REALISATEUR
Richard Ciupka (sous le pseudonyme de Jonathan Stryker)
SCENARISTE
Robert Guza Jr.
DISTRIBUTION
John Vernon, Samantha Eggar, Linda Thorson, Anne Ditchburn, Lynne Griffin…
INFOS
Long-métrage canadien
Genre : slasher/thriller psychologique
Durée : 1 h 29
Année(s) de production : 1980 à 1983SYNOPSIS
Samantha Sherwood est une actrice de premier plan et la muse du cinéaste Jonathan Stryker ; pour lui, elle s’apprête à interpréter dans son prochain film le rôle d’une femme démente et tourmentée, Audra, et décide à cette fin de « s’immerger » dans un asile psychiatrique, en se faisant passer pour folle.
Elle comprend finalement que le projet de son Pygmalion est de l’y laisser croupir quand elle apprend que le cinéaste organise une session de casting dans une demeure isolée, avec six autres actrices. Elle ne tarde pas à les y rejoindre, alors qu’une série de meurtres atroces ensanglante la propriété…
On râle aujourd’hui, à juste titre, sur l’inflation de titres horrifiques qui se contentent de surfer sur les gros succès du moment (du torture-porn au found-footage) sans se donner la peine de chercher à renouveler le genre et ses figures, mais la méthode ne date pas d’hier. En 1980, la mode est aux slashers : héritier direct du giallo italien, le genre a deux prototypes prestigieux, à savoir le Black Christmas de Bob Clark (à la fois le premier des slashers mais aussi l’un des plus originaux) et surtout Halloween de John Carpenter, qui lance véritablement la vague (le bijou de Carpenter fut longtemps le film le plus rentable de l’histoire du cinéma indépendant américain).
Les fans de slashers le savent bien : il y a pléthore de titres, mais très peu d’authentiques réussites dans le genre. Même un titre aussi fameux que Massacre au camp d’été (Sleepaway Camp en VO), l’un des plus célèbres fleurons du genre, ne vaut pas tripette à la revoyure, à l’exclusion de sa séquence finale légendaire (si vous l’avez vue, vous vous en souvenez, pas de doute…). Ce constat un peu désolant rend d’autant plus précieux un métrage comme Curtains, d’une ambition finalement peu commune dans le genre… même si sa genèse très compliquée l’empêche un peu de donner la pleine mesure de son potentiel.
C’est le producteur Peter R. Simpson qui initie le projet, sur la base d’un script fort ambitieux du jeune Robert Guza Jr. (qui passera le reste de sa carrière à usiner avec succès du soap-opera à la chaîne). Simpson souhaite réaliser un slasher à destination d’un public adulte, il ne croit pas aux déclinaisons très « teenage » du genre en vogue à ce moment-là. Au poste de réalisateur, il sollicite Richard Ciupka, pour sa première mise en scène, lui qui fut chef-opérateur auprès de cinéastes prestigieux comme Louis Malle ou Claude Chabrol. Le problème, c’est que les deux hommes n’ont absolument pas le même film en tête…
Alors que Ciupka, conscient du potentiel du script de Curtains, souhaite oeuvrer dans le créneau du thriller psychologique à base de manipulations (avec une approche résolument ancrée dans les années 70, fertiles en la matière), Simpson désire quant à lui capitaliser sur le filon du slasher, en se conformant à ses codes déjà très rigides (meurtres à l’arme blanche, tueur masqué effrayant, etc…). La tension est telle entre les deux hommes que les membres du casting sont persuadés que la production n’ira pas à son terme. Et effectivement, après avoir mis en boîte la moitié du métrage, Ciupka décide de claquer la porte. La production est arrêtée pendant une bonne année, mais Simpson, manifestement opiniâtre, décide de relancer la machine en tournant lui-même la fin du film, avec le même casting (valait mieux, en même temps) mais une équipe technique différente (de manière plutôt incongrue, le générique de fin témoigne de cette réalisation en deux temps, avec des crédits « Act I » et des crédits « Act II »). Ainsi, la production s’étalera entre début 1980 et début 1983 ; le film sera plutôt mal reçu et ne marchera finalement pas sur le plan commercial…
Les commentateurs du film n’auront pas manqué de relever cette dichotomie : on a coutume de dire que Curtains ressemble à un collage entre deux films complètement différents, le travail de Ciupka recouvrant grosso modo les 45 premières minutes du film et celui de Simpson les 45 suivantes. On a aussi coutume de dire que le « premier » film est formidable, et le second très mauvais. C’est en fait un peu plus compliqué que ça.
Il est vrai que la première moitié, formidable, constitue la meilleure part du film ; elle n’est pas pour autant exempte de défauts. Il est tout aussi vrai que la deuxième partie n’est pas à la hauteur de cette entame prometteuse, essentiellement du fait de l’inexpérience de Simpson et du manque d’originalité du script (massivement réécrit ; le dénouement est revu, par exemple) à ce stade. Cette seconde partie comprend néanmoins son lot de scènes fortes, comme cette course-poursuite haletante en guise de climax.
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On ne saura jamais à quoi aurait ressemblé Curtains si Ciupka l’avait tourné de A à Z ; en l’état, il ressemble à un prototype de slasher « conscient », auto-réflexif, qui réfléchit à la nature-même du genre (et à ses limites) pour mieux se vautrer, paradoxalement, dans ses propres clichés passée la première moitié.
Curtains a la bonne idée un peu « méta » sur les bords de s’aventurer dans les coulisses de la production d’un film (au stade du casting et des répétitions) pour déployer un discours absolument passionnant sur la nature du cinéma, art de l’artifice par excellence. Ce sont les genres les plus codifiés (et donc les plus « artificiels », d’une certaine manière) qui se prêtent le mieux à ce type de réflexion ; ce n’est pas pour rien que Wes Craven retournera le slasher comme un gant avec Scream pour mener une réflexion du même genre. Mais d’une certaine façon, Curtains est plus intéressant, du moins dans ses prémices.
Les 20 premières minutes du film accumulent ainsi une série de faux-semblants très astucieux : une femme menace son mari infidèle de se servir d’une arme, mais c’est en fait une répétition dans l’enceinte d’un théâtre. Le personnage principal semble péter les plombs et atterrit à l’asile, mais on découvre que c’est en fait une technique de « method actor » à la Strasberg/Stanislavski. On croit assister au premier meurtre du film avec tueur masqué et vue subjective (ultra-caractéristique du genre), mais c’est en fait une jeu de rôle coquin entre deux amants. Dans la foulée, on croit que le film va basculer dans le surnaturel, mais il n’en est rien, car on vient d’assister à une séquence de rêve, elle-même bousculée par un rebondissement violent.
Ces fausses pistes scénaristiques sont évidemment du pain béni pour le réalisateur, qui joue de ce registre « vrai/faux indiscernable » pour amorcer ses scènes : on ne sait jamais si les personnages sont seuls dans telle ou telle séquence ou si la mise en scène ne nous masque pas un protagoniste, par exemple. Ludique, ce ressort infuse d’ailleurs tout le film, même dans sa seconde moitié : on en vient à se poser en permanence des questions sur les motivations des personnages. Telle actrice est-elle vraiment folle, ou joue-t-elle pour convaincre le cinéaste/démiurge du film qu’elle est la mieux placée pour incarner Audra la zinzin ?
A l’aune de cette mise en place étonnante, il est vraiment dommage que la deuxième moitié du métrage ne ressemble plus, à quelques coups de force près, qu’à un slasher lambda, vaguement et gentiment érotique, enchaînant mécaniquement les meurtres plus ou moins sanglants (une tête décapitée à signaler dans les toilettes, quand même). Mais même sur ce plan « pur slasher », Curtains se révèle bien plus abouti que la plupart de ses congénères.
Ainsi, un des meurtres du film est entré dans le panthéon du genre : c’est la fameuse séquence de patinage (la neige joue un rôle important dans le film, expliquant l’isolement des personnages), célèbre auprès des fans. Le look-même du tueur, mi-grotesque mi-dérangeant, frappe les esprits (avec un petit côté La dame rouge tua sept fois, fleuron du giallo réalisé en 1972 par Emilio Miraglia). Il y a aussi cette séquence de course-poursuite finale dans les coulisses d’un théâtre qui utilise avantageusement, et même intelligemment, les multiples accessoires présents (dont les rideaux, évidemment, mais aussi des mannequins parmi lesquels se confondent tueur et victime…), vraiment aboutie alors qu’elle est mise en boîte par l’inexpérimenté producteur/apprenti-réalisateur ; elle est de plus totalement raccord avec la thématique du film, tout comme la chute du film, assez réjouissante et surprenante.
Beaucoup de points forts à l’actif du film donc, au premier rang desquels figure un casting impeccable : dans le rôle du cinéaste odieux et manipulateur, on retrouve la trogne de John Vernon (aussi bien le génial Point Blank de John Boorman qu’une palanquée de rôles télévisuels interchangeables dans les années 80), cabotin à bon escient, et à ses côtés une pléiade de comédiennes plus convaincantes les unes que les autres, à la moyenne d’âge sensiblement plus élevée que dans la majorité des productions du genre. Parmi elles, on relève notamment la présence de Samantha Eggar (Chromosome 3/The Brood de David Cronenberg), qui se montrera très critique à l’égard du résultat final, et Linda Thorson, alias Tara King de Chapeau Melon et Bottes de cuir, appelée pour remplacer l’actrice Céline Lomez, virée au cours de la production chaotique (pour le moins) du film.
Bien sûr, le film n’est pas exempt de défauts : sans même prendre en compte sa trop grande fidélité aux poncifs du genre (surtout dans la deuxième partie, donc), on relèvera quelques incohérences et autres zones d’ombre dans le script, bien trituré en cours de production ceci dit. Quelques astuces de mise en scène ont également un peu vieilli, comme ce gimmick des rideaux qui ouvrent et ferment certains plans : c’est bien vu pour l’ouverture et la conclusion du film (et ça fait sens), mais c’est très cheap en ce qui concerne les autres occurrences.
Du grand bazar que fut la confection de Curtains émerge quand même un slasher plus que convaincant, en fait un des meilleurs de la période (pas avare en navets). En lorgnant vers son ancêtre direct le giallo, avec la figure de la poupée enfantine par exemple mais aussi et surtout à travers cette artificialité assumée (comme chez Bava ou Argento pour citer les maîtres du genre), Curtains se révèle un film inabouti par la force des choses mais passionnant par son ambition ; il n’aura pas usurpé la petite aura de culte qui l’entoure depuis.
Ironiquement, après son départ, Ciupka décide de ne pas signer le film qu’il désavoue évidemment, mais en lieu et place du fameux « Alan Smithee » de rigueur, il opte pour le pseudo de Jonathan Stryker, à savoir le nom du réalisateur à l’intérieur du film. Voilà une petite astuce « méta » de plus qui ne fait que renforcer l’impact du dispositif du film, entre vérités et mensonges…