X-MEN : L'INTÉGRALE 1963-1998

On poursuit cette relecture du cycle claremontien mythique, avec pour les années 77 et 78 l’arrivée de l’artiste qui fera du titre un must absolu… On entre donc dans ce que la majorité des lecteurs de la saga mutante considère comme l’âge d’or du titre !

X-Men : l’intégrale 1977 / 78 (Uncanny X-Men 103 à 116)

*Après s’être débarrassé de Black Tom Cassidy et du Fléau en Irlande, les X-Men n’ont pas une minute pour souffler car les voilà confrontés à Magneto, le pire ennemi des premiers X-Men. Comme Black Tom et le Fléau, Magneto a été mis sur la route des mutants par Eric le Rouge, qui contrôlait déjà Havok et Polaris. Les X-Men sont étrillés par leur adversaire sur l’île de Muir, mais opèrent une retraite de dernière minute sous la conduite de Cyclope, qui flaire un piège.
Eric le Rouge est en effet déjà aux USA, aux trousses du Professeur X, et le temps que les X-Men le retrouvent, il a déjà sorti un nouvel as de sa manche : Firelord, ancien héraut de Galactus. Celui-ci est cependant stoppé par Phénix / Jean Grey. Eric le rouge, en fait Davan Shakari, un espion Sh’iar stationnant sur Terre, profite de la confusion pour enlever Lilandra, venue retrouver Charles Xavier et demander son aide.
Les X-Men le suivent aux confins du cosmos et affrontent la Garde Impériale du frère de Lilandra, l’empereur fou D’Ken. Ce dernier manque d’anéantir la création en manipulant le Crystal de M’Kraan, mais Phénix parvient avec le concours des X-Men et des Starjammers emmenés par Corsaire à conjurer ce péril et sauve la réalité elle-même. Elle découvre au passage la nature du lien unissant Cyclope et Corsaire. Lilandra décide de rester sur Terre aux côtés de Xavier en attendant que la couronne lui soit octroyée.

Les X-Men soufflent enfin un peu mais ils sont attaqués par l’Arme Alpha, qui vient chercher Serval afin de le restituer au gouvernement canadien. Moira McTaggert est blessée durant le combat et l’Arme Alpha prend la fuite, non sans promettre de revenir en invoquant une certaine Division Alpha…
Après une escarmouche avec Warhawk (qui piège les X-Men dans leur Salle des Dangers), les X-Men disparaissent mystérieusement. Le Fauve retrouve leurs traces dans un cirque, où les X-Men constituent la galerie des monstres, apparemment amnésiques. Ils sont en fait, comme le découvre le Fauve, sous la coupe de Mesmero, autre ancien antagoniste des X-Men. Serval sort de sa trance et libère ses co-équipiers, pour découvrir que Mesmero a déjà été neutralisé par Magneto, qui refait surface. Il se débarrasse facilement de ses adversaires, et les ravale à l’état de nourrissons. C’est cette fois Tornade qui libère l’équipe, et après une terrible bataille où Magneto est mis en déroute, la base de ce dernier est détruite. Phénix et le Fauve sont séparés du reste de l’équipe, et persuadés de leur mort, rentrent aux USA.

Les autres X-Men, quant à eux convaincus de la mort de Jean Grey et du Fauve, émergent en Terre Sauvage, et affrontent Karl Lykos / Sauron, autre vieille connaissance. Rejoint par Ka-Zar, ce dernier leur révèle que la Terre Sauvage est menacée par la résurrection de Garokk, un ancien Dieu-Soleil aidée de sa prêtresse Zaladane. Les X-Men défont Garokk, que Tornade échoue à sauver à la dernière minute. Les mutants entament donc leur pénible et périlleux voyage de retour…*

Au-delà de la nostalgie que peut susciter l’évocation de ces épisodes géniaux en eux-mêmes, il est assez frappant de constater à la lecture du résumé ci-dessus à quel point les scripts des comics de l’époque étaient denses, et visaient à tout prix à maintenir le lecteur en haleine.
La patte de Chris Claremont, comme nous avons commencé à le voir lors de l’épisode précédent, est de maintenir le lecteur accroché à la résolution de ses intrigues en jouant sur des temporalités différentes : court, long ou moyen terme, ses « plots » s’enchevêtrent désormais jusqu’à anticiper des évènements 25 numéros à l’avance (c’est le cas avec l’arc narratif concernant Proteus, le « Mutant X » aperçu dans ce volume).

Claremont et Cockrum achèvent le diptyque un peu étrange en Irlande, avec Black Tom et le Fléau, où Diablo se taille comme de coutume la part du lion en permettant la déroute de ses adversaires. Il est en cela aidé par…des lutins (des leprechauns ?), qui anticipent un peu la tonalité plus absurde des « Excalibur » des grands jours, ou plus simplement celle du fameux épisode du conte de Kitty Pryde, quelques temps plus tard. En tout cas, ces lutins semblent bien rencardés car ils nous livrent le « véritable » nom de Serval, à savoir un simple « Logan ». Il semblerait donc que malgré ce qui est souvent rapporté, ce n’est pas John Byrne qui a baptisé le mutant canadien. Encore que…difficile de le savoir, car Byrne, pas encore sur le titre, collabore déjà avec Claremont sur « Iron Fist » et « Marvel Team-Up » et semble suivre de très près la destinée des mutants (dont il est un grand fan). Pour preuve, il propose à Claremont un design pour le visage démasqué de Serval (un visage félin et blond flanqué de rouflaquettes…), mais le scénariste lui apprend que Dave Cockrum a déjà donné un visage à Logan. Byrne et Claremont recyclent donc ce design et le fourguent à un adversaire de leur « Iron Fist », un certain…Dents-de-Sabre.

http://www.annotatedxmen.com/wp-content/uploads/2012/04/The-Uncanny-X-Men-104-Page-1.jpg

La couverture de l’épisode 104 est un « swipe », une illustration qui rend hommage et reprend la composition de celle de « X-Men 1 » : l’épisode marque en effet le retour de Magneto. Magneto est un des plus grands vilains de l’histoire des comics (d’aucuns diront le plus grand), et constitue un exemple finalement pas si courant d’archi-ennemi, de nemesis ultime comme seuls le Joker ou Fatalis peuvent le prétendre. Son retour était donc inévitable, mais il se fait un peu en demi-teinte ici : d’une part Magneto est le pion d’Eric le Rouge, et d’autre part il ressemble encore assez largement à une caricature de super-méchant mégalomane, comme au temps des premiers X-Men. Claremont n’a clairement pas le temps ici de s’accaparer le personnage et de donner vie à « son » Magneto. Son heure attendra…
Il en profite quand même pour donner du lustre au mauvais mutant, qui bat facilement les X-Men. L’occasion pour le scénariste de creuser le sillon de l’équipe dysfonctionnelle, avec un Serval encore largement assez barge. On est loin du samouraï.

Le numéro 105 est l’occasion pour Claremont de donner la mesure du « Thor » de l’équipe, Phénix, en lui faisant combattre Firelord, un adversaire d’envergure cosmique. Il en profite également pour jeter le trouble le temps d’une ou deux bulles-pensée, où Jean Grey semble jouir de sa puissance et se délecter à ainsi écraser son adversaire. Le scénariste semble préparer un petit quelque chose pour ce personnage…
L’épisode 106 est un étrange fill-in, fait de bric et de broc et signé par une pléiade d’artistes. En gros, le tout sent un peu le rafistolage bancal (et pas très bien dessiné quand ce n’est pas Cockrum qui s’en charge), mais il y a quand même quelques éléments à relever le concernant. Déjà, ce fill-in met en lumière un problème désormais très handicapant pour le titre : Cockrum, peut-être pris sur d’autres engagements, ne tient pas les délais. Il va bientôt être débarqué du titre, au profit du jeune artiste qui faisait du lobbying dans l’ombre pour récupérer ce titre qui le fascine tant…
D’autre part, thématiquement, l’épisode (co-écrit par Bill Mantlo) met en scène un prototype de version maléfique de Charles Xavier, qui en appellera d’autres, comme Cassandra Nova et Onslaught. Mantlo récidivera même en créant l’Entité, autre doppelganger du Prof X qui menacera le Microvers dans une mini-série célébrant la rencontre des X-Men et des Micronautes.
L’épisode reste très bancal, puisqu’il semble totalement redondant avec l’épisode 100 où les nouveaux X-Men affrontaient déjà leurs prédécesseurs (ou des doubles de ceux-ci). Certes, cet affrontement est sensé se dérouler avant chronologiquement, mais tout de même, la coordination éditoriale semble avoir été défaillante.

Le numéro 107 est historique à plus d’un titre. Il marque le point culminant de l’intrigue concernant Lilandra et Eric le Rouge, qui court depuis la reprise par Claremont du titre. Le scénariste a réussi à donner une assise solide au pan « cosmique » de l’univers des mutants (peut-être sous l’influence de l’actualité cinématographique ?) introduisant un nouveau grand empire intergalactique au panthéon de Marvel, les Sh’iar, encore aujourd’hui sur le devant de la scène sous la plume de Jonathan Hickman, dans « Infinity ».
L’épisode marque également l’apparition de la Garde Impériale, où Dave Cockrum et Claremont vont se faire plaisir : la Garde Impériale est un pastiche de la « Légion des Super-Héros » de DC Comics. Ce détournement est l’exact équivalent pour les X-Men de ce que Roy Thomas a voulu faire avec l’Escadron Sinistre puis l’Escadron Suprême chez les Vengeurs. L’idée c’est en quelque sorte de s’amuser avec les jouets de la concurrence à peu de frais et de provoquer de facto des crossovers officieux (bien avant les crossovers officiels). Au passage, on en profite bien sûr pour marquer la domination des personnages maison…
Il y a fort à parier que Cockrum est sinon à l’origine de l’idée, au moins fortement enthousiaste à l’idée de remettre le couvert avec ses personnages…ou plutôt de les réinventer. La puissance créative de Cockrum pour le design des costumes de super-héros explose dans cet épisode où chaque membre de la Légion se voit attribuer un homologue : Gladiator = Mon-El (le patronyme Gladiator renvoie aussi à la genèse de Superman…), Hobgoblin = Chameleon Boy, Titan = Colossal Boy, Fang (vieille idée de Cockrum, un proto Wolverine, ce dont Cockrum et Claremont s’amuseront) = Timber Wolf, Oracle = Saturn Girl, Smasher = Ultra Boy, et ainsi de suite…
C’est le chant du cygne de Cockrum sur le titre. Temporairement. Il est tentant, bien sûr, de minimiser les apports de Cockrum à l’aura du titre au vu de ce qui suivra sous les crayons de John Byrne. Mais Cockrum a une part quasi égale dans la création des X-Men à celle de Len Wein, et il est de plus le co-auteur d’une poignée d’épisodes sensationnels, du Giant Size à ce X-Men 107 anthologique. Des épisodes au charme fou, et il faut bien avouer que, même s’ils ont leur charme propre, les épisodes du retour feront pâle figure à côté de ceux-ci. Cockrum, comme la plupart de ses successeurs, fut également un collaborateur privilégié de Claremont, ce dernier ayant la réputation (même l’atrabilaire Alan Davis en convient) d’être très ouvert aux suggestions de ses dessinateurs. Le dessinateur a donc logiquement une part importante dans la paternité de certains concepts cruciaux, comme les Starjammers qui auront droit à leurs titres, et impactent considérablement le destin des X-Men (notamment Cyclope et Xavier).
Claremont dira plus tard qu’il avait parlé avec Cockrum, à cette époque, d’un nouvel ennemi des X-Men, qu’ils avaient imaginé comme un mutant immortel « bloqué » à ses 11 ans, et dont la manifestation aurait été un super-vilain volontairement caricatural, comme issu de l’esprit d’un enfant, un certain Mister Sinistre. Les idées ont long cours chez Claremont.

C’est le moment pour Byrne de prendre place, le temps d’abord de deux épisodes de transition, avant un fill-in lui permettant peut-être de boucler ses autres travaux.
Le premier est la conclusion de la première grande saga cosmique de Claremont, qui annonce à bien des égards celle du Phénix Noir. Jean Grey y vit une première épiphanie, où elle prend la mesure de sa puissance. Une prise de conscience teintée d’une inquiétude bien légitime…
Le second de ses épisodes, le numéro 109, est la preuve (ce que la rancoeur ultérieure de Byrne n’indique pourtant pas) que dès ses débuts, le dessinateur canadien apporte ses idées et toute la place est faite à celles-ci. L’histoire est connue : Byrne se serait entiché de son compatriote de papier et opère une mise en avant du personnage au détriment du chouchou de Cockrum, Diablo. Il commence à lui apporter un semblant de background en créant un ancien acolyte du griffu, James MacDonald Hudson, alias l’Arme Alpha. A l’époque, l’idée du canadien est de créer des antagonistes pour les X-Men, ils n’étaient pas sensés acquérir de l’autonomie vis-à-vis du titre qui les a vus naître. Pour preuve, la caractérisation de l’Arme Alpha (pas le mauvais bougre, mais sacrément brutal) est très loin de celle du futur Guardian dans « Alpha Flight ».
Associé à l’excellent encreur Terry Austin (qui s’adapte merveilleusement aux plances du canadien), John Byrne éblouit les lecteurs, avec son style tout en rondeurs, alliant le naturalisme halluciné de Neal Adams et l’énergie de Jack Kirby (ses deux références de prédilection).

Le 110 est donc un nouveau fill-in, assez médiocre. Deux points à relever : je me demande bien qui est le mystérieux commanditaire du peu charismatique Warhawk (pas la plus grande création Marvel…euphémisme). Je ne me souviens plus si cela est révélé par la suite. Ou est-ce la première apparition d’un proto-Mr Sinistre ? D’autre part, Jean Grey continue à sembler dériver vers le côté obscur. C’est peut-être d’ailleurs le premier épisode de Claremont où la vieille antienne de Machiavel est citée : « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Tu l’as dit, Jean.

A partir du pittoresque numéro 111, on entre de plain-pied dans l’âge d’or (communément admis comme tel) du titre. La partie graphique semble avoir fini de trouver ses marques (les planches de Byrne et Austin sont sublimes) ; dans un premier temps, Byrne semble se fondre dans le moule de la méthode Claremont : on continue à aller puiser dans le réservoir des anciens adversaires des X-Men. En l’occurrence, Mesmero est responsable d’un petit séjour des mutants dans les coulisses d’un cirque façon « Freaks » de Tod Browning, un épisode très drôle (notamment du fait des contre-emplois de Scott et Jean) qui sert en fait d’introduction au diptyque qui suit : c’est avec « X-Men 1 » en 63 et « X-Men 1, 2 et 3 » en 91 LE classique absolu des confrontations entre Magneto et les X-Men. Cyclope en profite pour enfin synchroniser les efforts des membres de son équipe et se montre à la hauteur de sa réputation de stratège. Mais avec le recul, il est surprenant de constater à quel point Claremont et Byrne éludent (peut-être sous l’influence de Byrne, qui n’a jamais vu en Magneto qu’un criminel) la dimension politique / polémique du personnage. Toute l’ambiguïté du personnage, s’il se montre tout de même ici nettement plus zen que l’hystérique vociférant de l’ère Roy Thomas, est encore à venir. Ces deux épisodes n’en sont pas moins, eux aussi, anthologiques.

S’amorce alors une période où Claremont et Byrne vont savamment faire monter les enchères sur deux arcs narratifs déjà embryonnaires, celui du Mutant X et celui de la déchéance de Phénix. Mais au premier plan, c’est un long périple qui s’annonce où les X-Men vont honorer leur origine multinationale en jouant les globe-trotters, le temps de croiser de vieilles connaissances.
Premier arrêt : la Terre Sauvage, où l’équipe retrouve Ka-Zar (c’est l’occasion pour Marvel de boucler une histoire le concernant, entamée dans un titre annulé) et Sauron. Ce dernier personnage (un nouvel hypnotiseur, après Mesmero : décidément, c’est une véritable obsession…) et ce décorum font consensus chez les deux auteurs tous deux friands de l’ère Thomas / Adams (ils ont utilisés Sauron et la Terre Sauvage pour des épisodes mémorables, déjà). C’est l’occasion de l’apparition de Garokk, un adversaire de peu d’envergure finalement (qui réapparaîtra plus tard en larbin de Magneto) mais aussi de Zaladane, que l’on reverra à la toute fin du cycle de Claremont. Les auteurs en profitent pour y mettre en scène un Cyclope insensible à la mort de Jean Grey, arguant du fait qu’il ne la reconnaît plus, ce qui ne manque pas de sel quand on connaît certains développements scénaristiques ultérieurs…

Mais cette saga est déjà l’occasion de voir se craqueler la façade apparemment sans faille de la relation entre les deux auteurs. On l’a vu, Byrne met Serval en avant. C’est lui désormais (ou Tornade, dans la base de Magneto) qui vole au secours de ses co-équipiers, et non Diablo, délesté d’un modificateur d’apparence trop encombrant (presque un pouvoir supplémentaire et non des moindres, et aussi selon les auteurs, certainement à raison, une négation de l’acceptation par Diablo de son apparence…). Mais Claremont aussi a des plans pour Serval.
En l’occurrence, Claremont est furieux que Byrne ait imposé un effet sonore sur une case (un « snikt » qui ne laisse aucun doute sur le sort réservé à un garde par Serval). Trop direct pour le scénariste, qui avait pourtant, avec Cockrum, suggéré la même chose avec le Garde Impérial Fang, quelques épisodes auparavant…
Différences créatives ou duels d’égos ?

Prochain épisode : Le trio Claremont / Byrne / Austin vole de sommet en sommet, alors que l’on voit apparaître coup sur coup le plus terrifiant puis le plus naze des adversaires des X-Men…

1 « J'aime »