Discutez de Yoni

Discutez de Yoni


Ouh, c’est pas bien, ça.

Pourtant, c’est prometteur. Yann au scénario, avec son mauvais esprit et son sens des péripéties exagérées, Berthet au dessin avec son style élégant, ses jolies héroïnes et son encrage encore raffinée (on est en 2004, il dessinait encore très bien à l’époque), tous deux au service d’un univers de science-fiction cyberpunk qui pourrait véhiculer plein de choses cools, de belles métaphores qui évoquent en cognant notre monde actuel.
Alors oui, c’est joli. Berthet en profite, par rapport à Pin-Up, pour dessiner de grandes cases et s’amuser un peu. Mais ça s’arrête là. L’univers en soi est une accumulation de clichés qui proviennent tout à la fois d’une science-fiction de bazar et de références à l’actualité de l’époque, ne conduisant qu’à une caricature à gros trait promise à un vieillissement prématuré : la France en partie polluée, l’Amérique obsédée par la sécurité…
Yann, de son côté, s’écoute complètement écrire, faisant prononcer à ses personnages de tirades ronflantes pleines d’expression artificielles et de vacheries à rallonge. Il utilise des anglicismes à foison au sein des dialogues débordant de « Shit » et de « Jeeesus », et placarde des mots-valises pour faire futuriste et des références à des acteurs, des politiciens ou des copains bédéastes, qui finissent de piétiner le peu d’effet de réel de ses atmosphères.
L’héroïne, une agente contorsionniste dont on ne saura jamais comment elle cultivé ces dons, est d’origine indienne, détail qui ne sera exploité qu’à la fin du deuxième tome, et souffre d’un trouble neurologique qui fait qu’elle ne voit pas sur son côté gauche : elle est donc forcée de porter des lunettes qu’elle perd quand même trois fois en deux tomes, c’est dire avec quelle légèreté le scénariste justifie le sentiment de danger.
Jim
Le tome 2 n’est pas bien meilleur.

Au mieux peut-on voir dans les scènes du début une préfiguration de certains modes de manifestations actuelles (les revendications dans les musées, les activistes accrochés aux arbres) et dans une scène vers la fin une timide dénonciation du racisme. Ça ne va pas bien loin. Mais on a encore droit à des tirades à n’en plus finir, à des anglicismes inutiles et à des néologismes envahissants, qui se veulent drôles et finissent par lasser.
Dans le premier tome, Yoni devait retrouver une jeune femme, produit d’une sélection génétique destinée à un mariage arrangé, encore une idée intéressante dont le scénariste ne tire pas grand-chose, à part quelques scènes de colère et de fâcherie, assez artificielle. Ici, elle doit infiltrer une TAZ (une « zone autonome temporaire », voir Hakim Bey, référence explicite dans l’histoire). La confrontation avec ces activistes, eux-mêmes noyautés par des gens encore moins scrupuleux, ne conduit à aucune réflexion chez l’héroïne : en butte au pouvoir, elle demeure cependant complètement conservatrice et dans le camp du pouvoir. Cela donne donc un album qui ridiculise toute forme de contestation et de revendication, où s’agite une héroïne sans réelle conscience morale, éthique ou politique, qui ne fait que perpétuer l’ordre établi.
Au bout de deux albums, c’est un peu maigre. On s’attend à ce que le troisième tome, qui la voit condamnée à l’incarcération dans un camp décrit comme une sorte de Guantanomo survitaminé, puisse la montrer évoluer enfin, mais ce troisième tome, justement, ne sortira jamais, malgré l’annonce en dernière page. Une série avortée qui laisse donc une héroïne sans relief au sein d’un univers où l’esprit potache du scénariste ne nourrit aucune réflexion politique, aucun commentaire un tant soit peu subversif.
Jim