10 CLOVERFIELD LANE (Dan Trachtenberg)

Anciennement connue sous les titres de travail The Cellar et Valencia, la nouvelle production de J.J. Abrams vient de dévoiler son titre officiel deux petits mois avant sa sortie…et ce titre en a étonné plus d’un.

10 Cloverfield Lane est-il une suite directe de Cloverfield ? Une préquelle ? Une histoire qui se déroule au même moment que le film de Matt Reeves ? Ou tout autre chose ?
J.J. Abrams en parle quant à lui comme d’un « parent » de Cloverfield

[quote]DATE DE SORTIE FRANCAISE

16 mars 2016

REALISATEUR

Dan Trachtenberg

SCENARISTES

Josh Campbell, Matthew Stuecken et Damien Chazelle

DISTRIBUTION

Mary Elizabeth Winstead, John Goodman, John Gallagher Jr., Maya Erskine…

INFOS

Long métrage américain
Genre : action/thriller/science-fiction
Année de production : 2016

SYNOPSIS

Une jeune femme se réveille dans une cave après un accident de voiture. Ne sachant pas comment elle a atterri dans cet endroit, elle pense tout d’abord avoir été kidnappée. Son gardien tente de la rassurer en lui disant qu’il lui a sauvé la vie après une attaque chimique d’envergure. En l’absence de certitude, elle décide de s’échapper…[/quote]

La bande-annonce :

Ça claque.

Jim

Ouep la BA envoi du bois.

Voici la dernière affiche de 10 Cloverfield Lane réalisée par l’artiste Ape Meets Girl et qui contient, selon les dires, plus d’une douzaine d’indices concernant le film :

http://imageshack.com/a/img921/9523/Q5cO5w.jpg

Alors c’est très bien, cette petite chose.
Mise en scène prenante, pitch puissant, montée de la tension astucieuse (pas réellement régulière, ça fonctionne plus par accélérations successives, créant un effet de palier), acteurs prodigieux (bon, Goodman, on s’en doute, mais les deux autres ne déméritent pas)…

Au-delà de ça, il y a une caméra intelligente, qui sait se placer et qui spatialise vraiment bien, avec une sensibilité assez roublarde pour tout ce qui est hors-champ (des trucs apparaissent par les côtés afin de ménager des surprises…). Et puis il y a le jeu de la perception visuelle, tronquée par l’embrasure d’une vitre étroite, de l’entrebâillement d’une porte, du pare-brise d’une voiture voire de la visière d’un masque. Abrams étant à la production, on se doute bien que cette approche spielbergienne du sur-cadrage est bien présente. Mais ça permet de plonger le spectateur dans le récit, de le priver en partie d’information, tout en faisant des clins d’œil évident (le masque à gaz, si c’est pas un coup de coude à Gravity, ça…)
Et surtout, surtout, il y a un travail sur le son qui est prodigieux. Surtout les basses, qui restituent à merveille cette sensation d’entendre des choses sans réellement les distinguer. Cela donne un effet immersif imparable.

Après, la construction du film est un véritable catalogue du système « plant / pay off ». Pour ceux qui ne savent pas ce que c’est, grosso modo, cela consiste à planter une graine dans le récit afin d’en récolter les fruits plus tard dans l’intrigue. Souvenez-vous du briquet que Felix Leiter offre à James Bond dans Permis de tuer, briquet mal réglé et donc inutilisable, et qui pourtant lui servira bien à la fin du film. Voilà, c’est en gros ça, du « plant / pay off », une astuce qui permet d’éviter les effets qui tombent comme des cheveux sur la soupe. Hé bien 10 Cloverfield Lane est en plein. À ras-bord. À craquer.
Alors ça peut en agacer certains. Parce qu’on en déniche plein, et on se dit « ah ah, ça va servir plus tard ». Ça peut sembler systématique, et la critique ne serait pas malvenue, tant c’est vrai. Cela dit, ça fonctionne particulièrement bien avec le personnage qu’incarne Goodman, un survivaliste adepte des théories du complot (et sans doute de l’adage de Batman qui dit « si tu échoues à te préparer, tu te prépares à l’échec »), qui a tout prévu et chez qui tous les objets ont leur importance. Ce déluge de « plant / pay off » est en total raccord avec le sujet traité.

Le revers de cette écriture, c’est que cela met en lumière quelques trucs qui, si on y regarde de trop près, pourraient se mettre à ressembler soit à des incohérences soit à des facilités. Et pas tellement le coup du filtre à air, qui rentre dans le schéma de domination / entraide institué par Howard.
Par exemple, pourquoi Howard, qui a rempli son bunker ras la gueule, a-t-il laissé une pièce nue ? Parce qu’il n’a pas eu le temps ? Parce qu’il veut laisser une intimité à ses « hôtes » ? Auquel cas pourquoi ne pas l’aménager de manière moins froide ? La grosse utilité de cette pièce est de faire monter l’inquiétude et la paranoïa, tant chez Michelle que chez les spectateurs. À peu de frais, il faut bien le reconnaître.
Autre exemple, pourquoi Howard se débarrasse-t-il du rideau de douche dans le vide-ordure, alors qu’il le liquider autrement ? À part ménager le suspense et ouvrir une porte vers la suite, je ne vois pas.

Mais passons ces deux (ou trois) questionnements. Ils n’enlèvent rien au suspense général, à l’astuce de la caméra, à l’oppression du huis clos, particulièrement retors et efficace.
Quant à la fin, qui répond aux questions posées au tout début de cette discussion (enfin, « répond », c’est un bien grand mot), elle est spectaculaire, dynamique, flippante selon un autre registre, jouant sur un énième enfermement (le champ). Je lui reprocherais seulement de ne pas connecter directement ce film à Cloverfield (j’aurais bien aimé un effet « univers partagé », mais ça, c’est une déformation personnelle), mais ça reste intense, même si l’originalité réside dans les deux premiers tiers du film.

Des acteurs, du suspense, du spectacle, de la tension. Je recommande.

Jim

Je suis nettement moins enthousiaste, mais ça concerne principalement la dernière ligne droite du film.

Les deux premiers tiers du film sont en effet assez remarquables, notamment du côté de l’interprétation, phénoménale. Ce vieux briscard de Goodman assure et plutôt deux fois qu’une, et Mary Elizabeth Winstead prouve une nouvelle fois qu’elle est aussi talentueuse que craquante (elle a vraiment un truc, cette fille…).
La mise en scène est également de très bon niveau, variant ses effets avec bonheur, ce qui n’est jamais évident dans un huis-clos (même si l’espace clos est ici en l’occurrence assez vaste, spatialement). Tout au plus déplorerais-je l’emploi abusif de la musique, comme si le réal’ avait peur de faire chier son spectateur en l’absence de dialogues (le début et la fin, par exemple).

Même l’écriture comporte son lot de bonnes idées : le côté « paliers successifs » évoqué par Jim se ressent beaucoup en effet, avec une enfilade de trois ou quatre changements de braquet dans la perception de son geôlier par l’héroïne (un coup elle tombe sur un indice « rassurant », un coup sur un indice « inquiétant », avec autant de changements dans la dynamique de groupe). C’est plutôt bien mené et ça confère un côté rollercoaster au film.

Je suis beaucoup plus circonspect sur l’ultime (et radical) changement de braquet. Pour moi, ça ne marche pas. Il n’y a précisément pas le coté « plant/pay-off » expliqué par Jim : ça vient brutalement renverser le film, comme une poignée de poils pubiens dans la soupe. Je suis très client de cette méthode consistant à « tromper » le spectateur sur le genre auquel appartient le film qu’il est en train de voir (ou plutôt à jouer sur ses attentes), mais à condition que ça amène des couches supplémentaires au sous-texte. Ce n’est clairement pas le cas ici.
Du coup, passé le petit côté « sidération » (à l’instar de l’héroïne), on suit le climax de façon un peu détachée ; il y a là encore quelques idées de mise en scène intéressante, mais perso j’en étais déjà « sorti » à ce moment-là.

Quand à la connexion avec « Cloverfield », à part un savant sens du marketing commun aux deux films, je ne vois pas.

Tiens, à la réflexion, même si je n’ai pas aimé l’astuce scénaristique sur laquelle repose la fin du film, il faut quand même que je précise les choses concernant la mise en scène, car elle est vraiment intéressante. Je me trouve un peu vache à la relecture.

Je n’insiste pas sur l’utilisation ingénieuse du hors-champ, elle emplit effectivement tout le film, et c’est ma foi bien légitime : après tout, le récit comprend le hors-champ le plus vaste qui soit, c’est-à-dire le monde entier…
Tout ça induit une trajectoire très pure et belle au perso principal, qui en termes d’abstraction constitue vraiment une belle réussite : « cinématographiquement », le but du personnage est l’obtention d’un plan large, elle qui se contente de plans serrés ou moyens tout au long du film. Cette obtention est d’ailleurs différée deux fois avant la fin, d’abord par l’obstruction du masque ; la gestion du son à cet instant où la masque tombe est d’ailleurs remarquable. Puis elle est différée par les « péripéties » final qui rejouent l’enfermement (l’habitacle de la voiture, l’horizon « monstrueusement » bouché.
Du coup, le large plan d’ensemble vers la toute fin a des allures de graal, et il n’a d’ailleurs pas pour fonction de décourager l’héroïne, malgré son côté catastrophique. Bien au contraire : le choix final en atteste.

Ce côté très « pur » (à défaut d’un meilleur terme) de la trajectoire du personnage est la marque d’une volonté affirmée de « faire du cinéma », ce qui n’est (misère !) plus si courant au cinéma, un comble. C’est à mettre au crédit du film.
Dommage que l’enrobage narratif échoue selon moi à rentrer en résonance avec les thématiques induites : le gigantisme démesuré du premier « Cloverfield » aurait pu induire des jeux d’échelles intéressants, par exemple.

Une occasion manquée, mais de peu. Reste quand même un solide objet filmique.

[quote=« Photonik »]Les deux premiers tiers du film sont en effet assez remarquables, notamment du côté de l’interprétation, phénoménale. Ce vieux briscard de Goodman assure et plutôt deux fois qu’une, et Mary Elizabeth Winstead prouve une nouvelle fois qu’elle est aussi talentueuse que craquante (elle a vraiment un truc, cette fille…).
La mise en scène est également de très bon niveau, variant ses effets avec bonheur, ce qui n’est jamais évident dans un huis-clos (même si l’espace clos est ici en l’occurrence assez vaste, spatialement). Tout au plus déplorerais-je l’emploi abusif de la musique, comme si le réal’ avait peur de faire chier son spectateur en l’absence de dialogues (le début et la fin, par exemple). [/quote]

Comme Photonik, ma préférence va au deux premiers tiers du long métrage de Dan Trachtenberg. C’est en effet superbement interprété, le suspense est bien géré et il y a beaucoup de très bonnes idées de mise en scène.
Je suis plus réservé sur le final…spectaculaire, mais tout de même un peu trop too much par rapport au reste du film…