Alors c’est très bien, cette petite chose.
Mise en scène prenante, pitch puissant, montée de la tension astucieuse (pas réellement régulière, ça fonctionne plus par accélérations successives, créant un effet de palier), acteurs prodigieux (bon, Goodman, on s’en doute, mais les deux autres ne déméritent pas)…
Au-delà de ça, il y a une caméra intelligente, qui sait se placer et qui spatialise vraiment bien, avec une sensibilité assez roublarde pour tout ce qui est hors-champ (des trucs apparaissent par les côtés afin de ménager des surprises…). Et puis il y a le jeu de la perception visuelle, tronquée par l’embrasure d’une vitre étroite, de l’entrebâillement d’une porte, du pare-brise d’une voiture voire de la visière d’un masque. Abrams étant à la production, on se doute bien que cette approche spielbergienne du sur-cadrage est bien présente. Mais ça permet de plonger le spectateur dans le récit, de le priver en partie d’information, tout en faisant des clins d’œil évident (le masque à gaz, si c’est pas un coup de coude à Gravity, ça…)
Et surtout, surtout, il y a un travail sur le son qui est prodigieux. Surtout les basses, qui restituent à merveille cette sensation d’entendre des choses sans réellement les distinguer. Cela donne un effet immersif imparable.
Après, la construction du film est un véritable catalogue du système « plant / pay off ». Pour ceux qui ne savent pas ce que c’est, grosso modo, cela consiste à planter une graine dans le récit afin d’en récolter les fruits plus tard dans l’intrigue. Souvenez-vous du briquet que Felix Leiter offre à James Bond dans Permis de tuer, briquet mal réglé et donc inutilisable, et qui pourtant lui servira bien à la fin du film. Voilà, c’est en gros ça, du « plant / pay off », une astuce qui permet d’éviter les effets qui tombent comme des cheveux sur la soupe. Hé bien 10 Cloverfield Lane est en plein. À ras-bord. À craquer.
Alors ça peut en agacer certains. Parce qu’on en déniche plein, et on se dit « ah ah, ça va servir plus tard ». Ça peut sembler systématique, et la critique ne serait pas malvenue, tant c’est vrai. Cela dit, ça fonctionne particulièrement bien avec le personnage qu’incarne Goodman, un survivaliste adepte des théories du complot (et sans doute de l’adage de Batman qui dit « si tu échoues à te préparer, tu te prépares à l’échec »), qui a tout prévu et chez qui tous les objets ont leur importance. Ce déluge de « plant / pay off » est en total raccord avec le sujet traité.
Le revers de cette écriture, c’est que cela met en lumière quelques trucs qui, si on y regarde de trop près, pourraient se mettre à ressembler soit à des incohérences soit à des facilités. Et pas tellement le coup du filtre à air, qui rentre dans le schéma de domination / entraide institué par Howard.
Par exemple, pourquoi Howard, qui a rempli son bunker ras la gueule, a-t-il laissé une pièce nue ? Parce qu’il n’a pas eu le temps ? Parce qu’il veut laisser une intimité à ses « hôtes » ? Auquel cas pourquoi ne pas l’aménager de manière moins froide ? La grosse utilité de cette pièce est de faire monter l’inquiétude et la paranoïa, tant chez Michelle que chez les spectateurs. À peu de frais, il faut bien le reconnaître.
Autre exemple, pourquoi Howard se débarrasse-t-il du rideau de douche dans le vide-ordure, alors qu’il le liquider autrement ? À part ménager le suspense et ouvrir une porte vers la suite, je ne vois pas.
Mais passons ces deux (ou trois) questionnements. Ils n’enlèvent rien au suspense général, à l’astuce de la caméra, à l’oppression du huis clos, particulièrement retors et efficace.
Quant à la fin, qui répond aux questions posées au tout début de cette discussion (enfin, « répond », c’est un bien grand mot), elle est spectaculaire, dynamique, flippante selon un autre registre, jouant sur un énième enfermement (le champ). Je lui reprocherais seulement de ne pas connecter directement ce film à Cloverfield (j’aurais bien aimé un effet « univers partagé », mais ça, c’est une déformation personnelle), mais ça reste intense, même si l’originalité réside dans les deux premiers tiers du film.
Des acteurs, du suspense, du spectacle, de la tension. Je recommande.
Jim