BERBERIAN SOUND STUDIO (Peter Strickland)

[quote]DATE DE SORTIE PREVUE

31 août 2012 (UK)
3 avril 2013 (France)

REALISATEUR & SCENARISTE

Peter Strickland

DISTRIBUTION

Toby Jones, Tonia Sotiropoulou, Cosimo Fusco…

INFOS

Long métrage anglais/australien/allemand
Genre : Horreur
Année de production : 2012

SYNOPSIS

1976 : Berberian Sound Studio est l’un des studios de postproduction les moins chers et les plus miteux d’Italie. Seuls les films d’horreur les plus sordides y font appel pour le montage et le mixage de leur bande sonore. Gilderoy, un ingénieur du son naïf et introverti tout droit débarqué d’Angleterre, est chargé d’orchestrer le mixage du dernier film de Santini, le maestro de l’horreur. Laissant derrière lui l’atmosphère bon enfant du documentaire britannique, Gilderoy se retrouve plongé dans l’univers inconnu des films d’exploitation, pris dans un milieu hostile, entre actrices grinçantes, techniciens capricieux et bureaucrates récalcitrants. À mesure que les actrices se succèdent pour enregistrer une litanie de hurlements stridents, et que d’innocents légumes périssent sous les coups répétés de couteaux et de machettes destinés aux bruitages, Gilderoy doit affronter ses propres démons afin de ne pas sombrer…[/quote]

Alors ça c’est un projet qui a d’énormes qualités à faire valoir sur le papier…
Toby Jones, déjà, que j’aime beaucoup et qui est un excellent acteur dans ce registre.

Le pitch est fort alléchant, et surtout original (très rafraîchissant par les temps qui courrent), tout au plus pourra-t-on penser au « Blow Out » de De Palma, mais ma foi, il y a pire référence (et c’est un sacré eupéhmisme…).

Et enfin (et surtout) Peter Strickland aux manettes : un réalisateur inspiré dont le fabuleux premier long, « Katalin Varga », m’avait cloué au mur.
Budget de la chose : 30 000 dollars. Oui vous avez bien lu (prenez-en de la graine, les pleureuses des budgets-toujours-insuffisants-pour-rendre-justice-au-projet, je vous en foutrais, moi…mais je m’égare !).

Vivement le mois d’avril.

Wow, quelle baffe. Un putain de film, pas de doute.
(Le film est sorti hier en VOD, et peut-être en DVD…?)

Je l’avais raté en salles, mais je ne peux que conseiller à tous les aficionados de films de genre et de curiosités bien barrées dans mon cas de se jeter sur cette petite perle.

Comme je le signalais plus haut, Strickland m’avait claqué le beignet avec son premier long, « Katalin Varga », sorte de variation sur le « rape and revenge » (en mode Bergman période « La Source »), bluffante de tenue pour un budget de miséreux. Strickland malgré d’immenses difficultés à boucler son projet faisait montre de ressources impressionnantes et d’une soif de cinéma communicative.

Il passe clairement à la vitesse supérieure avec ce long-métrage mieux « doté », d’une puissance et d’une intelligence rares par-dessus le marché.
Pour rappel, l’histoire est celle d’un ingénieur du son anglais des seventies nommé Gilderoy (joué par le fa-bu-leux Toby Jones, mais le reste du casting est excellent aussi, notamment les filles qu’on croirait sorties d’un Argento de la grande époque…), appelé en Italie pour mixer le son d’une sorte de giallo gore à la mode Margheriti ou Bava pour ceux qui connaissent (on y parle de sorcières et d’inquisition). Au fur et à mesure de son travail (rendu difficile par sa timidité et sa réserve quasi maladive), la nature violente des images qu’il « habille » finit par faire vaciller sa raison.

Premier bon point : le scénar’ signé Strickland lui-même, et un paquet de choix heureux. Les références, déjà, feront hurler de bonheur les amateurs du cinoche italien des 70’s : le film sur lequel bosse Gilderoy s’appelle « The Equestrian Vortex », dans la tradition « animalière » du giallo, et Strickland fait le choix couillu mais très porteur de ne pas montrer une seule image (à l’exclusion du générique, une merveille d’ailleurs) du film dans le film.
« Berberian Sound Studio » se présente donc comme le contre-champ d’un film invisible. Brillant.
D’autre part, Strickland évite aussi certaines facilités : vous aurez compris que le film s’aventure sur le terrain du thème « réalité contaminée par la fiction », mais ça reste subtil. Pas de meurtres « giallesques » dans la réalité du personnage joué par Toby Jones (ça aurait pu être chouette, hein, mais un peu convenu disons), mais quelques codes habilement détournés (ce projectionniste ganté de noir qu’on ne voit jamais).
Le sous-texte assez touchant bizarrement du film, c’est aussi le choc des cultures, avec un anglais coincé du cul et des italiens à la limite de la caricature (mais Strickland dit que ce sont les comédiens, italiens, qui l’ont poussé dans cette direction ; ça passe car le film contre toutes attentes est très drôle à sa façon bizarre), et plus généralement de la souffrance engendrée par la solitude d’un long séjour de travail pénible à l’étranger : il est évident que Strickland témoigne ici de son expérience sur son film précédent…

D’autre part, le film vaut aussi pour son aspect documentaire sur le travail du son au cinéma : le grand critique américain Manny Farber disait qu’un grand film se devait aussi d’être un bon documentaire sur le milieu qu’il dépeint, c’est ici le cas, avec un hommage appuyé aux artisans du passé spécialistes des techniques analogiques, l’amour de Strckland pour ce type de travail et de matériel transpirant littéralement du film (ce qui n’empêche pas des mises en boîte jouissives, cf. les bruiteurs Massimo et Massimo…).

C’est de plus formellement que le film impressionne énormément : un peu comme « Amer » de Forzani et Cattet, Strickland récupère les codes du giallo et les recycle à son profit (dans un exercice moins déférent au genre que « Amer »). Les raccords sont tout simplement incroyables (quel travail, que d’idées !), et contribue à fluidifier de façon optimale la narration du film…
Et le travail sur le son, mon dieu : c’est bien le moins pour un film avec un pitch pareil me direz-vous, encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. Pari gagné, « Berberian… » gagne sans problèmes sa place dans mon panthéon personnel des grands « films de son » comme « The Conversation » de Coppola, les Lynch (mixés par Lynch en personne), « Blow Out » de De Palma (avec lequel le film de Striclanf entretient plus d’un point commun, comme le problème des « scream queens » médiocres…). Chapeau, c’est du travail d’orfèvre.

Bon, c’est sûr que la fin très sibylline va en laisser plus d’un sur le carreau, voire rebuter :

Après une traversée du miroir symbolique (un passage ultra-cut bien barré avec la pellicule qui s’enflamme à la fin façon « Persona » de Bergman ou « Macadam à deux voies » de Monte Hellman), le perso joué par Jones se met à paler italien (!!!), ses répliques étant sommairement post-synchronisées (!!!), avant de se « dissoudre » littéralement dans le film dans lequel il travaille… C’est sûr, va falloir revoir le film pour cette fin très étrange.

Bon, une bombe quoi, vous aurez capté ce que j’en pense. Il devient indispensable de suivre de très près les futurs travaux de Strickland.

J’ai beaucoup aimé, même si je serais juste un chouïa moins enthousiaste que l’ami Photonik. Berberian Sound Studio est une vraie expérience cinématographique, aussi déroutante que fascinante, avec un travail sur le son, l’image et le montage admirable (c’en est même parfois presque hypnotique).
Pour moi, on a droit à plusieurs films en un : une plongée dans les métiers du son d’une précision quasi-documentaire; un drame sur la solitude et l’incommunicabilité et un film d’horreur sensoriel qui réussit à imposer de véritables ambiances et à mettre mal à l’aise sans voir une seule image du film dans le film.
Le long métrage est truffé de références aussi astucieuses que savoureuses. Je n’y reviendrais pas, Photo en a déjà très bien parlé. Tout au plus insisterai-je également sur ce superbe générique début, qui sera tout ce que nous verrons du « Vortex Equestre » et qui prend la place de celui de Berberian, comme pour marquer le passage de Gilderoy de son univers feutré à celui qui le conduira à la folie.
Là où je suis un peu plus circonspect, c’est à propos des dernières scènes, qui m’ont, je le reconnais, un peu perdu.
Mais à part cette dernière ligne droite plutôt hermétique, Berberian Sound Studio, très bien interprété par un Toby Jones habité, est bourré d’idées de mise en scène absolument brillantes qui mettent habilement l’imagination et les sens au travail.

« Hermétique », le final : c’est tout à fait ça. Un peu trop pour son propre bien. Pour le reste, j’étais persuadé que ça te parlerait !!

Et pour donner envie aux éventuels curieux, voilà le fameux (et superbe) générique de « The Equestrian Vortex », le film dans le film :