Pourquoi et comment lit-on les romans-feuilletons ? Quels sont les mécanismes de la narration, les astuces et les « ficelles » dont se sert un auteur pour tenir son lecteur en haleine ? Comment fonctionne l?idéologie de la consolation ? ou comment le héros console le lecteur de ne pas être un surhomme ?Umberto Eco enquête sur le roman populaire et met ses champions à la question. De Rocambole à Monte-Cristo, d?Arsène Lupin à James Bond, de Tarzan à Superman, ce sont les principales figures de la mythologie littéraire contemporaine qui sont examinées à la loupe.Apologie superbe d?un univers romanesque parfois injustement déprécié, De Superman au Surhomme nous révèle de manière exemplaire que « lire facile » ne signifie pas nécessairement « lire idiot ».
Sur les recommandations de Jim, je me suis procuré le recueil de texte de Superman au Surhomme.
Après le premier texte « pleurer pour Jenny », dense, il me semble que poster des commentaires par chapitre peut avoir du sens.
Bonne recommandation de lecture de Jim, qui connait mes inclinaisons pour la lecture structurale des œuvres, puisqu’ Umberto Eco se place dans cette filiation théorique, filiation bien plus intéressantes à mon goût et à mon sens que l’abord ango-saxon de la fiction, du moins celle qui se place à la suite du livre de Campbell « le héros au milles visages ».
Je devrais faire preuve de prudence puisque je n’ai toujours toujours pas lu dans le texte « le héros aux milles visages »; mais hormis une incompréhension majeur entre le livre et ses lecteurs, j’ai pu me faire, grâce à ces derniers, une idée de la thèse de l’auteur.
Campbell a vulgarisé l’idée d’un monomythe, soit une structure par étape d’une histoire, celle du héros soit ce qu’on appelle encore le roman initiatique, histoire qui serait à l’origine de tous les hsitoires ou si ce n’est à l’origine au moins retrouvable dans tous les mythes connus, et structure que Campbell extrait pour ses lecteurs.
Je suis à peu près certain que si l’on devait faire la généalogie de cette affaire de mythe unique, nous tomberions sur les thèses en vogue au début du vingtième siècle, qui croyaient pouvoir affirmer l’existence d’un peuple aryen unique ayant essaimé dans les cultures et responsables donc de tout ce qui en faisait le sel, du moins pour ses laudateurs.
L’histoire du vingtième siècle n’a pas été tendre avec l’héritage de ces théories assez fumeuses. Je peux certes me tromper, mais je vois dans le monomythe de Campbell une même inspiration qui conclue des répétition structurales, une origine commune, ce qui revient en fait à nier le concept de structure lui-même.
Le monomythe du héros, tel que je me le représente par propos rapportés, me parait tout simplement introuvable dans l’histoire des fictions, du moins jusqu’à une date assez récente. Le héros qui relevant un défi intime règle également la question morale du mal, ce n’est pas un mythe et ce n’est pas ancien.
La distinction entre narration antique et moderne est d’ailleurs au cœur du premier texte de l’ouvrage" « Pleurer pour Jenny ». Eco s’interrogeant sur la structure des récits populaires et distinguent deux versions de la structure narrative aristotélicienne, l’une antique et l’autre moderne.
L’antique, nous dit Eco est celle où la catharsis (fin de l’histoire) laisse persister le problème initial. On rejoint ici la thèse Levy-Straussienne du mythe comme mise en scène des impossibles d’une sociétés., Levy-Strauss allant jusqu’à remonter à l’impossible selon lui : celui de l’inceste.
Si pour Eco la structure aristotélicienne du récit est toujours de rigueur, elle connait dans la modernité démocratique une évolution : la catharsis désormais règle le problème.
Eco parle alors de narration dégradée et réformiste mais aussi consolatrice, dégradée par rapport au enjeu du mythe et réformiste parce que consolante et poussant à accepter l’ordre établi, ce qu’il nomme encore les éléments patriarcaux du récit.
Eco classe le roman populaire sous la forme du feuilleton dans cette littérature dégradée et consolatrice, dont il dit par ailleurs qu’elle est sans psychologie, la subjectivité étant placé du coté antique.
A cette coupure théorique, il ajoute deux éléments :
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le roman moderne qui sous l’impulsion de Balzac mais surtout Proust ou encore Joyce renonce à la forme structurelle, rompant ainsi avec le public. Et je rajouterais bien que si l’on cherche la subjectivité, c’est là qu’elle est et non du coté antique.
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La poursuite de la dégradation de la narration lorsque les tropes du feuilleton sont reproduits indépendamment de tout propos consolateur, la fiction se caractérise alors par l absence de référence à une faille dans la société dont l’histoire, par les personnages, montreraient la résolution aboutissant à la réinstauration de l’ordre. Dans cette dernière étape de dégradation, seule subsiste la structure formelle consolatrice d’autant plus séduisante qu’elle tournerait à vide. Histoire gratuite comme celle selon Eco de Fantomas, dont il affirme que c’est précisément la gratuité qui séduisit les surréalistes.
Eco date l’apparition de cette forme ultimement dégradée de la narration et pour ces raisons même follement jouissive, de la fin du 19ème, début vingtième, succédant au feuilleton qu’il date du 18ème.
Pour en revenir à Campbell dont Eco ne parle pas, je ne crois pas faire d’erreur en disant que nous pourrions tout à fait formuler que la forme dégradée du feuilleton au 20ème siècle dont parle Eco est le monomythe dont nous parle Campbell.
Très bon début de lecture que ce « Pleurer pour Jenny ». Les bases d’analyses sont bien posées.
à suivre…
@Jim_Laine ou @Le_Doc, peut être faut il mieux paginer le topic. Je vous laisse faire.