Parmi mes achats récents (en tout, quand le troisième colis arrivera, j’en aurai pour presque vingt-cinq kilos de papier… et pour l’instant, je suis arrivé à tout ranger sans rien chambouler, un exploit !), j’ai reçu le TPB Iron Man - War Machine, paru en 2008 et compilant des épisodes datant des années 1990, écrits par Len Kaminsky et dessiné, par la plupart, par Kevin Hopgood.
J’avais gardé un souvenir plutôt négatif de cette période, même si j’avais perdu de vue les péripéties détaillées. Au point que la relecture en diagonale d’hier soir a confiné à la redécouverte. Le recueil compile Iron Man 280 à 291, soit un an d’aventures et de rebondissements. Le scénariste est arrivé sur la série deux mois plus tôt, afin de rédiger les épisodes connectés au cross-over « Galactic Storm », en remplacement de John Byrne (qui, avec Paul Ryan, avait réalisé quelques épisodes de très haute tenue, bourrés d’action). Donc on peut dire qu’avec Iron Man #280, qui voit arriver le dessinateur Kevin Hopgood, Kaminsky rentre dans le vif du sujet.
Bon, il faut quand même bien avouer que cet épisode inaugural n’inspire rien de bon. Stark est embarqué dans le futur afin de sauver une civilisation qui s’est construite sur sa technologie. Cependant, l’inventeur est lui-même entre la vie et la mort, puisqu’il porte une sorte de justaucorps neuronal qui lui permet de rester en vie. Kaminsky greffe (héhé) son intrigue sur des événements passés, notamment l’attentat dont a été victime Tony dans les épisodes de Michelinie et la tentative de piratage dans ceux de Byrne. Résultat des courses, la puce biomachinchose qui lui permettait de marcher à nouveau le condamne à petits feux. À la fin de l’épisode, non seulement le héros en armure n’a pas sauvé ceux qui l’ont appelé au secours, mais en plus il tombe inanimé. Tu parles d’un début : le suspense de fin d’épisode ne masque pas le caractère précipité et passablement cliché du récit (c’est un voyage temporel, donc Tony passe plus de temps là-bas qu’il ne s’en déroule sur Terre au présent, de sorte qu’il épuise les dernières forces qui lui restent).
Graphiquement, Hopgood tente de s’inscrire dans la lignée du Romita Jr massif qui faisait des étincelles à l’époque, mais on sent bien la différence. Pourtant, à relire cet épisode aujourd’hui, on voit bien les intentions du scénariste : ses prochaines intrigues tourneront autour des causes et des conséquences, notamment technologiques (mais pas seulement). Il y a notamment un passage intéressant durant lequel Tony fait le bilan de la planète où il a été téléporté et constate avec tristesse l’effondrement de la biosphère, qu’il met en parallèle avec d’autres paramètres sociaux.
Donc, Tony Stark est mourant. Continuant à présider aux destinées de son entreprise, il s’arrange pour travailler à distance (Kaminsky appelle ça la « téléprésence »), pilotant son armure à la manière d’un drone et conversant « en visio » avec ses différents collaborateurs. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des cauchemars (un procédé qui, pour classique qu’il soit, permet d’introduire des rebondissements à venir) et à affronter des adversaires, notamment les Masters of Silence, trois mercenaires japonais commandités par un confrère nippon qui détient des informations compromettantes sur Stark (et truquées par Justin Hammer).
Ici, il convient d’aborder une dimension intéressante du travail de Kaminsky : nous sommes en 1992 et il n’est pas encore dans les habitudes d’un scénariste de tout chambouler, d’arriver avec ses personnages, de virer les anciens, tout ça. Au contraire, Kaminsky met en avant des protagonistes qui proviennent le plus souvent des épisodes de Michelinie, à l’exemple du Docteur Sondheim, que l’on connaît depuis l’arrivée de Scott Lang. Les épisodes qu’il écrit donnent donc l’impression d’être fermement ancrés dans la continuité, et de tirer la conclusion des sagas précédentes.
Nécessitant plus de puissance de feu, Stark commande une nouvelle armure équipée d’un arsenal de choc, et baptisée War Machine. On est donc au début des années 1990, Marvel (comme DC à la même époque) doit encaisser l’arrivée d’Image et sa déferlante de gros flingues. Mais derrière la création de cette nouvelle version qui sent fort la testostérone, il y a quand même une histoire (contrairement à ce que mes souvenirs me laissaient penser). Déjà, il y a plein de choses sympas pour le vieux lecteur, comme la gestion de certains personnages secondaires ou encore le retour de vieilles figures, à l’image de Morgan Stark.
À la fin d’Iron Man #282, Tony Stark, alité, s’éteint, dans une assez jolie planche d’ailleurs. L’épisode suivant est consacré à James Rhodes, à qui Tony a confié les rênes de son entreprise. Jim hésite, pense accepter, ce qui crée un fossé avec Marcy. Si l’idée est bonne, un tel changement ne pouvant que créer des remous, Kaminsky est peut-être un peu trop rapide, mais on ne pourra pas lui reprocher de faire traîner les choses. Plus intéressant, cet épisode met le lecteur dans la confidence d’une autre intrigue : le Docteur Sondheim participe à un projet visant à plonger Tony dans un sommeil cryogénique. Ici, Kaminsky choisit de ne pas jouer la carte du mystère avec une révélation finale, mais plutôt de donner au lecteur des informations que certains personnages n’ont pas (rappelons-nous la séparation des X-Men après l’attaque de Magneto par Claremont et Byrne, ou la double identité de Typhoid Mary par Nocenti et Romita Jr). C’est pas mal du tout parce qu’il mène les deux récits en parallèle.
L’idée va assez loin puisque les docteurs organisent une cérémonie durant laquelle les cendres de Stark (qu’est-ce qu’ils ont pu incinérer pour faire croire à ça ?) sont répandues depuis un toit de l’entreprise par Rhodey qui n’est pas au courant. Bien sûr, c’est l’occasion d’une confrontation avec les Vengeurs de la Côte Ouest qui prennent War Machine pour un super-vilain. Kaminsky lance aussi des fausses pistes, comme la présence d’un sosie de Tony Stark, qui s’avère être le Living Laser. Il consacre aussi de l’énergie à repositionner War Machine et Stark Enterprises dans l’échiquier économique, notamment en le confrontant à l’armée, et crée un vilain intéressant, Atom Smasher, victime de la pollution et des tricheries industrielles (sorte de Toxic Avenger en armure), ce qui renoue avec ses considérations écologiques esquissées dans le premier épisode.
Autre bon point, la relation nouvelle entre Jim et Rae, pour laquelle le scénariste n’hésite pas à évoquer le sujet de la couleur de peau, ce qui vaudra une très belle réplique de la part de la jeune femme. Car je redécouvre les dialogues de Kaminsky, et je les trouve pas mal, assez juste (sans compter les références pop culture qui ont sans doute échappé aux traducteurs de l’époque).
Au fil des épisodes, les lecteurs assistent à des rêveries de Stark, plus ou moins cybernétiques et vaguement expliquées par du techno-blabla formulé par les savants qui surveillent sa dépouille. Les séquences servent à revisiter le passé du personnage, à développer la figure du père et les traumatismes de l’enfance (d’une manière qui n’est pas sans rappeler ce que Mantlo a fait sur Hulk quelques années plus tôt), mais aussi à annoncer le lent retour de Stark, à l’aide d’astuces narratives empruntées au cyberpunk, sans doute dans l’élan de la collection 2099 de l’époque.
Bien entendu, Rhodey finira par apprendre la vérité sur Tony. Après une alliance des deux chevaliers en armure, la révélation creusera un fossé entre eux, marquant le début d’une nouvelle ère pour le personnage.
On pourra peut-être reprocher à Kaminsky d’écrire un Rhodey colérique, emporté, d’un bloc, loin du héros en proie au doute mis en scène par Dennis O’Neil, mais il parvient à le rendre attachant.
En résumé, une redécouverte assez plaisante. Sans être géniale, cette période est généreuse, nourrie de bonnes idées et respectueuse de la continuité.