BLAIR WITCH (Adam Wingard)

C’est quoi un « game-changer » ?

Un truc qui redéfinit complètement le genre dans lequel il s’inscrit, ou tout du moins la perception que l’on peut en avoir.

Carrément ? C’est quand même un mot « fort » pour un film, non !?

Très. C’est pour ça que je parle de « déchainement de la critique ».

J’ai vu quelques papiers plus modérés, ceci dit.
Mais globalement, l’accueil est tout de même très positif, ce qui constitue déjà une surprise. Tant mieux, tant mieux : j’ai plutôt été intéressé par les travaux précédents de Wingard, je regarderai ça avec intérêt…

(Pourtant, le premier « Blair Witch », ça me laisse complètement de marbre, et le second est je crois un des long-métrages les plus nuls que j’ai vu en salles ; je me suis dit à l’époque que j’avais sûrement rien compris…)

Bon une fois le film vu on peut dire que le terme de « game changer » est très exagéré.
Ce remake/suite reprend les mêmes principes que l’original, n’évite pas les pièges habituels du genre (personnages inintéressants, réactions débiles, des scènes d’hystéries collectives irritantes). Ceci dit il y a quelques petites nouveautés étonnantes (mais difficile d’en dire plus sans spoiler), et si j’ai bien saisi une volonté de tirer cette pure histoire fantastique vers … autre chose.
Le climax vaut peut-être d’aller au bout du film, ça a été pour moi le seul moment assez éprouvant du film.
Une déception donc…

Oui. Et pas qu’un peu. C’est pas vraiment grave en ce qui me concerne mais pour Adam Wingard, il faut avouer que c’est sans doute le film le plus chiant de sa filmo’. j’émettais déjà des réserves, avec You’re Next et The Guest, quant à sa capacité à tenir son discours sur la longueur sans sombrer dans le retournement potache. Là, c’est l’inverse, c’est sobrement chiant du début à la fin.

Surtout qu’il m’apparait que les faiblesses du « found footage » (cadrage inexistant, aucune construction d’une scène à l’autre, sans compter l’aspect cheap) sont exacerbées par les nouvelles techniques déployées par Wingard (drones, webcam, earpieces) ; techniques qui semblent pourtant être l’intérêt premier du réalisateur vu les maigres développements du script. Wingard en montre beaucoup, on en voit trop, ça désenfle toute sensation d’étrangeté ou de danger.
A ce titre, la dernière scène du film, où on ne voit plus rien, est la seule que je retiens vraiment.

Après, je dois avouer que j’ai visionné Blair Witch juste derrière les deux excellents Green Room et Don’t Breathe. Ça joue aussi.

Ça m’étonne qu’on puisse encore concevoir de tels personnages sans développer un discours ne serait-ce que légèrement comique. Ou moqueur.

Tu touches juste, cette sensation d’étrangeté est effectivement ce qui manque dans ce film balisé au possible. C’est en tout cas la sensation positive que je garde du premier opus…

[quote=« Jack! »]Après, je dois avouer que j’ai visionné Blair Witch juste derrière les deux excellents Green Room et Don’t Breathe. Ça joue aussi.

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J’imagine aisément.
Pas encore vu « Don’t Breathe », pas plus que « Blair Witch » encore, mais « Green Room » est un des films de genre (au sens large) les mieux foutus que j’ai vu ces cinq dernières années au bas mot. Y’a de quoi mettre la concurrence à l’amende, pas de doute.

Gros ratage que ce nouveau « Blair Witch » de mon point de vue également. Adam Wingard vaut mieux que ce film assez lamentable… et il aura tout intérêt à faire oublier cette incartade au plus vite.

Avait-on besoin dans l’absolu d’une suite/remake (concept qui explique en partie ce prévisible ratage) du premier « Blair Witch » ? Bien sûr que non, mais on pourrait citer des dizaines de séquelles tout à fait mal barrées sur le papier (« 2010 » de Peter Hyams, « L’Exorciste 2 » de John Boorman, etc…) qui se sont révélées bien plus intéressantes que prévu…
Pas de ça ici, cette suite (factuellement ça en est une) commettant l’erreur de reprendre à la lettre le cahier des charges (final choc dans la bicoque, crescendo loooooong comme un jour sans pain, séquence nocturne de tente en folie, décorations artisanales typiques confectionnées avec des bouts de bois, etc…) ; quitte à refaire un film dont la toute petite réussite consiste en la surprise et la relative originalité, autant éviter de ruiner tout effet de surprise et de se gaufrer dans le conformisme le plus échevelé.

Plus « grave » encore : la réalisation est tragiquement peu inspirée. On sent pourtant une volonté de renouveler le si pauvre genre du found footage, mais à base de trouvailles extrêmement superficielles dans leurs applications concrètes (le drone, c’est le pompon : quelle imagination dans son utilisation, dis donc…). Pire, les astuces techniques du film visent en fait à gommer ce qui fait la spécificité du genre, dans une logique de « j’assume pas du tout ce que je suis en train de faire » : les « earpieces », par exemple, sont en fait utilisés pour permettre de simuler des champs-contrechamps (affreux) ; de manière générale, la prolifération des points de vue fournit de la matière pour simuler un découpage et un montage conventionnels. Je n’aime pas le found footage, mais si un réalisateur se propose de revisiter le genre, je n’attends pas forcément de lui qu’il en gomme les figures imposées pour faire autre chose.

Et autre chose en moins bien, précisons-le : le film est comme il se doit mal éclairé, la photo dégueulasse, etc… En somme, Wingard bazarde les contraintes du found footage (censées en être le sel, en quelque sorte) et en conserve les défauts, comme la limitation technique, pour faire un film « conventionnel » bardé de tares typiques du genre. Très très mauvaise équation, au final.

Pourtant, en une ou autre occasion, on voit ce qu’aurait pu donner le film si Wingard, comme sur quelques plans épars (les plus beaux du film, évidemment), avait pensé un peu sa lumière (les torches couplées au feu de camp, les éclairs à travers les fenêtre de la bicoque… il n’y a pas non plus 156 exemples). Là aurait peut-être résidé la véritable rédemption du genre, qui ne s’appuierait plus sur sa fainéantise au nom d’un cachet de pseudo-réalisme. Ce sera pas pour cette fois.
Idem pour l’écriture du film, aussi fainéante que la réalisation, puisque comme on l’a dit plus haut les scènes sont téléphonées au possible ; les persos sont en prime inintéressants comme c’est pas permis, cerise sur le gâteau. Je me suis dit au début que Wingard, dont le côté « satire sociale » de ses précédents films était plutôt intéressant, va jouer sur l’opposition entre les deux groupes formant le casting (rednecks contre petits bourgeois hipsterisants), mais en fait il n’en fait strictement rien.
Plus gênant encore est la propension du script à dévoiler beaucoup trop d’éléments (la mise en scène lui emboîte évidemment le pas) ; une partie du charme du premier « Blair Witch » consistait en une indétermination sur le genre véritable du film (authentique film d’horreur surnaturelle ou étude d’une galerie de personnages paranoïaques ? presque jusqu’à la fin, le doute demeure), qui correspond à une définition possible du fantastique authentique (celle de Tzvetan Todorov). Ici, peu de doutes sur la nature des événements.

A ce propos, le premier « Blair Witch » n’était certes vraiment pas terrible, mais sa séquence finale faisait quand même son petit effet. Ici, le climax se veut beaucoup plus long : il est plutôt tendu et électrisant, mais il se repose selon moi beaucoup trop sur des effets sonores tonitruants et assez patauds (voire crispants). Le film n’est quand même pas aussi effrayant que l’on pouvait l’espérer, vous trouverez des vidéos nettement plus flippantes sur Youtube, réalisées avec trois bouts de ficelle…

Inutile, mal foutu, n’assumant pas ses promesses implicites, « Blair Witch » 2016 ne fait pas du bien à la filmo de Wingard, c’est rien de le dire.