REALISATEUR
Pere Portabella
DISTRIBUTION
Christopher Lee, Jess Franco, Maria Rohm, Herbert Lom, Soledad Miranda…
INFOS
Long métrage espagnol
Genre : documentaire/horreur
Année de production : 1970
Réalisateur, scénariste et producteur d’origine catalane, Pere Portabella est, d’après les informations de sa biographie, l’une des figures incontournables du cinéma alternatif de son pays et de l’histoire culturelle et politique de la Catalogne. Pour être honnête, je n’avais, jusqu’à il y a quelques jours, jamais entendu parler du bonhomme. C’est après avoir revu Les Nuits de Dracula, une (très) mauvaise adaptation du chef d’oeuvre de Bram Stoker, que j’ai appris l’existence d’un documentaire produit pendant le tournage du film de Jess Franco. Plus qu’un making-of, ce long métrage propose une expérience de cinéma très particulière, étrange et envoûtante.
Ce qui interpelle dès les premières secondes, c’est l’ambiance sonore. Cuadecuc, Vampir ne se repose pas sur les sons et ne se perd pas dans les détails de la création des Nuits de Dracula via les entretiens d’usage. Le film est presque entièrement muet et est ponctué par une illustration musicale expérimentale de Carles Santos, collaborateur régulier du cinéaste. Le spectateur assiste à une véritable relecture de l’histoire, filmée selon des angles de caméra différents. L’utilisation du noir et blanc, très contrasté dans plusieurs plans, donne au récit une atmosphère mystérieuse ainsi qu’une beauté formelle et presque surnaturelle absente de la version de Franco (qui n’est pas un film de la Hammer, contrairement à ce que prétend la petite erreur du générique début).
Au détour des plans, on commence graduellement à apercevoir les équipes de tournage, les éléments techniques comme les spots de lumière et les décors préfabriqués. Dans une séquence en particulier, très judicieuse, les techniciens sont révélés par l’intermédiaire de leur réflection dans un miroir, comme un passage entre l’univers fictif et la réalité. À partir de ce moment, les deux ne cesseront de s’entremêler, les actrices faisant des clins d’oeil à la caméra entre les prises, Christopher Lee s’amusant à la cantonnade avant de reprendre le sérieux de rigueur, Soledad Miranda (Lucy) étant délicatement posée dans son cercueil par Jack Taylor (Quincy Morris) pendant les préparations de la scène de sa mise à mort…le spectateur est ainsi invité à déambuler pendant le tournage d’un film d’horreur jusqu’à en être quasiment un participant. Ebouriffant…
Le montage réinvente aussi certaines scènes, leur donne une autre signification, preuve du pouvoir de la manipulation des images. Ainsi, Dracula a l’air d’être à l’origine de l’infarctus de Van Helsing. Des plans coupés au montage final permettent d’éclairer sous un autre angle des moments-clés du film. Une version alternative qui propose un regard très intéressant sur le processus de création, sous une forme inédite…
Il y a un acteur qui est totalement absent de ce documentaire expérimental… et c’est Klaus Kinski…ce qui peut continuer à alimenter la rumeur selon laquelle il aurait tourné ses scènes en croyant participer à un autre film (celui qui finira par jouer Nosferatu dans le remake de Werner Herzog ne voulait pas figurer dans un film de vampires…mais Jess Franco le voulait à tout prix en tête d’affiche, alors que son rôle est mineur et laborieusement intégré au résultat final).
Cuadecuc, Vampir suit fidèlement la progression dramatique des Nuits de Dracula, mais ne s’attarde pas sur la mort du Comte. À la place, le film retrouve la parole pour ses dernières minutes. Dans sa loge, Christopher Lee, débarrassé de son maquillage, parle de la façon dont meurt Dracula dans le livre de Bram Stoker avant d’en lire les dernières lignes. Un plan fixe, une voix magnétique, qui se termine par un gros plan sur le visage du regretté comédien, qui se fige telle une statue…une statue au regard profondément intense. Impressionnant…
Des spécialistes de l’oeuvre de Pere Portebella n’ont pas manqué de relier le propos de Cuadecuc, Vampir aux orientations politiques du cinéaste. Ne connaissant pas l’oeuvre de Portabella, je ne peux pas me référer à cette grille de lecture…qui n’est de toute de façon aucunement utile pour apprécier ce « voyage dans un genre » d’une grande puissance évocatrice…nettement plus que le film dont il tire sa substance.