J’ai trouvé il y a quelques mois, dans un bac à soldes, le TPB Bishop, compilant la mini-série de John Ostrander et Carlos Pacheco. J’ai donc profité de l’occasion pour le relire en diagonale (j’ai le Récit Complet Marvel, bien sûr, mais bon, relire dans le texte d’origine, c’est sympa…).
Bon, nous sommes en 1994-1995 (en 1996 pour le TPB). Bob Harras supervise les titres mutants, et Bishop, provenant d’un futur parallèle, est l’une des recrues récentes de l’école de Xavier. Déboulant d’un avenir incertain, il est venu prévenir d’une trahison dans les rangs des mutants (et bien entendu, en tant que nouveau venu, il intègre aussitôt la liste des suspects, ce qui vaudra quelques scènes sympathiques ici et là dans les séries régulières, mais ceci est une autre histoire).
Bishop incarne une période troublée et troublante pour les mutants : Claremont est parti quelques années plus tôt. L’architecte d’une certaine stabilité de la série, qui caracolait en tête des ventes et donnait l’impression d’aller quelque part (même si, parfois, en tant que lecteur, on ne savait pas vraiment où…), laissait sa série errer comme un poulet sans tête. Pendant un an ou deux, Uncanny X-Men semble tirer dans tous les sens sans jamais toucher sa cible. De nombreux personnages nouveaux déboulent, des concepts intéressants (mais souvent déclinés d’idées précédentes) sont balancés, sous l’impulsion de ceux qui deviendront les « Image Boys » et qui se comportent comme des gamins bruyants dont les gesticulations menacent de casser les jouets de la garderie. Il faudra attendre le cross-over X-Cutioner’s Song et l’installation à long terme de Scott Lobdell et de Fabian Nicieza aux commandes des deux séries principales pour que l’ensemble reprenne des couleurs : auteurs et éditeurs s’intéressent aux personnages, tentent de leur trouver une logique et une signification, et la licence redevient intéressante (en partie d’ailleurs parce que les deux scénaristes décident de faire du sous-Claremont, ce en quoi ils excellent, mais ce faisant, ils entérinent une formule qui finira par s’user, grippant le moteur jusqu’à l’arrivée de Morrison, mais ceci est une autre histoire).
À cette époque là, les mutants vendent bien, donc ils occupent plein de séries mensuelles, et un flot ininterrompu de mini-série permet de développer des choses annexes, de tourner les projecteurs vers des personnages plus récents, dont on teste la popularité. C’est le cas de cette mini-série.
Pour le coup, Bob Harras va chercher deux auteurs chez la concurrence. John Ostrander, qui a fait ses premiers pas dans la BD au sein du catalogue First, en travaillant notamment (mais pas seulement) sur l’excellentissime série Grimjack, au début des années 1980, accomplit des prouesses chez DC depuis une décennies, notamment sur Suicide Squad, Firestorm, Hawkworld ou Spectre… Carlos Pacheco, dessinateur espagnol, s’est récemment illustré sur des épisodes de Flash écrit par un Mark Waid alors en feu.
La force du dessin de Pacheco est évidente : il compose ses planches à la manière d’un Frank Miller première manière, recourant à des cases verticales étourdissantes et pensant ses planches comme un tout, et il déploie un trait dont le détail le place dans la lignée d’un Pérez et dont la rondeur et la force ne sont pas sans rappeler un John Byrne de la grande époque. Ses personnages sont forts, solides, puissants. Ils sont bigger than life, mais après tout, c’est ce qu’on demande à des super-héros. Ils bougent, ils bondissent, et en plus ils sont beaux. Pacheco, pendant quelques courtes années, allie un style irrésistible et une productivité qui joue en sa faveur. Il est, brièvement, LE dessinateur qui compte.
Et sur Bishop, il est lâché. Décors fouillés, postures expressives, visages séduisants, effets pyrotechniques, traits de vitesse. Il envoie du lourd. Sur la mini-série, il est encré par Cam Smith, embellisseur ayant déjà travaillé avec des gens comme Bryan Hitch. Smith a un trait limpide, rond, il arrondit tous les angles mais il ne diminue jamais la puissance des images. L’association est magique.
L’intrigue confronte Bishop à un vilain de son entourage et de son époque, Mountjoy. L’idée est d’isoler le héros du futur et de montrer (à Xavier, à ses étudiants mais aussi aux lecteurs) de quelle étoffe il est tissé.
Ce qui est intéressant, c’est de quelle manière Ostrander s’empare du sujet. Venu mettre au clair un personnage à peine ébauché par ses créateurs, un peu plus travaillé par les repreneurs de la licence, qui ont beaucoup d’autres chats à fouetter, le scénariste injecte dans le flic du futur une bonne partie de son propre arsenal narratif.
En Bishop, dans cette mini-série, on retrouve le héros borderline qu’affectionne Ostrander. Héros ? Vilain ? À cheval entre deux mondes, luttant parmi les héros au milieu desquels il fait figure de pièce rapporté, d’électron libre ou d’intrus, capable d’une certaine violence pas toujours bien canalisé, il n’est pas sans rappeler John Gaunt, héros de Grimjack. C’est l’ambiguité du héros qui intéresse le scénariste, sujet au centre bien entendu de Suicide Squad, mais qu’on peut retrouver aussi en filigrane dans Firestorm (le héros est-il un humain ou un élémental du feu ?), bien entendu dans Spectre, puis dans Martian Manhunter (le limier martien, seul survivant de sa race sur Terre, qui sent qu’il n’est pas à sa place). Dans la version Ostrander, Bishop annonce déjà le Quinlan Vos de Star Wars, écartelé entre le bien et le mal, entre son instinct et sa morale. Ainsi, le héros gagne en épaisseur avec le scénariste, ce qui sert les desseins de Bob Harras.
Comme beaucoup des personnages d’Ostrander (Grimjack avec Spook, Martian Manhunter avec sa famille, Quinlan Vos avec ses souvenirs perdus), Bishop est hanté par des fantômes issus d’un passé qui le poursuit. Dans la mini-série, il est escorté par le fantôme de sa sœur et poursuivi par Mountjoy, un métamorphe bien décidé à se venger.
Un métamorphe ? Le changement d’apparence, ça aussi c’est un thème récurrent chez Ostrander (Grimjack lui-même change de tête, sans parler de Martian Manhunter, ou de Byth, l’ennemi de Hawkman). Il est fort possible de voir en Mountjoy une création du scénariste, qui est ici en terrain conquis. Preuve supplémentaire que la mini-série n’est pas un simple travail de commande, mais correspond à une prestation plus personnelle.
En revanche, un détail n’est pas du cru d’Ostrander, malgré les apparences. Souvent, dans ses séries, les protagonistes arborent des tatouages, notamment faciaux. On en trouve dans Grimjack (sans doute des héritages de Starslayer), ou encore dans Star Wars, et si l’on peut imaginer que ce sont des tics graphiques de Tim Truman ou de Jan Duursema, on peut aussi légitimement penser que le scénariste apprécie l’astuce visuelle. Cela étant dit, Bishop arbore le « M » qui lui barre le visage depuis sa première apparition. Une coïncidence qui démontre que le personnage et le scénariste étaient faits pour se rencontrer.
La qualité de la mini-série tient à plein de choses : un scénariste impliqué, un dessinateur survolté qui a tout à prouver et s’y entend bien, des couvertures joliment tapageuses, une intrigue qui se tient sans qu’on ait tellement besoin de suivre les séries mensuelles, et jusqu’à un lettrage, effectué par le studio Comicraft, dans la droite ligne des codes graphiques imposés au fil de la longue prestation de Tom Orzechowski sur la série principale. Une redécouverte en VO qui fait bien plaisir.