Au début des années 1990, le Punisher compte parmi les personnages Marvel les plus populaires. Au point de bénéficier de trois séries régulières (Punisher, Punisher War Journal et Punisher War Zone), en plus des différentes mini-séries et parutions exceptionnelles qui agrémentent le catalogue de l’époque. Pas mal, pour un personnage secondaire né de la volonté d’exploiter un sous-genre à la mode au milieu des années 1970.
La série Punisher War Zone, petite dernière de la fratrie, propose pourtant de chouettes aventures, en général associée au nom du scénariste Chuck Dixon. Ce dernier nous livre un Frank Castle moins psychopathe que sous la plume d’autres collègues, plus ordonné, plus méticuleux, bref un soldat en mission plutôt qu’un vengeur suicidaire.
Cependant, puisque le héros connaît le succès, il connaît également les aléas de la gloire, et nommément les cross-overs. C’est ainsi que les Punisher War Zone #26 à 36 se situent juste après la saga « Suicide Run » et quelques mois avant « Countdown ». Pourtant, ces numéros proposent deux aventures de haute volée qui, à défaut d’originalité, divertissent de belle manière.
Dès Punisher War Zone #26, Chuck Dixon, qui a lancé la série avec John Romita Jr, renoue avec le personnage et se trouve associé à John Buscema, qui a déjà illustré le vingt-cinquième épisode. Cette fois-ci, le dessinateur s’encre lui-même, et c’est du plus bel effet. Certes, les décors sont plutôt rares et maigrelets, mais les personnages ont une force et une vivacité incroyable.
L’action commence alors que Castle remonte la filière d’un trafic de drogue. Dans une chambre d’hôtel, il abat un mafieux, associé au trafiquant qu’il a pris pour cible. Il dérobe les papiers de son dernier et quitte la chambre, encore occupée par la maîtresse en pleurs du bandit.
Puis, grimé et moustachu, il se rend sur la petite île de Puerto Dulce, secoué par une guérilla qui se transforme rapidement en révolution, pour infiltrer le gang qu’il a dans le collimateur.
Mais bien entendu, les choses ne se passent pas comme il l’avait espéré…
… puisque la femme qu’il a laissée dans la chambre d’hôtel n’est autre que la sœur de sa cible, qui bien sûr reconnaît le nouveau venu !
Dès le deuxième épisode, Castle, qui n’est pas abattu sur place, est retenu prisonnier parmi des travailleurs forcés dans un champ de canne à sucre.
De son côté, Microchip, son associé féru de technologie, devant l’absence du justicier, parvient à contacter Ice, un personnage aperçu dans The Nam et Punisher War Journal, et monte une expédition de sauvetage.
Il est temps, car Frank, qui s’est fait remarquer par ses garde-chiourme, doit affronter trois autres détenus à qui l’on a promis la liberté s’ils survivent à l’épreuve. Suspense !
Le troisième épisode raconte le début de la fuite, Frank étant secouru par ses deux alliés et devant tracer son chemin dans les marécages de l’île, infestés d’alligators affamés.!
Buscema est en pleine forme. Le quatrième chapitre est sans doute le plus beau de la saga, avec des encres expressives, des lumières travaillées, des effets sobres mais efficaces, une vivacité de trait incroyable.
Dixon n’est pas en reste : surfant sur des clichés du genre (infiltration, démasquage, torture, évasion, fuite…) il aligne les répliques cinglantes et les récitatifs cyniques. Mais il n’oublie pas l’essence du personnage et place régulièrement des indices témoignant d’une caractérisation astucieuse : il comprend très bien le personnage et ses obsessions.
Au fil du récit, Frank Castle prend conscience qu’il ne pourra pas rattraper le trafiquant qu’il s’était donné pour but d’abattre. Avoir détruit son réseau et ruiné son entreprise ne lui suffit pas. On a donc un personnage obsessionnel qui doit renoncer. Dixon écrit très bien ce versant du justicier.
Le bémol de la saga intervient au cinquième et dernier chapitre. Sans doute pris par le temps, Buscema n’encre pas cette conclusion, dont les finitions sont confiées à Tom Palmer (et, je pense, à Klaus Janson, même s’il n’est pas crédité). On sent l’exécution rapide, et si les planches font leur office, on perd en force évocatrice.
En 2008, Marvel a compilé ces épisodes dans un recueil intitulé Punisher: Barbarian With a Gun. Ils ont remonté une pleine page en couverture, reléguant les illustrations des fascicules de Rafael Kayanan, assez moches, en pages intérieures.