A compter de l’année 1985, les intégrales de Panini se dédoublent, à la mesure de l’augmentation quantitative de la production « mutante » chez Marvel. Une année 1985 plus spectaculaire et punchy que l’année précédente, moins subtile aussi ; le tandem Romita Jr / Green s’installe sur la durée, et Claremont est définitivement le seul maître à bord… mais plus pour très longtemps, hélas pour lui !!
X-MEN : L’INTEGRALE 1985 vol. 1 (Uncanny X-Men 189 à 198 + X-Men Annual 7 (1983))
Rachel Summers et Amara, membre des Nouveaux Mutants originaire de la cité cachée de Nova Roma, se baladent à New-York, toutes deux exilées de leur « monde d’origine », quand Rachel ressent la présence de Séléné. Rachel souhaite prendre sa revanche sur la mutante-vampire immortelle, et découvre qu’Amara a également un compte à régler avec Séléné, responsable de la mort de sa mère. Leur traque les mène au QG du Club des Damnés, où Séléné est présentée au Roi Noir Sebastian Shaw : elle est candidate au poste vacant de Reine Noire du Club. Conseillé par son assistante Tessa, Shaw se méfie instantanément de Séléné, mais par prudence accepte cette candidature. Déguisées, Rachel et Amara ne tardent pas à être démasquées par Séléné, qui prend le contrôle mental des jeunes filles et les « offrent » à Shaw. Tessa relève la ressemblance de Rachel avec Jean Grey. Puissante télépathe, Rachel échappe à l’emprise de Séléné et alerte les X-Men qui viennent secourir les deux jeunes filles. Xavier et Shaw s’entendent pour en rester sur un « match nul ».
Dépossédée de ses pouvoirs, Ororo vient de faire ses adieux aux X-Men, s’estimant désormais indigne d’exercer son rôle de leader ; elle part pour l’Afrique afin de se ressourcer. Mais avant-même son départ, New-York est attaquée par le puissant sorcier de l’âge Hyborien Kulan Gath, vieil adversaire de Conan et Red Sonja. Cette dernière a récemment vaincu le sorcier avec l’aide de Spider-Man ; Kulan Gath, libéré du médaillon renfermant son essence, veut sa revanche sur le Tisseur. Il transforme radicalement New-York en une version « hyborienne » de la ville. Quelques héros parmi les X-Men et les Vengeurs prennent conscience de la situation et s’organisent pour affronter le sorcier et sa garde rapprochée, des Morlocks soumis à son sortilège, ainsi que les Nouveaux Mutants et Xavier lui-même. Le Docteur Strange, pris de court, est neutralisé, et Spider-Man torturé et finalement tué. Séléné, ennemie de Kulan Gath depuis l’âge Hyborien, manœuvre pour amener à sa défaite, au prix de nombreux morts dans les rangs des héros, avant de vouloir utiliser son pouvoir elle-même ; elle est vaincue par Warlock et Ororo. La situation est « rétablie » à New-York par le biais d’un sort de Strange, qui manipule le temps pour faire en sorte que Kulan Gath n’ait jamais été libéré de sa prison…
Alors que Kitty et Logan rentrent du Japon et sont accueillis à l’aéroport par leurs amis, Colossus, Malicia et Diablo s’entraînent aux abords du manoir, lorsqu’ils sont témoins de l’arrivée de Magus, puissant extra-terrestre techno-organique et père du nouveau mutant Warlock ; les trois X-Men parviennent à le mettre en échec. Quelques temps après, le Professeur Xavier est victime d’une violente agression, et est laissé pour mort dans la rue. Il est secouru par un Morlock, et découvre pour la première fois les tunnels peuplés par les mutants dirigés par Callisto, en l’absence de Tornade. Au même moment sur l’île de Muir, Sean Cassidy alias le Hurleur, X-Man retraité, est attaqué par James Proudstar, dont le frère Epervier a été tué lors d’une des premières missions des X-Men. Assisté par les Hellions Empath, Roulette et Firestar, il estime que Xavier est responsable de sa mort, et se sert de son otage le Hurleur pour forcer les X-Men à envahir le Valhalla, QG de la NORAD. Qu’ils gagnent ou perdent, les X-Men sont condamnés à se voir définitivement catalogués comme des hors-la-loi. Déchiré par le doute quant au bien-fondé de son action, Epervier finit par renoncer à tuer Xavier. Le lendemain de cet affrontement, le Fléau est repéré à Manhattan, et les X-Men fourbus n’ont d’autre choix que de se rendre sur place. C’est le moment que choisit Nemrod, la Sentinelle du futur de Rachel, pour attaquer, mettant sérieusement en déroute le Fléau. Celui-ci étant surveillé par les X-Men, l’équipe attaque Nemrod en retour, mesurant l’étendue de sa puissance. Nemrod finit par se téléporter à l’abri, après avoir été sévèrement endommagé par Malicia.
Par une terrible nuit d’orage, les quatre enfants Power, alias Puissance 4, s’aperçoivent avec horreur que leurs propres parents ne se souviennent plus d’eux. Ils soupçonnent immédiatement les Morlocks, avec lesquels ils ont eu récemment maille à partir, mais se jettent dans la gueule du loup : Annalee, dévastée par l’assassinat de ses enfants, veut les « remplacer ». Katie Power arrive cependant à s’échapper et à alerter les X-Men. Logan est persuadé que c’est une faction dissidente des Morlocks qui agit là, à l’insu de Callisto, ce qui s’avère exact. Les enfants Power sont libérés, alors que les X-Men sont alertés par Magnéto : le Beyonder est de retour, et il faut lui faire face. De retour, les X-Men enquêtent sur la tentative de meurtre du Professeur Xavier, qui pense avoir capté les pensées des coupables lors d’un de ses cours à Columbia. En effet, un groupe d’étudiants fomentent une nouvelle tentative d’assassinat, et menace même Kitty Pryde qui les prend sur le fait. Il n’en faut pas plus à Rachel pour « exploser » et déchaîner ses pouvoirs, sous son aspect de « limier », révélant la part honteuse de son passé à ses co-équipiers. Elle est raisonnée par Magnéto, définitivement rangé aux côtés des X-Men.
Alors que Kitty et Colossus sont kidnappés par Arcade qui les utilisent à son avantage dans un duel tordu avec son assistante Miss Locke, Tornade, rendue au Kenya, rencontre les jumeaux Strucker qui la laissent pour morte quelque part dans la plaine de Serengeti. Elle survit et reprend pied après avoir rencontré une jeune fille qu’elle aide à donner la vie. Toujours dépossédée de ses pouvoirs, elle parvient ainsi, malgré les circonstances, à renouer avec sa nature profonde…
L’année 1985 est plus « musclée » et riche en événements que l’année précédente, nous l’avons dit (et cela s’accentuera encore l’année suivante). Mais en gros, Claremont campe sur la formule qu’il a mise sur pieds depuis le début du run de Romita Jr : fini les longs arcs comme du temps de Byrne ou Cockrum, et même les « two-parters » qui fleurissaient encore sous l’ère Paul Smith se feront plus rares. La norme, désormais, ce sont ces « loners », centrés sur un petit groupe de personnages, voire un seul, comme autant de chapitres dans le grand roman de la vie des X-Men. Passé le diptyque formé par les numéros 190 et 191, la route vers le numéro 200 est pavée de ces stand-alones « feuilletonnants » , qui constituent en quelque sorte la marque de fabrique de Claremont.
S’il n’est pas un des musts absolus de l’ère Romita Jr, ne serait-ce que pour sa partie graphique un brin décevante (Green est remplacé sur cet épisode par Steve Leialoha, et son encrage se prête moins aux planches de Romita Jr que celui de Green), l’épisode 189 est très intéressant, à la fois pour l’approche privilégiée par Claremont et pour ses développements scénaristiques en eux-mêmes. En effet, fidèle à son culot habituel, le scénariste focalise son attention sur deux personnages qui sont loin d’être des vedettes du titres : Rachel vient de débarquer il y a quelques épisodes à peine, et elle est loin de s’être imposée dans le cœur des lecteurs ; quant à Amara, les lecteurs de « Uncanny… » qui ne lisent pas « New Mutants » ne la connaissent tout simplement pas. A ce titre, on aurait pu penser que Claremont tissait de lui-même ces liens désormais très enchevêtrés entre les deux séries ; il semblerait que ce ne soit pas le cas. Peut-être Claremont envisageait-il le titre « New Mutants » comme un laboratoire à idées : il semble en tout cas que le scénariste concevait les deux titres comme plus indépendants l’un de l’autre ; c’est le staff éditorial qui le pousse à lier plus fortement les deux trames.
Quoiqu’il en soit, le scénariste (et ce sera le cas jusqu’à la fin de sa prestation, par rapport à des titres comme « Wolverine » par exemple, plus tard) considère que « Uncanny… » est le « senior book » de la franchise comme il le dit lui-même, le plus important du lot en d’autres termes, quel que soit le succès de ses petits frères. En l’occurrence, Séléné et même Amara (issues toutes les deux de « New Mutants ») sont clairement là pour mettre en valeur et étoffer le personnage de Rachel Summers, qui prend ici une dimension supplémentaire. C’est dans cet épisode que Claremont dévoile le passé de « hound » (ces traqueurs de mutants, mutants eux-mêmes) de Rachel ; le scénariste continue à étoffer (et il n’en a pas fini, évidemment) le background du futur catastrophique de « Days Of Future Past ». L’idée de faire de Rachel un « limier » est extrêmement forte : on rentre là dans un degré supplémentaire de subtilité au regard de ce qu’est la grande allégorie au cœur de la franchise mutante. Si les camps de la mort mutants sont un reflet fictionnel des camps de la mort du second conflit mondial, en Europe, la place de Rachel dans ce dispositif est très particulière, douloureuse et ambigüe, à la fois traquée et « collaborant ». Evidemment, Claremont simplifie un peu le dilemme moral puisque Rachel a le cerveau lavé par ses tortionnaires ; il n’empêche, cette idée audacieuse est d’une grande force dramatique, sans compter qu’elle fera florès dans la mythologie mutante (elle est reprise sous une forme différente dans la série récente « The Gifted », par exemple).
Autre élément très intéressant : Claremont accentue encore ici le sous-texte « érotique » du titre ; il est cohérent qu’il le fasse en utilisant le décorum du Club des Damnés, puisque c’était à l’occasion de la première apparition du Club que le scénariste s’était mis à appuyer sur cet élément. Il ne cessera de pousser plus loin le bouchon en la matière, jusqu’à aller très loin en la matière pour un titre mainstream (profitant aussi évidemment de l’évolution globale des comics, sur laquelle le succès de « Uncanny X-Men » a bien sûr eu son rôle à jouer). Autre marotte claremontienne à l’oeuvre ici : nous avons vu que le scénariste n’hésitait jamais (au risque d’être taxé de « radotage ») à ré-explorer, avec des altérations et des variations, ses propres récits passés. C’est le cas ici : il rejoue l’intronisation de Jean Grey en tant que Reine Noire, avec une différence de taille : Séléné n’a pas été corrompue, elle est authentiquement mauvaise. Il est à noter que le rôle de Reine Noire collera à la peau de Séléné : le costume qu’elle arbore ici pour la première fois lui restera attachée fort longtemps au bout du compte.
Jusque là très discret dans les pages de « Uncanny… », le personnage de Tessa alias Sage fait ici une apparition remarquée ; on se souvenait à peine l’avoir croisée dans le numéro 132 (période Byrne), lors de la première apparition du Club, mais elle avait dans l’intervalle aidé Xavier et ses Nouveaux Mutants à vaincre Donald Pierce, le « White Bishop » cyborg du Club, lors de leur première apparition dans le fameux « Marvel Graphic Novel 4 ». Un retcon assez massif révélera ultérieurement que Tessa/Sage est en fait un agent infiltré opérant pour Xavier, qui semble décidément ne pas reculer devant les méthodes les plus barbouzardes (il faisait déjà bosser Michael Rossi en sous-marin) pour arriver à ses fins. Mais le personnage ne prendra finalement toute son ampleur que sous la plume de Claremont, à l’occasion de ses retours tardifs et mitigés sur la franchise. Il avait en fait initialement un tout autre plan pour Tessa, qui devait jouer un rôle important dans la résolution de « Mutant War », l’event/crossover qui aurait culminé avec « Uncanny X-Men 300 », si Claremont était resté jusque là.
Pour les défauts, on relèvera que contrôle mental et hallucinations psychiques obligent (du pur Claremont, ça) le script est un brin confus (quid de ce costume étrange porté par Rachel pour la seule et unique fois ici ? Un rappel de celui du Phénix, comme un teaser des événements à venir), et cède à quelques facilités : l’irruption des X-Men à la dernière minute fait fortement penser à la conclusion de l’épisode qui voyait l’apparition de Rachel. Un épisode important, nonobstant ces défauts…
Le diptyque formé par les épisode 190 et 191 semble un peu tomber comme un cheveu dans la soupe dans le cours du grand cycle claremontien, mais il n’en reste pas moins un « fan favorite », à juste titre. Assez bourrin et violent (nous y reviendrons), peu subtil, le diptyque n’en est pas moins incroyablement fun, et mine de rien, pour le meilleur et pour le pire, assez novateur pour l’époque. Les récits « alternatifs » à la « Age Of Ultron » ou « Secret Wars » (celui de Jonathan Hickman, pas celui de Shooter), voire « Age Of Apocalypse » pour rester dans le canon mutant, il faut en chercher le prototype ici (comme le signalait Jim lainé sur un autre thread), dans cette histoire torchée en deux épisodes et contenue dans le seul titre « Uncanny… », malgré le rôle joué dans l’intrigue par les Vengeurs, Docteur Strange et surtout Spider-Man.
Le grand méchant du récit, Kulan Gath, doit sa petite notoriété principalement à son apparition ici, mais il occupe de toutes façons une place intéressante dans l’univers Marvel, à la croisée de plusieurs mondes à l’intérieur de celui-ci. Apparu dans le titre « Conan The Barbarian » (aux premières heures du titre), Kulan Gath est d’emblée lié à l’univers de Michael Moorcock, même indirectement, car sa première apparition est aussi l’occasion d’un crossover entre le plus célèbre des Barbares et son antithèse absolue, Elric le Nécromancien, création la plus fameuse de Moorcock. Plus important encore, Roy Thomas ancre également fortement le personnage au cœur de l’univers de l’écrivain Robert Howard, le père de Conan, en ayant l’idée lumineuse de le lier également à Shuma-Gorath, entité lovecraftienne surpuissante opposée au Docteur Strange par Steve Englehart, qui a pioché son nom dans une nouvelle de Robert Howard consacrée à Kull, une autre de ses créations. Enfin, l’intégration de Kulan Gath au sein du Marvelverse se fait définitivement par le truchement d’un épisode de « Marvel Team-Up » signé… Claremont et Byrne. D’après le dessinateur canadien, l’idée d’origine était d’associer Spider-Man à Conan, à travers les âges, par le biais d’un bon vieil enchantement des familles, mais le tandem (Byrne dit que l’idée vient de lui)change d’avis et préfère utiliser Red Sonja, qui « possède » l’enveloppe corporelle de Mary-Jane Watson et s’allie au Tisseur pour vaincre Kulan Gath. Le diptyque dans « Uncanny… » est une suite directe de cet épisode, même si l’échelle des enjeux change drastiquement.
Il est même surprenant que le staff éditorial ait laissé Claremont raconter une histoire aussi « ample » au sein de son propre titre, empruntant de nombreux personnages à ses collègues pour l’occasion. Plus étonnante encore est la tonalité du récit : pas son versant fantasy, car on sait que le scénariste en est un fervent admirateur (et il y reviendra assez fréquemment, sur l’ensemble des titres à sa charge), mais sa noirceur et sa violence. Si ce court arc narratif est populaire auprès des fans (à cause de ses enjeux et de son rythme trépidant), il a également été fortement critiqué par certains lecteurs pour sa noirceur, et même sa « gratuité ». C’est probablement, d’ailleurs, la raison de sa non-publication par Lug à l’époque, toute trace de sub-plots menant à ce récit ayant même été gommée discrètement auparavant (en gros, ce qui tourne autour de Jaime, l’ouvrier qui découvre le médaillon de Kulan Gath). Il est vrai que le sort du Tisseur, particulièrement, interpelle (il souffre et meurt pour rien ou presque, si ce n’est montrer plus encore le côté implacable du bad guy), mais aussi le comportement de certains héros qui, comme Tornade, n’hésitent pas à abattre leurs ennemis. Certes, le tour de passe-passe final annule tout ça, mais l’impression de malaise diffus reste, surtout pour les lecteurs de l’époque moins habitué au procédé (même si le Doc Strange, sous la plume de Steve Englehart, n’en est pas à sa première expérience en la matière).
Au sujet du final justement, un élément scénaristique très intéressant à relever : Doc Strange explique aux héros qu’il a modifié le flux temporel pour empêcher le retour de Kulan Gath rétroactivement, mais aussi qu’il ignore quelles auront été les conséquences de cette manipulation ; le lecteur le découvre, lui, dès la dernière page du numéro 191 : Strange semble en fait avoir attiré la Sentinelle Nemrod dans le présent, juste à temps pour que Nemrod lui-même, en abattant un criminel opportunément au moment où il allait libérer le sorcier, neutralise Kulan Gath. Cette combine scénaristique est astucieuse, et révélatrice de la méthode Claremont, toujours à la recherche d’un moyen élégant d’introduire de futurs arcs narratifs, et de « fluidifier » au maximum sa narration sur le long cours. Seulement, à la réflexion, c’est quand même faire peser une bien lourde responsabilité sur les épaules de ce cher Stephen Strange, responsable de la présence de Nemrod ; cet élément sera donc discrètement retconné plus tard. On expliquera que Nemrod avait finalement moyen de voyager dans le temps par lui-même, et que le sortilège de Strange n’a fait que le placer au bon endroit au bon moment… Dommage, l’idée initiale que la victoire difficile sur Kulan Gath avait un prix élevé à payer était séduisante, et très raccord tant avec les caractéristiques du personnage de Strange qu’avec les thèmes habituels de Claremont.
Dernière chose concernant ce diptyque : s’il suspend pour deux mois le déroulé habituel des sub-plots propres à l’écriture claremontienne, le diptyque lui permet quand même, via une réunion de crise à la Maison Blanche menée par Val Cooper (qui semble mettre de l’eau dans son vin anti-mutant), de continuer à développer la parabole centrale du titre, par le biais d’un vieil officier ayant assisté à la libération du camp de Buchenwald, et n’ayant nullement envie de léguer à sa postérité des camps anti-mutants. Sur une note plus anecdotique, Claremont en profite également pour étoffer encore un peu le personnage fraîchement apparu de Séléné, qui traîne en fait ses guêtres sur Terre depuis l’âge Hyborien comme on l’apprend ici (c’était déjà une rivale de Kulan Gath à l’époque, ce qui lui confère une stature certaine), faisant d’elle, et de loin, la plus vieille mutante connue.
Passé ce « gros » arc, retour donc aux loners, jusqu’au numéro 200, charnière à plus d’un titre (mais ce sera l’objet du prochain post). Le numéro 193 (largement charcuté en VF à l’époque, pour des raisons qui m’échappent…) est très emblématique de la démarche de Claremont à ce moment-là de la vie du titre : centré sur peu de personnages (Colossus, Diablo, Malicia), faisant intervenir un personnage issu de « New Mutants » (Magus, le « papa » de Warlock, en l’occurrence), mais n’oubliant pas d’amener de nouvelles pierres à l’édifice global, et de faire avancer les sub-plots en cours par la même occasion. L’ouverture de l’épisode est une sorte de « claremontisme », de ceux que ses détracteurs ne manquent pas de lui reprocher : Colossus y déterre une grosse masse rocheuse, comme on l’a vu déjà à de multiples reprises s’occuper d’arracher des souches d’arbre à proximité du manoir des X-Men. Claremont en profite pour faire un énième topo sur ses pouvoirs : on a pu tourner en dérision la propension du scénariste à abuser du procédé, mais il ne faudrait pas oublier que le proverbial nouveau lecteur, celui dont chaque épisode peut être potentiellement le premier selon le principe édicté par Stan Lee, n’est pas une pure abstraction à l’époque : « Uncanny X-Men » gagne des lecteurs tous les mois (plus de 400 000 par mois à l’époque ; c’est considérable).
Toujours est-il que Claremont semble décidément un peu tourner en rond avec ce personnage, censément le véritable héros de la série, dans la tête de son créateur Len Wein au milieu des années 70. Il ne gagnera finalement jamais cette stature, et Claremont semble même ici amorcer une mini-marche arrière quant à sa rupture avec Kitty Pryde. Le scénariste va finir par se demander s’il ne ferait pas mieux de le sortir du titre. Même constat pour Diablo : passée l’ère Cockrum (qui adorait le personnage), Kurt Wagner sera bien malmené, notamment par un Byrne qui ne sait pas trop quoi en faire, et l’utilise en guise de « comic-relief » sur la fin. Claremont en viendra à la même conclusion que pour Colossus (il faut le sortir du titre, à terme), mais en attendant, il prend une décision intéressante concernant le mutant allemand : il en fait le chef, très éphémère, de l’équipe. On peut se demander si le personnage avait les épaules pour ça, mais c’est justement le but de la manœuvre : Claremont le montrera échouer à remplir son rôle, malgré sa bonne volonté et ses qualités. Pas grave, Kurt Wagner deviendra plus tard un leader digne de ce nom, mais dans un autre équipe.
Comme Séléné, Magus est un adversaire des Nouveaux Mutants : il s’agit du père de Warlock, un être techno-organique comme lui. Un aparté : Magus, Warlock ? Claremont avait-il ici l’intention de rendre hommage à son collègue Jim Starlin, créateur de deux fameux personnages homonymes ? Ou cherchait-on chez Marvel à se couvrir en préservant les droits sur ces noms ? Mystère…
Le bref combat qui l’oppose aux trois X-Men est diablement excitant, habilement chorégraphié et farci de bonnes idées, comme celle de Diablo téléportant des « parties » de son adversaire (une ruse qu’il renouvellera) ou celle finalement abandonnée, alors qu’elle était potentiellement porteuse, du septième sens de Malicia, volé comme le reste des ses pouvoirs à Miss Marvel. Ce septième sens est en fait un don de précognition/divination, présentant aussi quelques points communs avec le sens d’araignée du Tisseur. Peut-être Claremont s’était-il réservé la possibilité de jouer avec d’éventuelles prophéties au sein du titre, avant de se rendre compte qu’il avait déjà le personnage de Destinée sous le coude pour ça…
A côté de la péripétie principale de l’épisode, deux scènes marquantes et importantes se démarquent. La première, c’est la scène de l’aéroport qui voit le retour de Logan et Kitty après leur périple au Japon. Il est à relever que Kitty subit à cette occasion un changement de look qui n’est pas sans rappeler, ironiquement, celui d’Ororo deux ans plus tôt. Kitty a bien grandi depuis… C’est au cours de cette scène également que Kitty rencontre pour la première fois Rachel : leur relation sera forte et s’inscrira dans la durée, dans le titre « Excalibur » notamment. Kitty se souvient de Rachel : psychiquement, elle a en effet voyagé jusqu’à son futur dystopique au cours de « Days Of Future Past ». La présence de Kitty réactive en prime un souvenir enfoui dans l’esprit de Rachel : on y assiste aux derniers moments de Rachel dans sa ligne temporelle d’origine. Claremont en profite pour très subtilement « teaser » la façon dont Rachel a voyagé dans le temps : elle le fait après une suggestion post-hypnotique de Kate Pryde (la Kitty du futur), dont le catalyseur est le mot « Phénix Noir ». En effet, Claremont commence à travailler l’idée que Rachel Summers, comme sa mère avant elle, est liée à la terrible Force Phénix. On comprend aussi que Kate et Rachel (dans sa tenue de limier) ont pour mission de faire échec à un mystérieux Projet Nemrod ; on en saura plus très vite, mais on comprend déjà que le mystérieux robot anti-mutants apparu en fin d’épisode précédent provient de la ligne temporelle de Rachel, et l’aurait donc suivie.
La deuxième scène marquante, c’est l’épilogue (qui m’avait traumatisé gamin ; je l’avais trouvé très noir et violent) ; Charles Xavier y est brutalement agressé par des étudiants de l’université de Columbia où il enseigne. Ces étudiants anti-mutants avaient déjà compris que Xavier était pro-mutant, et voilà qu’ils comprennent qu’il est un mutant lui-même. Il est laissé pour mort dans la rue, grièvement blessé à la tête, dans une mare de sang. Claremont, par ce rebondissement, s’assure que le lecteur comprenne bien que l’époque a changé ; la menace de l’hystérie anti-mutante dénoncée plus tôt dans l’épisode par Xavier lui-même est très concrète. D’autre part, c’est aussi une façon pour Claremont de régler un problème récurrent du titre depuis la guérison de Xavier, désormais actif sur le terrain. Trop puissant, Xavier est un poids pour Claremont : il peut résoudre tous les problèmes des X-Men d’une simple manipulation mentale. Il est aussi pesant pour l’équipe elle-même : le scénariste mettra cette tension en scène au cours de séquences où Tornade prend ombrage de l’envahissante autorité du Prof (Logan le relève aussi), alors qu’elle était censée être le leader sur le terrain. Claremont décide donc de mettre Xavier sur la touche, progressivement : en voilà la première étape. Ce n’est pas la première fois que le scénariste émancipe les X-Men de leur mentor encombrant (on peut même voir tout son run comme l’histoire de l’émancipation de cette tutelle par ses étudiants) : il était hors-jeu durant le périple post-Antarctique de l’ère Byrne, puis occupé durant la longue Saga des Brood à mettre l’équipe des Nouveaux Mutants sur pieds. Cette nouvelle absence, actée par le fameux numéro 200, sera beaucoup, beaucoup plus longue… En attendant son départ, ses pouvoirs sont considérablement amoindris par sa blessure, ce qui règle déjà une partie du problème.
L’épisode 193, s’il n’appartient pas à un « gros » arc, est tout de même événementiel ; c’est d’ailleurs un épisode double. Intitulé « Warhunt 2 », il marque un anniversaire : c’est le centième épisode des nouveaux X-Men, ceux apparus dans le fameux « Giant-Size X-Men 1 ». Il est d’ailleurs dédié à Len Wein et Dave Cockrum, premier tandem artistique à l’oeuvre sur ces personnages (même si Claremont n’était pas loin, d’emblée), ainsi qu’aux artisans de l’ombre Tom Orzechowski (lettreur) et Glynis Wein (coloriste de son état, et compagne à cette époque de Len Wein). Pour l’occasion, on décide de revisiter la toute première aventure des mutants post-« Giant-Size X-Men 1 », celle opposant les X-Men au Comte Néfaria et ses Ani-Men, qui se soldera par la mort tragique d’Epervier, alias John Proudstar. Et ça tombe bien, Chris Claremont vient justement d’introduire au sein de l’équipe des Hellions (équivalents des Nouveaux Mutants pour le Club des Damnés) le jeune frère d’Epervier, James, doté des même pouvoirs que son aîné. Sous le nom de Warpath, James Proudstar deviendra un membre éminent des Nouveaux Mutants puis de X-Force ; ici, c’est un de ses antagonistes complexes et ambigüs que Claremont affectionne, qui cherche à venger la mort de son frère.
L’épisode voit aussi la première apparition officielle, dans la continuité, d’Angelica Jones alias Firestar. A l’instar de Harley Quinn (avec un retentissement moindre), ce personnage est issu du petit écran (le dessin animé « Spider-Man and his Amazing Friends » en l’occurrence) et importé dans les comics. A ce stade, elle est juste le pantin timide du machiavélique Empath, qui la manipule avec ses pouvoirs mentaux. Une mini-série lui sera bientôt dédiée, qui racontera son arrivée au sein de l’école d’Emma Frost et des Hellions. Elle intégrera par la suite les rangs des New Warriors, puis des Vengeurs, avant de se faire beaucoup plus discrète par la suite…
N’oubliant pas de faire intervenir des membres de l’équipe de l’époque comme le Hurleur, « Warhunt 2 » revisite donc les péripéties du premier « Warhunt », cent épisodes plus tôt. La manœuvre se justifie par l’aspect commémoratif du numéro, mais se fond comme un charme dans les méthodes habituelles de Chris Claremont, qui ne rechigne jamais à revisiter sa propre mythologie comme nous l’avons vu à maintes reprises. C’est le moment idéal pour rendre un hommage vibrant à Epervier, premier des X-Men à tomber au combat ; dans l’intervalle, Claremont aura reconnu que l’idée de le tuer n’était pas de lui, mais de Len Wein. Ce dernier avait pris cette décision car initialement la substance de « Uncanny X-Men 94/95 » devait alimenter un hypothétique « Giant-Size X-Men 2 », et Wein sentait qu’il devait conclure le récit sur une note spectaculaire et/ou tragique ; John Proudstar a toujours été destiné à mourir à ce moment-là. Mais Claremont se serait bien vu faire évoluer ce personnage bourru, dont il aimait beaucoup le costume, tout en reconnaissant que ses caractéristiques le rendaient redondant vis-à-vis de Serval.
A la fin de l’épisode, la situation s’aggrave encore un peu pour les X-Men, définitivement catalogués comme des hors-la-loi. La situation est en fait si grave que les X-Men comprennent qu’ils n’ont pas à livrer leurs adversaires à un gouvernement auquel ils ne se fient plus. Claremont nous amène là progressivement aux grandes alliances des X-Men avec leurs adversaires, du Club des Damnés à Magnéto en personne.
Il se passe un peu la même chose dans le fabuleux numéro 194, un des tout meilleurs de la période Romita Jr, dense, fun et généreux comme c’est pas permis. Claremont y renoue avec l’inspiration de l’épisode 183, rejouant la ruse du Fléau « déguisé » en se baladant simplement en civil. C’est la première véritable apparition de Nemrod, le « Terminator » des mutants : on notera d’ailleurs que Romita Jr a sensiblement revu son apparence entre sa première apparition éclair et celle-ci. Claremont a probablement voulu avec Nemrod, sorte de « Ultron pour les X-Men », renouveler le registre potentiel des fameuses Sentinelles, qu’il n’a jamais beaucoup aimé, mais dont il ne peut se passer scénaristiquement tant leur utilisation est raccord par rapport à la montée en puissance de la haine anti-mutants qu’il met en scène. Nemrod est une Sentinelle bien plus intéressante que la moyenne, d’une puissance considérable : il contrôle sa structure au niveau moléculaire et est donc virtuellement indestructible, et fait jeu égal avec le Fléau sur le plan de la force physique. Il est amusant de noter d’ailleurs que les successeurs de Claremont, au moment de démontrer la puissance d’un nouvel antagoniste (Onslaught en l’occurrence), procéderont de même, en le montrant mettre une pilée au Fléau.
Claremont ira même, comble de l’ironie, jusqu’à faire de Nemrod un héros aux yeux du grand public, dans un mouvement inverse au propre statut des X-Men, désormais perçus comme des criminels à part entière. Nemrod sera un des principaux adversaires des X-Men sur la période (notamment à l’occasion d’un arc incluant également le Club des Damnés, sur lequel nour reviendrons bientôt), mais on ne le verra pas tant que ça au bout du compte, si ce n’est à l’occasion d’un épisode de l’ère Silvestri durant lequel il « disparaît » en quelque sorte. Il faut dire que Claremont avait bien d’autres plans en tête pour ce robot venu du futur, d’une tout autre envergure ; des plans contrariés, mais on racontera cette histoire-là à l’occasion du prochain post…
La scène d’action qui constitue la principale péripétie de l’épisode est une des toutes meilleures du tandem Claremont/Romita Jr ; Malicia y devient une sorte de « Super-Adaptoïde » des mutants (ou de Mime, pour rester dans la franchise), cumulant les pouvoirs de ses partenaires. Une idée excellente, qui repointera le bout de son nez à l’occasion. Claremont adore jouer avec les possibilités étendues des pouvoirs de ses personnages, ce qu’il fait très bien ici, mais il raconte également que le staff éditorial était très tatillon sur ce genre d’initiatives : Claremont explique par exemple qu’il aurait aimé creuser les pouvoirs du Hurleur qu’il trouvait un peu limités, mais que la consigne « pas de nouveaux pouvoirs » était une sorte de loi d’airain de l’éditorial de l’époque. C’est pourquoi il a évacué le Hurleur du titre, en partie, mais il se « vengera » en creusant ces possibilités avec Thérésa Cassidy, la fille du Hurleur.
Sur une note plus anecdotique, l’épisode se conclue sur un semblant de sub-plot (qui ne débouchera sur rien finalement) mettant en scène le Colonel Vazhin, sorte de Nick Fury russe, qui surveille les agissements des X-Men et s’étonne de l’attitude du gouvernement américain à leur égard, qui selon lui ne fait que justifier les positions d’un Magnéto. Intéressant, dommage que Claremont n’ait pas creusé plus de ce côté-là. Vazhin était déjà apparu durant l’ère Byrne (mais c’était un robot du Murderworld d’Arcade, conçu pour tourmenter Colossus) et reviendra aux dernières heures de la prestation de Claremont sur le titre, là encore pour un sub-plot potentiellement porteur mais largement avorté…
A côté de ce petit sommet, le numéro 195 est nettement plus anecdotique ; il n’en est pas moins plaisant : à sa première lecture, il avait captivé l’auteur de ses lignes par son atmosphère de conte de fées moderne et ténébreux (il débute d’ailleurs par un « il était une fois… » tout à fait approprié). Il est peut-être un peu étrange que les personnages de « Puissance 4 », un titre plutôt destiné à un public très jeune, se trouvent ainsi embarqués dans une histoire finalement très sombre (rapt et meurtres d’enfants, quand même). Peut-être Claremont a simplement voulu renvoyer un peu l’ascenseur à son éditrice préférée, Louise Simonson, en exposant un peu son titre (cet épisode est en fait la deuxième partie d’un crossover à petite échelle entre les deux titres, mais il se lit parfaitement bien tout seul…). Les Morlocks sont déjà de retour (ce sont vraiment les marqueurs de l’ère Romita Jr), mais Claremont continue à faire doucement évoluer leur statut et leur rapport aux X-Men : là c’est une faction dissidente qui opère dans le dos de Callisto, leader déchue des Morlocks complètement rangée quant à elle du côté des X-Men. Les prochaines apparitions des Morlocks feront muter encore leur statut, de manière plus drastique.
Comme d’habitude quand le personnage de Masque est utilisé, Claremont flirte allègrement avec le registre horrifique, avec ces modifications corporelles dont il a le secret. Une idée avait été sous-entendu auparavant, et est plus nettement souligné ici : pour appuyer sur leur marginalité, Masque a probablement modifié (pour le pire) le visage de la plupart des Morlocks, y compris Callisto, comme le montrait une case discrète du diptyque avec Kulan Gath… Une idée bien déviante, mais très forte.
Le traitement de Kitty, quasiment proclamée chef de l’équipe par Logan en personne, est également intéressant : décidément, la benjamine de l’équipe a bien changée depuis ses débuts dans le titre.
L’épisode 196 est nettement plus important dans la grande trame du run claremontien : c’est le premier numéro, hors « God loves, Man kills », « Secret Wars » et « New Mutants », où l’on peut voir Magnéto côte-à-côte avec les X-Men. On pourra regretter que cet événement (à l’échelle de la franchise) ne se soit pas pleinement déroulé dans le « senior book », mais c’est ainsi que Claremont, bon an mal an, procède maintenant. C’est quand même dans ce numéro, symboliquement, que la mue est achevée (avant un passage de relais plus officiel dans le numéro 200), via le poignant échange entre Magnéto et Rachel qui vient ponctuer l’épisode. Un épisode assez déchirant finalement, notamment pour ce que Claremont concocte pour Rachel, encore très mal acceptée par les fans : la plupart lui reproche son statut de pleureuse perpétuelle, et ce n’est pas un reproche totalement infondé, l’écriture de Claremont n’étant pas dénuée de lourdeurs (elle s’épurera d’ailleurs sur ce plan, pour le meilleur). Mais c’est quand même un reproche un peu injuste compte-tenu du passé tragique du personnage, pour le moins. La montrer craquer à chaque fois qu’elle doit repérer télépathiquement un coéquipier n’est pas illogique, du fait de son passé de limier, par exemple. Ici, elle adopte une attitude « bad-ass » au possible, et prend une autre envergure.
Sans compter qu’après les indices livrés sur sa possible connexion à la Force Phénix, elle est « adoubée » comme une future puissance sur laquelle compter par le Beyonder en personne, qui traîne donc ici ses guêtres à compter de cet épisode. A ce sujet, il est intéressant de voir que Claremont utilise sa présence pour appuyer une crise mystique qui agite Diablo, qui a toujours été plus ou moins implicitement présenté comme un catholique, un croyant. Une piste intéressante, mais Claremont et ses successeurs la creuseront ailleurs et plus tard, Diablo n’en ayant plus pour si longtemps que ça dans le titre…
Et puisqu’on parlait d’épisodes anecdotiques, admettons qu’en la matière le numéro 197 se pose un peu là. C’est peut-être l’un des deux ou trois épisodes les plus faibles de tout le run de Claremont, qui ravive ici indirectement sa bonne vieille guéguerre à distance avec John Byrne. Rappelez-vous : Byrne s’était ému que Claremont ridiculise « son » vilain, Fatalis, en le montrant un peu trop sympa à l’endroit d’Arcade, ennemi farfelu des X-Men (qui se permettra même de craquer une allumette sur l’armure du Latvérien). Il avait profité d’un épisode de ses FF pour montrer qu’il ne s’agissait bien sûr que d’un vulgaire Doombot. L’épisode 197 (affublé d’une couverture hideuse, une des pires de Romita Jr, pas très inspiré dans cet exercice à l’époque) revient sur cette péripétie (avec Arcade et un « Doombot » en guest, donc ; on peut cependant noter que Claremont, au final, valide la version de Byrne : le Fatalis de Claremont était bien un robot) et tout ça est un brin anodin, malgré une bonne idée sur Arcade. Ceci dit, Claremont en profite quand même, encore et toujours, pour creuser son sillon au long cours : il règle le « différend » entre Kitty et Colossus, toujours séparés mais désormais amis. Il en profite également, quand même, pour faire avancer les sub-plots en cours, Cyclope repointant le bout de son nez, par exemple…
Un autre élément intéressant à relever tout de même : l’épisode s’ouvre sur un type de scènes que l’on a pas encore vu pulluler chez Claremont, mais ça ne va pas tarder à partir de cette époque (et votre serviteur confesse être très friand de cette veine du scénariste) ; Colossus y est victime d’une hallucination cauchemardesque, pas de la meilleure eau certes (on verra bien mieux en la matière par la suite, notamment le sommet que constitue le numéro 251, « Fever Dream »), mais pas inintéressante pour autant, déjà.
On alterne décidément les épisodes anecdotiques et les épisodes plus « costauds » : le numéro 198 n’est ni plus ni moins que la séquelle directe de « Life-Death », l’épisode dessiné par Barry Windsor-Smith. « Life-Death II » (ce n’est pas le titre de l’épisode, mais ce titre officieux apparaît sur la couverture) se penche à nouveau sur Tornade : le récit avait été préparé en amont par Claremont, à travers ce fameux départ pour l’Afrique, les épisodes précédents étant ponctués par un sub-plot narrant la rencontre au Kenya entre Ororo et les jumeaux Strucker, pas encore nommés à ce stade, qui la laissent pour morte. Tornade subit ensuite une sorte de périple initatique, assez proche dans l’esprit d’un « The Walkabout » de Nicolas Roeg (je me demande si Claremont connaît ce film : je présume que oui ; en délirant un peu, on pourrait en voir une influence sur la période australienne des X-Men), dans le cadre d’un récit totalement déconnecté des enjeux du grand récit global en cours.
Sur le plan graphique, on peut préférer l’encrage de l’expert en la matière Terry Austin, qui accompagnait les planches de Barry Windsor-Smith sur le premier « Life-Death ». Votre serviteur préfère quant à lui le rendu graphique de cette séquelle, où le dessinateur se charge lui-même de l’encrage et de la colorisation, pour un rendu plus dense, plus riche, avec une palette chromatique particulièrement variée et intéressante. Le climat de l’épisode tout entier est particulièrement envoûtant, et le travail préparatoire considérable on l’imagine de Windsor-Smith empêche le tout d’échouer dans l’écueil de l’exotisme de pacotille (dont l’esthétique des eighties est pourtant empreinte, par ailleurs). Certaines planches sont littéralement époustouflantes.
On peut en dire autant du scénario, qui doit probablement beaucoup au dessinateur, et qui profite également de sa déconnexion avec les intrigues en cours. Il y gagne une sorte d’abstraction qui imprègne tout le récit. Claremont se fait moins « bavard » qu’à l’accoutumée, comptant probablement sur la narration sans faille (quelle expressivité dans ces dessins…) de Windsor-Smith pour porter cette belle histoire, belle et touchante, qui rappelle par un rebondissement final « La Ballade de Narayama » du réalisateur japonais Shohei Imamura. « Life-Death II » est un petit bijou, un peu à part dans la mythologie du titre.
Deux remarques supplémentaires sur cet épisode important à plus d’un titre. D’abord, il est à relever qu’il aurait dû y avoir un « Life-Death III »… et que d’une certaine façon, il a bel et bien été publié. Claremont et Windsor-Smith ont échangé sur un embryon d’histoire, et le dessinateur s’est même mis au travail, le staff éditorial ayant repéré le créneau idéal pour ce fill-in de luxe, vers la fin du run de Claremont. Mais Windor-Smith a quelques soucis de santé après un accident, et ne peut honorer les délais. Une fois Claremont parti, il propose une nouvelle mouture du projet qu’il scénarise seul, et allonge le format de 22 à 48 pages. Marvel accepte, mais se rétracte en prenant connaissance du contenu de l’album préparé par l’anglais, qui aborde la thématique difficile du suicide, interdite par l’éditorial à l’époque. Probablement très agacé, Windsor-Smith décidera de retoucher ses planches et de faire de « Life-Death III » une aventure d’Adastra, personnage des Young Gods… pas chez Marvel, donc (l’album paraîtra en 1999, au bout du compte).
Ensuite, pour l’anecdote qui n’en est pas vraiment une, c’est lors d’une réunion de préparation pour cet épisode que Claremont prendra connaissance d’une sale nouvelle pour lui : Jim Shooter, convaincu par Jackson Guice et Bob Layton, et même armé d’une explication en béton fournie par un tout jeune auteur ex-fan des « Uncanny X-Men », Kurt Busiek, a décidé de ramener Jean Grey. Ann Nocenti convoque Claremont et Windsor-Smith un vendredi soir en début de soirée, dans un restaurant en lieu et place des bureaux de Marvel, et annonce la nouvelle à Claremont. Du propre aveu du scénariste, Nocenti a fait exprès de le faire à ce moment-là et elle a bien fait : à n’importe quel autre moment de la semaine, Claremont aurait foncé dans le bureau de Shooter (fermé à cette heure, donc) pour démissionner aussi sec. Là, n’ayant pas le numéro personnel de Shooter, et Nocenti refusant de le lui communiquer, il a le week-end pour réfléchir. Il finit par se calmer, et réfléchit : il ne démissionne plus, évidemment, et propose le lundi suivant une idée à Shooter. Son plan, c’est de doter la sœur de Jean, Sara Grey, de pouvoirs mutants (identique à ceux de Caliban, le Cérébro ambulant : il peut détecter les mutants à distance), de lui faire intégrer l’équipe X-Factor que Shooter, Layton et Guice mettent sur pieds (les X-Men originaux à nouveau réunis), et de laisser Jean Grey reposer en paix. En substance, Shooter lui répond : « super concept, fais ça dans ton titre. Mais nous ramenons Jean Grey. »
Claremont est bon pour manger son chapeau… et encore !! Le bougre n’avait rien vu. Ses plans pour les deux années à venir, déjà largement établis, n’ont pas fini d’être perturbés ; il aura notamment à gérer, indirectement, les humeurs d’un jeune auteur britannique déjà génial, un certain… Alan Moore.
L’album s’achève sur un vieil annual de 1983, et la pertinence de sa présence ici peut être questionnée. C’est un récit mettant en scène l’Homme-Impossible, le plus fantasque des adversaires des FF (il était en tout cas leur adversaire au tout début), et s’il n’est pas désagréable en lui-même, il est quand même nettement moins emballant que certaines des apparitions ultérieures du personnage dans la franchise, comme ce chouette duel de « shape-shifters » avec Warlock dans les « New Mutants », ou cet épisode mémorable dans les premiers « Excalibur » de Claremont et Davis. Paru lors d’une initiative du type « assistant editor’s month », il est de plus bardé de quelques blagues méta très inégales, certaines faisant mouche quand même. Les dessins du pourtant génial Michael Golden y sont étonnamment méconnaissables, pas aidés il est vrai par un encrage assuré par une bonne douzaine d’artistes différents… Anecdotique ? Yes indeed.
Prochain épisode : On termine l’année 1985 avec deux épisodes costauds de chez costauds, dont le fameux numéro 200, et on retrouve un Claremont flanqué de ce bon vieux Paul Smith pour un des sommets de la franchise, la mini-série « X-Men / Alpha Flight », et Arthur Adams débarque pour infuser un peu du feeling asgardien chez les mutants !!