claremont n’ait pas fait plus avec ce personnage secondaire au potentiel intéressant…

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« He’ll never make me cry », l’épisode 183, est celui où Claremont rebondit sur la fameuse amourette extraterretre de Peter ; c’est un favori des fans. Il s’ouvre sur une magnifique scène de dialogue, celle de la rupture entre Kitty et Peter : remarquablement illustrée par Romita Jr, elle fait de plus un usage intelligent des bulles-pensée, procédé souvent voué aux gémonies, mais utilisé ici de main de maître par Claremont (qui a pourtant souvent eu la main lourde en la matière, mais justement, son style est en train de muter à ce niveau). Kitty dit en façade que tout va bien quand ses pensées trahissent son état émotionnel véritable. S’en suit une explication virile entre Serval et Colossus, arbitrée par Diablo, où l’on se demande bien de quoi se mêle ce bon vieux Logan (même si on finit par voir où il veut en venir : Colossus est amoureux de Zsaji car elle l’a sauvée, mais il semble complètement oublier le sacrifice de Kitty dans les tunnels Morlocks), qui provoque une bagarre entre Peter et Caïn Marko, alias le Fléau en personne en civil, tout juste échappé du cercueil de béton où l’a plongé Spider-Man au terme d’un diptyque mémorable.
Le traitement du Fléau, nuancé (il paye les dégâts à la fin), frais (il dragouille ferme, le sagouin), annonce des alliances futures (contre Nemrod) mais est aussi symptomatique de son approche globale des super-vilains, jamais à l’abri d’une rédemption possible… Au rayon super-vilain, l’épisode voit aussi l’apparition dans le titre de la très méchante pour le coup Séléné (issue du titre « New Mutants », cette mutante-vampire immortelle est à l’origine de la cité cachée de Nova Roma, en Amérique du Sud) ; elle aura une importance certaine durant l’ère Romita Jr, avant de s’effacer jusqu’à la fin du run de Claremont (pour revenir ensuite organiser le tournoi des Parvenus… un pétard mouillé).
Relevons également qu’à compter de cet épisode, Kitty (qui doit retrouver son père) et Wolverine disparaissent pour six mois du titre, soit la durée précise durant laquelle ils sont embarqués dans la mini « Kitty Pryde and Wolverine » (jamais traduite en France à ma connaissance), un effort de clarté éditoriale qui semble absolument inimaginable par les temps qui courent… Cette mini aura d’ailleurs une importance notable dans la « maturation » bientôt achevée de Kitty.

Le numéro 184, sorte de stand-alone lui aussi (même s’il fait avancer beaucoup de choses), est historique à plus d’un titre : il voit l’apparition ou l’introduction dans l’équipe de deux figures appelées à devenir majeures (ou relativement majeures). L’apparition, c’est celle de Forge, futur amant de Tornade, sorte de Tony Stark amérindien mâtiné du Shaman de la Division Alpha, plus une touche Deathlok pour le côté cyborg. On a pu reprocher à Claremont sa propension à trop « charger la mule » au moment de brosser le portrait de Forge ; d’autres, dont Byrne, l’avaient fait au moment de doter Kitty Pryde de toutes les qualités de la Terre. Forge est donc représentant d’une minorité (améridienne en l’occurrence, comme John Proudstar aux premières heures du titre), magicien, génie (même si c’est une conséquence de son pouvoir mutant), milliardaire, cyborg, ancien soldat vétéran du Viêt Nam, futur amant d’un des personnages principaux du titre (c’est le premier « love interest » de Tornade, d’ailleurs)… N’en jetez plus !
Comme souvent, Claremont profite de l’introduction d’un nouveau personnage pour s’ouvrir un maximum de pistes narratives, d’où le CV un peu chargé du nouveau venu. Ainsi, Forge devient en quelque sorte (et c’est un élément très intéressant) un agent mutant à la solde du gouvernement, capable de se retourner contre « ses frères » (son apparition est aussi l’occasion de présenter son dernier joujou : un neutraliseur de pouvoir mutant). C’est vraiment le moment où Claremont ne prend plus de gants et déroule le fil mis en place sur la conclusion de « Days Of Future Past », avec un gouvernement américain plus qu’impliqué dans les persécutions mutantes. Qu’un mutant les y aide, voilà un nouveau pas de franchi ; même Sebastian Shaw, qui fricotait déjà avec Gyrich, avait pour lui au moins de jouer sur deux tableaux. Le personnage de Val Cooper, introduit peu de temps auparavant, se révèle être manipulée par Mystique en personne, sous les traits de Raven Darkholme, qui surveille tout ça, inquiète. Plus porteur encore sur le long terme (car Forge ne va pas tarder à s’amender), Forge autorise Claremont à mettre un pied supplémentaire dans les menaces mystiques de tout poil, après Illyana. Et à ce titre, il est stupéfiant que ce que montre ici le scénariste, avec l’embrouille entre Forge et son mentor Nazé, annonce quatre ans à l’avance (!!) la résolution de « Fall Of The Mutants ». Doit-on pour autant en déduire que Claremont a des pouvoirs surhumains en terme de planification scénaristique ? C’est possible, mais sur ce coup-là on verra que le chemin choisi initialement par Claremont sera copieusement semé d’embûches ; beaucoup d’accidents là-dedans. Plus vraisemblablement, Claremont s’ouvre un maximum de pistes pour avoir les coudées franches au besoin. Sur ce point-là, on peut relever que cet épisode est le premier où Louise Jones passe le relais définitif à Ann Nocenti, qui devient l’éditrice de « Uncanny X-Men » ; Louise Jones prendra le nom de Simonson (de son mari Walt) pour devenir scénariste, lassée par le boulot d’éditrice, le nombre de titres à sa charge ayant drastiquement diminué ; elle créera dans un premier temps « Power Pack/Puissance 4 », un titre qui n’emballait guère son patron Jim Shooter mais qui sera un joli succès au final, avant de revenir complètement à l’univers mutant (même si les gamins de Puissance 4 n’en étaient jamais bien loin) avec ses prestations sur « New Mutants » et « X-Factor ».
Les fans regretteront Louise Jones, estimant que Nocenti, plus « cool », moins ferme (en contradiction avec les déclarations de Claremont, donc…), sera à l’origine des sub-plots irrésolus et des trames abandonnées en cours de route par le scénariste, plus assez « tenu ». On pourra objecter à ces détracteurs que c’est sous la férule de Nocenti que le titre deviendra plus ambitieux thématiquement et original comme jamais…

Autre apport évidemment majeur de l’épisode 184 : l’arrivée de Rachel Summers dans le groupe. Ce n’est pas là sa première apparition, évidemment (elle est apparue dans « Days Of Future Past », et on l’a vue au détour d’une page des Nouveaux Mutants), mais elle débarque là pour de bon dans « Uncanny X-Men », tout droit venue du futur dans des circonstances restant à éclaircir. Un peu comme Kitty de la fin de l’ère Byrne à la fin de celle de Paul Smith, c’est LE personnage central des péripéties du run de Romita Jr. Son potentiel est énorme : elle est la fille de Scott Summers et Jean Grey, et à ce titre rejoue un énième retour, même détourné, du Phénix. Elle est aussi et surtout issue de la fameuse dystopie de « Days… » ; Claremont a trouvé le moyen idéal de jouer avec cette prophétie, encore une fois, mais en allant plus loin dans le même temps, en profitant de la noirceur accrue du titre. Nous verrons qu’une fois la prestation de Claremont achevée sur les titres mutants, elle n’aura pas, probablement du fait du retour sur le long terme de Jean Grey, le destin qui l’attendait. Pour l’instant, elle est prise en chasse par Séléné, et sauvée par les X-Men qui découvrent stupéfaits son existence.

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L’épisode 185, qui rebondit sur les récents événements impliquant Malicia, est un épisode charnière, dans tous les sens du terme. S’il est accessoirement l’épisode où l’on apprend qui sont les parents de Rachel, il prépare aussi le fameux épisode suivant, « Lifedeath », illustré par Barry Windsor-Smith, et appelé à entrer dans l’histoire du titre, mais il introduit également définitivement Forge, bien moins antipathique finalement qu’il n’y paraissait à sa première apparition. Enfin, il termine de brosser le portrait, complexe et touchant, de Malicia, qui se livre comme jamais, et que Romita Jr croque ici de façon bien plus sexy que lors de ses apparitions précédentes (même si on est loin des « excès » en la matière de l’ère Silvestri). Riche en échanges bien sentis et important dans la mythologie du titre (car la suppression des pouvoirs d’Ororo sera effective pendant un sacré bout de temps), illustré de mains de maîtres par le tandem Romita Jr/Green (qui commence à vraiment prendre ses marques, cf. la case impressionnante où Tornade perd ses pouvoirs), cet épisode est un must de la période. Il annonce en dernière page l’irruption prochaine dans le titre des Spectres Noirs, les ennemis jurés de Rom, le Chevalier de l’espace. On pourrait penser que cette interaction supplémentaire avec le reste de l’univers Marvel est un bâton de plus dans les roues de Claremont, mais celui-ci, très ami avec Bill Mantlo qui a signé tous les épisodes de Rom (et qui n’a pas hésité d’ailleurs à mettre une lichette de X-Men et de Mauvais Mutants dans son « Rom », si vous me passez le mauvais jeu de mots), s’est probablement livré de bonne grâce à l’exercice, en se disant qu’il n’avait pas à se creuser le citron pour fournir un arrière-plan à la love-story mouvementée entre Forge et Tornade.
Au sujet de cette dernière, il faut reconnaître qu’à l’époque ce qui lui arrive là (la perte de ses pouvoirs) a vraiment été perçu comme un coup de théâtre, sans compter que Claremont a pris soin de brouiller les pistes en laissant penser que la solution aux problèmes de Malicia était peut-être toute trouvée (du genre : elle perd ses pouvoirs d’absorption mais conserve les facultés dérobées à Carol Danvers) ; mais il n’en sera rien. C’est bien Ororo qui perd ses pouvoirs, et pour un bon moment, donc, une bonne quarantaine d’épisodes en fait. D’une certain manière, cette évolution du personnage est tout à fait logique : c’est l’étape ultime d’une série de chutes du piédestal pour Tornade, qui perd peu à peu contact avec sa nature profonde, elle qui se prenait pour une authentique déesse.

C’est tout l’objet de « Lifedeath », illustré de main de maître par Barry Windsor-Smith. Les participations de ce dernier à l’édifice mutant sont considérables (de l’apparition de Lady Deathstrike à la mini-série « Weapon X », qui explicite une partie des origines de Logan), mais elles ne commencent pas avec cet épisode (double) 186, pratiquement un graphic-novel à lui tout seul : le bougre, tout jeune, était déjà de la partie sur la première mouture du titre, en 1969, pour « X-Men 53 », qui mettait en scène Blastaar, en mode kirby-like total…
Claremont, qui confesse être un grand fan du travail de Barry Windsor-Smith depuis ses débuts, est enchanté à l’idée de bosser avec lui, et lui laisse une large marge de manœuvre en conséquence (de nombreux apports et idées de Smith, qui rédige de volumineuses notes à cette fin, finiront dans l’épisode). Si le dessin est spectaculaire, que de nombreux éléments sont précisés ou esquissés pour le futur en ce qui concerne Forge, l’histoire est en elle-même très simple et terre-à-terre, la naissance d’une romance contrariée par le destin, brossée de manière assez juste et poignante par Claremont, désormais maître de ses effets en la matière. C’est surtout sa partie graphique qui transcende cet épisode, ainsi qu’une longue digression quasi-horrifique mais très fun où Malicia et Val échappent aux Spectres Noirs.
Thématiquement, le traitement d’Ororo est en tout cas d’une logique implacable (de la déesse aérienne et intouchable à la femme-guerrière blessée aux pieds fermement ancrés dans la glaise), et fait mouche.
L’épisode qui suit est plus foutraque et énervé, essentiellement axé qu’il est sur l’action ; on voit bien que Claremont cherche à prouver, même si elle en doute elle-même à ce stade, que Tornade est un personnage valable, y compris sur le plan de l’action pure, avec ou sans ses pouvoirs. Il aura l’occasion d’y revenir encore. Toujours obsédé à l’idée de donner des indices sur le futur de ses personnages, il esquisse même en une ou deux occasions l’idée que le potentiel mutant d’Ororo est toujours là, latent (un courant d’air opportun, par exemple). On pourrait même penser que le blizzard dans lequel se déroule l’action est l’expression de sa frustration et sa rage refoulée (et c’est d’ailleurs peut-être le cas, sur le plan symbolique), mais c’est en fait une conséquence directe d’événements survenant dans le titre « Thor » (à savoir l’ouverture de « l’Ecrin des Hivers d’antan », un puissant artefact).
Très intéressant également, et bien tarabiscoté comme il aime est aussi le traitement réservé par le scénariste à Nazé, le mentor de Forge. Attention, c’est subtil : Nazé, on le devine au détour d’une réplique ou deux, a en fait été tué et remplacé par un Spectre Noir, hors-champ. Et c’est cet avatar de Nazé, déjà « possédé », qui va être possédé à son tour par une entité non identifiée, mais qui n’est autre que l’Adversaire, l’ultime « bad guy » de « Fall Of The Mutants ». Là encore, il ne s’agissait en fait pas des plans originaux de Claremont (qui avait une autre idée en tête, mais nous y reviendrons en temps utile), mais le scénariste est suffisamment prévoyant pour s’être ménagé la possibilité de réutiliser l’énigmatique et surpuissante némésis de Forge ; il n’y manquera pas le moment venu.
Le dernier épisode du volume, le 188, est un peu hybride mais plein comme un œuf ; il boucle le combat contre les Spectres Noirs (qui s’est sûrement un peu trop éternisé pour son propre bien…), et réserve sa deuxième moitié à une scène parmi les meilleurs conçues par Claremont à ce moment de la vie du titre. Authentiquement dégoûté par la direction que prend le titre et leurs vies par conséquent, Diablo, dont le caractère fantasque s’accorde mal à cette noirceur (il le fait remarquer lui-même, d’ailleurs), brosse un état des lieux catastrophique. C’est une manière pour Claremont de faire un point à ce stade : c’est clair, la situation s’est dégradée. Rachel a beau atténuer ce constat en rappelant d’où elle vient, et elle a beau également souligner les différences entre ce futur et ce passé qui n’est pas le sien, le but est bien de montrer, malgré l’espoir qui continue à habiter le cœur des X-Men, quelle machine infernale et inarrêtable s’est mise en branle (c’est la première fois, de mémoire, que Claremont revient ainsi sur les événements de « Days… », en les enrichissant de quelques détails morbides supplémentaires au passage). Le futur s’annonce très sombre… et artistiquement passionnant.

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Petite digression pour terminer : les amateurs de mic-mac temporel apprécieront. On a pu croire que le futur alternatif de Rachel était une « divergence » provoquée par le déplacement temporel de Kate Pryde et le sauvetage du sénateur Kelly, qui auraient invalidé l’avènement de ce futur. En fait, c’est à la réflexion plus compliqué que ça : en effet, Rachel est la fille de Jean Grey, qui dans la ligne temporelle de Rachel a donc survécu, logiquement, aux événements de la saga du Phénix Noir (si elle s’est produite). C’est donc d’emblée une réalité alternative, la divergence remonte à plus loin… à moins que Jean Grey ne soit moins morte que l’on ne le croyait ?

Prochain épisode : on se propulse en 1985 en deux temps ; le prochain volume nous refait visiter quelques petites pépites qui feront date, du bazar dimensionnel de Kulan-Gath à la venue de la Sentinelle next-gen Nemrod, toujours sous la férule de Claremont, Romita Jr et Green.

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