Alors bizarrement, je ne retrouve plus mes Blake et Mortimer dans ma bibliothèque. Pas plus que mes Tintin, d’ailleurs. Enfin si, je pense savoir où ils sont, mais là, il va falloir que j’y aille à la pelleteuse pour y accéder.
Parce que tout part du fait que j’ai quelques tomes à ranger, et que je viens d’acheter la réédition du Rayon U et sa suite, La Flèche ardente, et que je voulais comparer avec la vieille version du récit de Jacobs…
Ah, que de soucis, dans une bibliothèque !
Donc, voilà, j’ai rassemblé un petit paquet de jacobseries, en prévision d’une heure ou deux d’excavation… et dedans, il y a Le Sanctuaire du Gondwana. Du coup, en attendant de pouvoir comparer les deux éditions du Rayon U, j’ai rouvert cet album et je me suis rendu compte que je ne l’avais pas lu. Ouais, ça m’arrive souvent, ça : trop de bouquins !
Et donc, c’est très sympa. C’est la suite directe du diptyque des Sarcophages du 6e Continent (j’ai lu ça, moi ? Sais plus…), mais la construction du récit, qui s’ouvre sur une scène pré-générique pour ainsi dire puis sur une consultation médicale de Mortimer qui permet de faire le lien avec ce qui vient d’arriver, est parfaite pour le lecteur de passage : genre, moi.
L’album me semble inégal, mais il a ses bons moments. Toute la montée du suspense et l’équilibre entre Mortimer qui gère ses céphalées, Blake qui se consacre à une autre mission, le mystérieux personnage qui les espionne de loin, tout cela est bien maîtrisé. Le récit établit un mouvement de balancier, très palpable au moment des voyages en avion, et une construction en parallèle, qui donne du sel à ce qui s’apparente à une course-poursuite en chassé croisé. Le mystère scientifique autour duquel s’articule l’intrigue est assez prenant, faisant le grand écart entre les théories scientifiques et les thèses ésotérico-complotistes. Et puis, y a des jolies nanas, ce qui est très bien, surtout que Juillard sait y faire en la matière.
Là où l’album marque une baisse, à la fois de régime et de qualité, c’est dans la description du périple africain. Le scénario semble se réjouir à aligner un massacre d’animaux un brin gratuit : j’imagine que cela correspond à la volonté de faire le portrait d’une époque révolue, d’une société anglaise colonisatrice où les locaux appellent « bwana » les blancs et ricanent d’un rire niais à la moindre remarque. Si l’on peut comprendre cette volonté de restitution historique, c’est un peu complaisant et surtout ça tranche avec le portrait assez moderne des deux femmes, à commencer par Nastasia.
L’autre problème, c’est que les planches où les insouciants colonisateurs font parler la poudre prennent une place colossale qui aurait pu en partie être consacrée au troisième acte, à savoir la découverte du fameux sanctuaire annoncé dans le titre. Toute cette partie, qui convoque l’esthétique jacobsienne, mais aussi un zest hergéen et un saupoudrage moébiusien, est vraiment chouette, avec un discours fataliste et, là encore, assez moderne, assez en prise avec les interrogations actuelles (sans pour autant trahir Jacobs : bel équilibre). Cette partie aurait pu être plus développée, à mes yeux, et l’album se retrouve une fois de plus à proposer un mystère (et un voyage) plus intéressant que son explication (et que l’arrivée).
Il n’empêche que, malgré ces déséquilibres et quelques scènes déplaisantes, ainsi que la mise en avant de personnages (comme le petit Masai) que l’intrigue finira par délaisser, l’album se montre généreux, propose son lot de péripéties, de bons dialogues et de caractérisations réussies. On notera un subplot concernant Mortimer qui, fatalement, risque de rester en l’état (mais là encore, je n’ai pas tout lu), et surtout une habileté consommée à gérer l’identité, à tiroirs, du fameux personnage dans l’ombre. C’est plutôt bien joué, et, à la fin de la lecture, si l’on passe en revue certains dialogues, on peut comprendre qu’ils sont à double sens et que c’est parfaitement maîtrisé.
Quand j’aurais entamé les fouilles dans les strates géologiques de ma bibliothèque et que j’aurais retrouvé les quelques albums que j’ai de l’ère post-Jacobs, je me replongerai dedans, pour voir si d’autres tomes me procurent aussi un savoureux plaisir de lecture.
Jim