X-MEN : L'INTÉGRALE 1963-1998

Nous sommes en 1981, et c’est l’heure pour John Byrne de quitter le titre. Mais pas avant d’avoir livré une dernière saga majeure ; puis Dave Cockrum, co-créateur de l’équipe, revient pour des épisodes moins flamboyants que lors de son premier passage…

X-Men : l’intégrale 1981 (Uncanny X-Men 141 à 152 / Uncanny X-Men Annual 5)

http://www.paninicomics.fr/PortletCMS/servlet/ResourceLoaderPortletServlet?id_img=62179

*En 2013, les mutants ont été pourchassés et massacrés par les Sentinelles, et les rares survivants sont parqués dans des camps, soumis à des inhibiteurs de pouvoirs. Menés par Magneto, les derniers X-Men conçoivent un plan : tout semblant perdu, la seule solution est de voyager dans le temps pour modifier le cours de l’histoire. La conscience de Kate Pryde, l’avatar du futur de Kitty (Etincelle), est projetée par Rachel dans le corps de sa jeune contrepartie, en 1980. Elle persuade les X-Men de son passé de l’aider en empêchant l’assassinat du sénateur Robert Kelly, car c’est ce crime qui mènera aux évènements catastrophiques de 2013.
Alors que les X-Men affrontent la nouvelle Confrérie des Mauvais Mutants de Mystique pour sauver Kelly (mais aussi Xavier et Moira), les choses vont de mal en pis dans le futur. Les derniers X-Men menés par Logan cherchent à neutraliser les Sentinelles en attaquant leur nouveau QG, le Baxter Building, mais ils sont massacrés. Seules demeurent Kitty, inconsciente, et Rachel, qui espère que Kate accomplira sa mission dans le passé.
Et en effet, Kate parvient à empêcher Destinée d’assassiner le sénateur, et Kitty est de retour. Mais alors que les X-Men se demandent s’ils ont accompli leur mission, des visiteurs du soir à la Maison Blanche, dont Kelly, Sebastian Shaw et Henry Peter Gyrich (l’atrabilaire agent de liaison des Vengeurs), fomentent malgré tout l’avènement des Sentinelles…

Le soir de Noël, Kitty affronte et terrasse seule un démon N’Garai, une race d’anciens dieux déjà croisés par les nouveaux X-Men à leurs débuts. Mais c’est au prix de la dévastation de l’école, ce qui vaut à la benjamine des X-Men les railleries de ses camarades.
Cyclope, lui, a pris la mer en s’embarquant sur le chalutier de Lee Forrester, qui semble amoureuse de lui. Avec l’aide du mystérieux Homme-Chose, Scott sauve la jeune femme des griffes du démon D’Spayre, qui a provoqué la mort du père de Lee.
Les X-Men sont contactés par leur ennemie Miss Locke, qui a kidnappé leurs amis : elle cherche à faire pression sur l’équipe pour qu’elle s’attaque au Docteur Fatalis et libère Arcade, captif du monarque latvérien déchu. Xavier convoque une équipe de « réservistes » qui ont pour mission de sauver les otages de Miss Locke dans son Murderworld. L’équipe titulaire quant à elle doit sauver Arcade : mais si les otages sont tirés des griffes de Miss Locke, les X-Men sont battus à plate couture par Fatalis qui les enferme dans des pièges conçus pour tester leurs limites, Tornade étant quant à elle transformée en véritable statue vivante. Les X-Men se libèrent néanmoins de leurs pièges et confrontent Fatalis pour récupérer Tornade, qui, furieuse, manque de provoquer une tempête incontrôlable. Ayant obtenu des excuses d’Arcade, Fatalis laisse partir tous ses « hôtes ».

Pendant ce temps, Scott et Lee Forrester, naufragés, ont mis le pied sur une île déserte qui ne l’est pas tant que ça, puisqu’il s’agit d’une base de Magneto, qui prépare une nouvelle attaque comme le suspectait Xavier.
Tornade, Kitty, Spider-Woman et Stevie Hunter assistent à un concert de Dazzler, alliée des X-Men, brutalement interrompu par l’irruption de Caliban, un mutant inconnu qui semble vivre dans les égouts new-yorkais, et qui se volatilise après avoir révélé sa nature.
Convaincu de l’imminence de l’attaque de Magneto, Xavier envoie l’équipe dans la base antarctique où les X-Men ont précédemment affronté le mauvais mutant. La base a effectivement été utilisée par Magneto après cet affrontement, et il y a laissé le monstrueux Garokk pour y monter la garde. Ivre de colère, ce dernier attaque les X-Men mais est défait…
Magneto ne tarde pas à abattre ses cartes : il menace les divers gouvernements de mesures de rétorsion s’ils n’entament pas un processus immédiat de désarmement de leurs arsenaux nucléaires. Attaqué par les russes, Magneto réagit en coulant le sous-marin Leningrad et en dévastant la ville de Varykino. Localisé par les X-Men, il les affrontent dans un combat sans merci, mais il blesse involontairement la jeune Kitty Pryde, ce qui semble être le catalyseur d’une violente prise de conscience chez lui. Il disparaît…

Les X-Men, rejoints par Cyclope, doivent faire face à une mauvaise nouvelle : les parents de Kitty ont décidé de la changer d’établissement, et de l’inscrire dans celui dirigée par Emma Frost, alias la Reine Blanche. Personne ne pouvant faire obstacle à cette décision, Tornade accompagne Kitty sur place, mais tombe dans un guet-apens : à l’aide d’un gadget de son invention, Frost échange son corps avec celui de Tornade. Attaqués par de nouvelles Sentinelles dans leur propre fief, les X-Men semblent l’emporter mais ils sont trahis par Tornade / Frost, qui les livre au Club des Damnés.
La vraie Tornade, cependant, s’est enfuie avec Kitty, qu’elle a du mal à convaincre de sa bonne foi. Arrivées à l’école, Kitty et Ororo permettent la libération des X-Men, qui triomphent du Club, Tornade récupérant son corps et ses pouvoirs au passage…

Les X-Men volent ensuite au secours des 4 Fantastiques à la demande de Jane Richards, ses trois coéquipiers ayant été enlevés par les redoutables Badoons, des conquérants reptiliens. Ces derniers attaquent le royaume d’Arkon, souverain d’une autre dimension déjà visitée par les X-Men. Ceux-ci libèrent les Fantastiques et défont les Badoons, alors que Tornade fait le choix de rentrer sur Terre avec ses amis, au lieu de rester auprès d’Arkon… *

Crevons l’abcès tout de suite : oui, plusieurs années à l’avance, l’intrigue de « Days of Future Past » fait furieusement penser à celle de « Terminator » de James Cameron, ce dernier ayant aussi emprunté au personnage de Deathlock pour concevoir son cyborg assassin. Mais ce serait aller un peu vite en besogne que d’en déduire que Cameron n’est qu’un vil plagieur sans vergogne. Après tout, Byrne et Claremont eux-mêmes (ce sont eux qui le confessent) ne sortent pas cette intrigue de leur chapeau tel des magiciens, ex nihilo : un épisode du célèbre « Doctor Who » les a inspirés à la base…
« Days of Future Past » est aux yeux de l’auteur de ces lignes le sommet de l’ère Byrne et peut-être même de toute la saga mutante. C’est en tout cas, indéniablement, la pierre d’angle de tout le reste du run de Claremont. C’est à la fois, pour les « nouveaux » X-Men, la fin de l’innocence (bien entamée avec la corruption du Phénix) et l’entrée de plain-pied dans un âge plus sombre, plus pessimiste.
Le coup de génie des auteurs, c’est d’attaquer in media res, en plein coeur de ce 21ème siècle dystopique. Rappelons-nous qu’à cette époque, à l’exclusion de quelques exemples isolées (comme ce que pourra faire Roy Thomas sur les Vengeurs, avec l’Escadron Suprême par exemple, ou Arkon), les dimensions parallèles et les futurs alternatifs ne sont pas monnaie courante, contrairement à des sagas récentes ayant abusé du procédé jusqu’à le vider de sa substance et de toute tension dramatique. A l’époque, pour les lecteurs des X-Men, le 2013 de « Days… », c’est LE futur des X-Men, ou c’est en tout cas la description de ce qui se passera inévitablement pour les mutants si rien n’est fait. L’impact est renforcé par le travail de Byrne et Austin, impressionnants lorsqu’il s’agit de dépeindre le New-York décrépi du futur, avec un nombre incalculable de détails sur les ruines jonchant le sol, anticipant les descriptions apocalyptiques de Katsuhiro Otomo sur « Akira ».
Claremont n’était pas chaud pour utiliser les Sentinelles, des adversaires pas assez menaçants à ses yeux pour l’équipe. Il a peur de faire perdre de l’intensité à la saga en les mettant en scène : Byrne lui explique que c’est au contraire l’occasion idéale de faire de ces machines une menace majeure pour les mutants. Et les auteurs iront très loin en la matière. Ce qu’il dépeigne ce n’est ni plus ni moins que l’Holocauste mutant. Et voilà que Claremont intègre pleinement la possibilité allégorique du concept « mutant » (l’altérité, la minorité), en allant plus loin que tous ses prédécesseurs. Son idée est également de remonter aux sources du problème, en dépeignant de manière totalement non manichéenne un personnage politique dangereux mais peut-être pas si mauvais que ça, le sénateur Kelly. Certains lecteurs trouveront même que Kelly (un ingrat à la fin de l’histoire, quand même) aurait pu être traité de manière moins magnanime par Claremont, qui semble lui trouver des excuses à travers le bien tolérant Professeur Xavier. Mais c’est oublier que les récits de Claremont sont des paraboles sur le pardon et la rédemption.
Certainement conscient de la force de ce sous-texte, Claremont y reviendra pour cimenter sa reprise du personnage de Magneto, mais il lui faudra attendre le départ de Byrne pour ça…

Du point de vue formel, au-delà de la maëstria de la partie graphique, les auteurs réalisent un véritable tour de force narratif avec une saga très dense (pliée en deux petits épisodes, que les auteurs actuels en prennent de la graine) et très riche au niveau des idées développées. Le plus frappant sont ces parallèles entre passé et avenir qui creusent les personnages et leurs relations de façon très profonde et pourtant très simple. L’exemple le plus frappant est ce Magneto du futur en chaise roulante, qui assume de façon visuelle et symbolique le rôle de Charles Xavier ; c’est le premier indice de sa métamorphose imminente. Et, de fait, Claremont avait bel et bien le projet d’amener Magneto à la tête des X-Men, un passage de relais que ce « flash-forward » lui permet d’installer dans l’esprit du lecteur.
Ororo et Serval sont aussi au coeur de ces jeux de reflets, avec un dialogue en montage parallèle et en « reflets inversés » : dans le présent, Tornade nouvellement promue leader de l’équipe interdit à Serval l’usage de ses griffes su le champ de bataille. Dans le futur (la « mise en scène » fait le lien entre les deux dialogues via la position des personnages dans les cases), elle est sur la même ligne que lui. C’est ainsi que Claremont creusera ce personnage à l’avenir : par des compromis successifs avec son éthique (qui commence par son échec à sauver Garokk en Terre Sauvage), Tornade vient progressivement à s’accorder avec les méthodes de Serval, jusqu’à lui confier des missions « inavouables » à la « Uncanny X-Force » à partir de « Mutant Massacre »…
Logan est aussi l’objet de l’image la plus traumatisante de la saga : son atomisation par une Sentinelle, dans le futur. Une des cases de comics les plus fortes ayant vues le jour, et pour votre serviteur un impérissable frisson. Là aussi, le passé et le futur dialoguent, avec une évocation de ce funeste destin par le truchement d’une quasi carbonisation aux mains de Pyro. Vraiment malin, et mine de rien, Claremont et Byrne appuient sur la nature inéluctable des évènements de manière presque subliminale (Claremont n’en démordra pas et multipliera ce type d’échos…).
C’est astucieux de la part de Claremont et Byrne que de faire de Kitty / Kate le personnage clef du récit : ils cimentent ainsi son appartenance au titre. En terme d’invention pure, à l’exclusion de quelques vilains (d’anthologie), l’apport majeur de la collaboration entre Byrne et Claremont aura été le personnage de Kitty. Et pourtant ils ne sont vraiment pas d’accord sur la tournure à faire prendre au personnage, à l’exclusion d’une love-story avec Colossus, qui prend une dimension tragique avec la vision du destin qui les attend. Mais 33 ans dans le futur, ils sont toujours amoureux, ce qui impactent les lecteurs (Claremont en jouera). Très fin aussi est le parallèle entre le malaise éprouvée par Kitty en présence de Diablo, et la façon dont Kate lui saute au cou sitôt rendue dans le passé…

Le tour de force de cet arc, c’est évidemment de donner à la saga mutante une dimension quasi mythologique à travers cette apocalypse, ce « götterdämmerung » des mutants. Dans sa préface au « Dark Knight Returns » de Miller, Alan Moore disait que ce qui empêchait les super-héros d’accéder à la dimension mythique était l’absence de « récit de la fin » de ceux-ci, bien pourvus en « récit des origines », mais bloqués dans une temporalité bâtarde vis-à-vis de leur statut mythique du fait de cette absence (et soulignant au passage que la réussite de Miller, c’est évidemment d’arriver à inscrire Batman dans une temporalité mythique, en racontant son « dernier » récit). Voilà ce que font Byrne et Claremont en racontant la fin du « mythe » mutant : Claremont jouera d’ailleurs beaucoup par la suite avec la possibilité constante de la résurgence de ce futur redoutable, même si le péril semble conjuré (et de fait, du simple déplacement dans le temps de Kate, le futur de « Days… » est d’emblée un futur alternatif).
C’est également là que se trouve la « modernité » du récit, dans cette conclusion en demi-teintes aux allures de victoire impossible à qualifier ou à « vérifier ». La dernière page, à la Maison-Blanche, assure ainsi au lecteur une indécision totale quant à la nature de ce qui se trame : malgré l’action des X-Men, le pire semble advenir quand même. Un constat d’impuissance baigné de craintes et redoublé d’une évocation des tensions est / ouest de l’époque et du péril nucléaire, annonçant sur ce point jusqu’au célèbre « Watchmen ».

En termes d’apport à la saga, les auteurs inventent de toutes pièces ou presque une nouvelle Confrérie des Mauvais Mutants : presque, car le Colosse appartient à la première ère du titre (c’est un des tous premiers adversaires de l’équipe), et Mystique a été rapportée par Claremont du titre « Miss Marvel » qu’il a écrit avant son annulation. Cette Raven Darkholme a un sacré potentiel et sera amené à devenir un personnage majeur de l’univers mutant.

Pour le reste cette Confrérie peut paraître plus unidimensionnelle que la précédente à première vue (pas de Vif-Argent ou de Sorcière Rouge ici), mais Claremont et Byrne en font déjà une cellule dysfonctionnelle un peu « familiale ». Claremont fera un usage récurrent de ces personnages (au design impeccable, Byrne oblige), qui gagneront une patine différente en devenant la Freedom Force, au centre de bien des sagas mémorables à venir.
Claremont étoffe également, c’est un souci constant chez lui (et un art perdu chez la plupart des auteurs contemporains, comme c’est souvent rappelé sur ce forum), les personnages secondaires « ordinaires » ou « civils ». « Uncanny X-Men » est un des titres les plus riches en ce sens : ici le Sénateur Kelly se révèle d’emblée un personnage potentiellement passionnant…

Formellement éblouissant et thématiquement séminal (s’il y a bien un thème que Claremont ne mettra jamais de côté malgré le côté mouvant de son run, c’est l’hystérie anti-mutante, qui prend vraiment sa source ici…), voilà assurément un coup de maître.
C’est là-dessus que les auteurs se quittent, même s’ils avaient planifié des choses jusqu’au numéro 150 « anniversaire » (le retour de Magneto et du Phénix…diantre !), mais il est probable que dès l’imbroglio lié à X-Men 137 (durant lequel Byrne a beaucup discuté seul avec Shooter), l’affaire était pliée. Byrne dira plus tard avoir mesuré son envie de quitter le titre (et l’ampleur de ses désaccords avec Claremont) en relevant le premier moment où il fait « beurk » à la lecture de l’épisode, et des écrits de Claremont. C’est lorsqu’il fait « beurk » dès la première page du numéro 140 qu’il prend sa décision. Il s’en va réaliser un run renversant (mais contesté par certains puristes à en croire le net) sur les FF.
Il tire sa révérence sur un excellent numéro 143, qui semble de son fait pour l’essentiel : pas de sub-plots ici, mais une longue scène d’action magnifiquement mise en scène par le canadien. En toute logique, après avoir basé le visage de Kitty sur celui de Sigourney Weaver, les auteurs lui opposent un pseudo « Alien », en fait un démon N’Garai (des adversaires aperçus dès la relance du titre, sous le crayon de Cockrum ; l’épisode faisait référence au « Rendez-vous avec la Peur » de Jacques Tourneur). Plus tard, Claremont citera de manière au moins aussi directe le film de Ridley Scott en créant les fameux Brood, plus marquants que les N’Garai.
Pour la petite anecdote, l’épisode ne fut pas publié par Lug à l’époque. Deux raisons à cela : le numéro en question est assez noir et violent (logique), certainement trop pour les standards VF de l’époque, et d’autre part, l’épisode fait référence à l’épisode sus-cité déjà censuré par Lug en premier lieu (probablement pour la même raison). Les lecteurs réclament pourtant l’épisode à cors et à cris, mais leur requête restera lettre morte (une des grandes frustrations des lecteurs VF de l’époque d’après le courrier, avec « Phoenix : The Untold Story », qui n’a pourtant qu’un intérêt documentaire)…

Pour la plus petite anecdote encore, cet épisode comporte une scène aberrante où Serval manque de tuer Diablo qui n’a fait que voler un baiser à Mariko, sa douce. En fait, c’est Shooter qui impose cette scène « pétage de plombs » : si paradoxalement il insiste pour dédouaner Logan de ses meurtres (on le verra plus tard), il veut quand même le montrer comme un sauvage incontrôlable ; les auteurs s’arrachent les cheveux, surtout Claremont qui a bien d’autres plans pour le personnage.
L’épisode est aussi l’occasion d’asseoir définitivement, si besoin était après « Days of Future Past », Etincelle comme un personnage majeur. Les autres personnages auront beau faire des gorges chaudes de ce combat ayant mené à la dévastation de l’école, c’est bien là que Kitty Pryde gagne ses galons.

Ce n’est pas parce que Byrne n’est plus là que le titre en perd de son intérêt, loin s’en faut. J’en veux pour preuve le premier épisode post-Byrne, le numéro 144, un de mes favoris de toute la saga. Une perle illustrée de main de maître par un nouveau venu de talent qui n’a pas fini de faire parler de lui, Bret Anderson.
L’épisode abandonne l’équipe pour se focaliser sur Cyclope, dont on a bien compris d’emblée que la mise en retrait n’était en aucun cas un indicateur d’une quelconque volonté de Claremont de se débarrasser du personnage : le scénariste continue à s’intéresser à Scott Summers de très près. Ici il le lance dans un début de romance en plein deuil (ce type d’intrigues rappelle un peu le Spider-Man post-Gwen Stacy) avec Lee Forrester dont il brosse avec efficacité un petit background, prétexte à une histoire horrifique de haut vol, illustrée avec brio, et qui n’est pas sans rappeler le climat d’un titre comme « Doctor Strange ». Et justement, Chris Claremont y a créé le personnage de D’Spayre, un second couteau de l’univers Marvel, mais ici assez judicieusement employé par le scénariste. Ce sous-Cauchemar y soumet Cyclope à une série d"hallucinations « déceptives », typique de l’écriture de Claremont, qu’il inaugure ici. Il rejouera certaines des visions évoquées ici (la chute des frères Summers de l’avion, un des « scènes primitives » incontournables de la saga mutante, déjà entraperçue sous l’ère Byrne…) à de multiples reprises, les traumas revenant hanter les personnages constituant un des ressorts de la saga.
Ces scènes cauchemardesques lorgnent à leur meilleur avec un climat authentiquement horrifique (c’est le cas ici), écrin idéal à l’apparition parfaitement adéquate de l’Homme-Chose (même si un peu courte et peu motivée narrativement, mais Claremont est habitué à ce type de « facilités »…), qui vient renforcer l’atmosphère à couper au couteau. Un épisode époustouflant, sans objectivité aucune.

Pas plus d’objectivité en réserve pour parler du triptyque constitué par les épisodes 145, 146 et 147, ils sont pour ainsi les dernières briques qui ont contribué à m’emmurer dans la série pour les années qui ont suivies… Et pourtant, « objectivement », ils sont peut-être bien moins consistants que les épisodes des heures sombres qui ont précédé. Plusieurs choses à relever à leur sujet : c’est en premier lieu le grand retour de Dave Cockrum, co-créateur du titre. Le staff éditorial s’est peut-être dit, après le départ de Byrne : jouons la sécurité. Hélas, le dessinateur, pourtant mieux servi à l’encrage (mais moins que Byrne : Austin s’en va aussi), souffre de la comparaison avec le canadien, dont le vent de fraîcheur a un peu daté le graphisme pourtant excellent de Cockrum.
D’autre part, la saga en question regorge de ressorts narratifs ludiques, comme l’idée finalement assez peu usitée (jusqu’à la fin de l’ère Silvestri, où elle réapparaît), à l’exclusion du concept des Nouveaux Mutants, de l’équipe de réservistes X-Men. Ici, Iceberg, le Hurleur, Havok et Polaris sont rappelés pour seconder l’équipe.
Enfin, les épisodes en question sont célèbres pour l’utilisation que Claremont y fait de la nemesis des FF, le Docteur Fatalis. Pour une fois opposé aux mutants, le monarque latvérien (déchu à l’époque) y fait preuve il est vrai d’une grande mansuétude, ce qui ne lui ressemble guère. Voilà qui est trop pour Byrne, qui ne supporte déjà pas qu’on utilise un personnage qu’il conçoit lui appartenir, et qui de plus considère que Claremont dénature le personnage. Il rétorque dans une scène célèbre de ses FF (le fabuleux numéro 258), où il révèle que le Fatalis employé par Claremont n’était qu’un robot, au comportement de plus vivement désapprouvé par son maître, qui le détruit aussitôt… Les choses sont claires.
Pourtant, on peut considérer que Byrne est un peu dur. Sans compter que Claremont expose le personnage dans un titre qui se vend très bien, le scénariste fait honneur au vilain numéro 1 de Marvel qui commence quand même par mettre une peignée aux X-Men (gamin, je trouvais génial le coup des écrans de contrôle sur la table pendant le dîner avec Ororo…). Et s’il est vrai qu’on le reconnaît moins sur la fin de l’arc (des excuses et on est quittes), son association avec un vilain même mineur comme Arcade fait sens, du fait des pièges et autres salles truquées, dont Fatalis est un inconditionnel depuis le début des FF (on notera que Kitty a été écartée de cet arc…par une grippe : quel piège la retiendrait ?).
Byrne ira jusqu’à dire que c’est sous l’impulsion de sa « récupération » de Fatalis (qu’il réintronise très symboliquement dans ses FF, par les FF eux-mêmes d’ailleurs, comme un commentaire) que Claremont, par dépit, a fait évolué Magneto dans le sens du vilain bien plus nuancé qu’il fera naître. C’est bien peu probable : nous sommes de toutes façons là au coeur de la dissension qui existe entre Byrne et Claremont ; le premier conçoit les personnages comme des images permanentes de la première impulsion qui les a vus naître (Byrne regarde vers Kirby en l’occurrence), le second les voit en mouvement perpétuel. Ils ne peuvent pas s’entendre sur Magneto, Byrne le voit comme la crapule qui laisse des bombes exploser derrière lui en s’enfuyant comme un lâche dans « X-Men 1 », Claremont s’apprête à faire des révélations pour le moins cruciales sur le compte du personnage nuançant la vision de Byrne. Au final, puisqu’il reste, c’est Claremont qui impose sa vision. Son but : faire de Magneto le nouveau Xavier, dans un récit de rédemption qui est au coeur de sa vision des X-Men. Mais nous y reviendrons.

Si le numéro 148 est assez décevant au regard des précédents (clairement pas un grand cru), il a quand même des traits notables : c’est en premier lieu un prototype d’épisodes centrés sur un casting exclusivement féminin, une spécialité de Claremont. L’équipe étant encore majoritairement masculine, Claremont recrute des guest-stars proches du groupe, comme Dazzler qui refait surface, mais aussi Jessica Drew / Spider-Woman (débarquée du titre éponyme, écrit un temps par Claremont, décidément…), et aussi Carol Danvers alias Miss Marvel. Cette dernière trouve refuge chez les X-Men à l’issue de l’époustouflant « Avengers Annual 10 » écrit par Claremont et dessiné par un Michael Golden en état de grâce. L’épisode y met en scène la toute fraîche Confrérie, et leur opposition aux Vengeurs, avec le renfort de poids de Malicia (Rogue en VO) qui dépouille Carol Danvers de ses pouvoirs et de sa personnalité (une confrontation qui aurait dû avoir lieu dans le titre « Miss Marvel », annulé). Claremont a des plans sur le long terme pour les deux personnages.
En outre, l’épisode est l’occasion, selon une ruse désormais bien éprouvée (par Lee et Kirby par exemple, avec les Inhumains), d’introduire une nouvelle communauté d’individus cachés à la vue de tous, par le truchement d’un premier personnage. En l’occurrence, le mystérieux Caliban, aux pouvoirs mal définis, est le premier Morlock croisé par les X-Men. Si les récits de Claremont ont bien une portée politique, les X-Men ont trouvé leur lumpenprolétariat.
Les Morlocks auront une importance cruciale dans le run de Claremont et bien au-delà.
L’épisode est aussi hélas l’occasion de constater les limites de Cockrum. Plus soumis à la pression des délais que l’ultra-rapide Byrne (qui peut dessiner deux épisodes par mois à l’époque), il semble un peu bâcler certains arrière-plans, désespérément vides. Le casting orienté « personnages ordinaires » de Claremont sur l’épisode dévoile également l’inadaptation relative de Cokrum au regard du réalisme et de l’efficacité de Byrne en la matière…

L’épisode 149, passable, introduit le fameux numéro 150 où Magneto doit faire son grand retour, c’est prévu de longue date (pas de Phénix à l’horizon par contre, et pour cause). L’épisode fait avancer quelques sub-plots en cours, comme le naufrage improbable (encore une spécialité de Claremont) de Lee et Cyclope, pile poil sur l’île de Magneto. Claremont prend le soin d’y dépeindre un Scott privé de visière, désemparé et perdu. Sa caractérisation du personnage fait toujours mouche. De son côté, l’équipe affronte le très mineur Garokk, clairement pas la meilleure création Marvel… L’épisode tricote sur le claustrophobie de Tornade, un élément qui semble un peu faire tourner le personnage en rond. On sent que le scénariste se tâte la concernant ; dans la saga précédente, Ororo y devenait un ersatz de Phénix Noir (toutes proportions gardées) menaçant de perdre le contrôle. La piste ne sera pas creusée plus avant, mais pas le dilemme moral d’Ororo concernant le meurtre. Les auteurs avaient de toute façon pris une excellente décision en en faisant le leader de l’équipe, une idée très féconde sur le long terme.
Le titre de l’épisode 150 dit tout : « I, Magneto », pas besoin de faire un dessin. Le personnage y connaît ici une transition majeure. Fini le terroriste mutant mégalo assez caricatural d’antan : celui-ci a les nerfs plus solides, et paraît presque raisonnable. Mais l’épisode met littéralement en scène ce changement ; au début de l’épisode, il se montre implacable en coulant le sous-marin russe Leningrad, un crime qui lui sera longtemps attaché comme un boulet à la cheville, même si Claremont prend soin de montrer un Magneto tout de suite plus mesuré (il ne fait pas de victime sur le coup, précise le scénariste) dévastant une petite ville.
Si l’épisode est nettement moins flamboyant visuellement que le précédent affrontement entre ces belligérants (dans un volcan), il vaut surtout pour ses dialogues : Magneto y révèle une large part de son passé. C’est un survivant de l’holocauste. Une caractéristique pas forcément inédite dans les comics, mais qui prend une résonance inouïe dans le cadre du titre et de son sous-texte (le tout récent « Days of Future Past » et ses camps de la mort mutants). Le personnage gagne une dimension inédite, étayée par la sincère tristesse du vilain à l’annonce de la mort de Jean Grey (une posture un peu « Fatalis », pour le coup) et surtout par sa violente prise de conscience à la fin de l’épisode (durant lequel il blesse Kitty) où l’on en apprend plus sur son passé tragique et le contexte de la manifestation de ses pouvoirs, tragique. Le décor est planté : Claremont va entamer sa grande histoire de rédemption sur le long terme. Il sait ce qu’il veut faire jusqu’au numéro 200, et peut-être 300 s’il est toujours sur le titre : Magneto doit peu à peu remplacer Xavier et s’amender en reprenant le flambeau. Un arc narratif somptueux en devenir, hélas sabordé par les aléas de la vie du titre (en l’occurrence le départ de Claremont et les desiderata de Jim Lee, qui provoquera avec le soutien de Bob Harras le retour d’un Magneto « vilain », très byrnien pour le coup…).

Le diptyque qui clôt l’album (un autre souvenir de jeunesse ému) se révèle dans la moyenne assez basse des épisodes depuis le retour de Cockrum, nonobstant le crucial épisode 150 (qui voit le retour « hors-champ » de Cyclope, Claremont peut s’autoriser ce genre d’ellipses). Il voit le retour du Club des Damnés et surtout d’Emma Frost, la Reine Blanche, laissée pour morte. Même si cette dernière fomente un plan astucieux (certes pas inédit) en échangeant son corps avec celui de Tornade, force est de constater que cette apparition du Club manque de force au regard de la classe folle de leur première sortie, dans la mémorable saga avec Byrne aux crayons. La saga est d’ailleurs un peu maladroitement rejouée, alors que Logan passe à nouveau pour mort pour mettre le Club en déroute, cette fois par le biais d’un sortilège d’Amanda Sefton. Un brin tarabiscoté pour pas grand chose, la saga met même en scène de bien piètres Sentinelles, après « Days… ». Mais Kitty s’y affirme encore, entamant concrètement sa love-story avec Peter.
Plus intéressant est le sous-texte tordu que Claremont ne cesse d’accoler au Club : un climat de stupre l’entoure, Claremont ne semblant pouvoir dépeindre l’aristocratie que rongée par le vice (et de fait, la plupart de ses scènes de « possession » ou de cauchemars ont pour cadre une soirée haut-de-gamme…) : quand on y songe, Claremont y induit une sacrée tension en sous-entendant qu’Emma Frost habitant le corps d’Ororo n’est pas restée de marbre devant Sebastian Shaw qu’elle embrasse goulument. Le lecteur voit Ororo céder à la tentation, c’est bien le but du scénariste…
D’où sa colère légitime à la fin de l’arc, où se repose la question du meurtre. Un comble : c’est Logan qui vient la raisonner. Il faut dire que Shooter a insisté pour les « victimes » de Serval lors de la première apparition du Club s’y présentent en pleine forme, pour lever le doute. En pleine forme, il faut le dire vite, les mercenaires en question étant transformés en cyborgs. Ce sont là trois futurs membres des fameux Reavers.

Le « Uncanny X-Men Annual 5 » est assez anecdotique, avec son utilisation des FF par Claremont (on dirait qu’il cherche vraiment des crosses à Byrne…) un peu pataude (Sue Storm y est assez mal caractérisée, un comble pour Claremont), dessiné par un Brent Anderson pas vraiment transcendant. Les X-Men et les FF y sont opposés aux Badoons, des personnages qui m’ont toujours fait l’impression d’être inutilement doublons des Skrulls…
On est en tout cas très loin de la réussite époustouflante du « Avengers Annual 10 » avec Michael Golden.

Prochain épisode : Le titre se met à ronronner un peu avec Cockrum aux crayons, mais Claremont en profite pour planter littéralement les graines de sub-plots au long cours. Et un illustrateur hors du commun fait son arrivée sur la franchise naissante…

1 « J'aime »