DEVLIN WAUGH (John Smith, collectif / Sean Phillips, collectif)

Je suis en train de découvrir la série Devlin Waugh, parue par tranches dans Judge Dredd Megazine, et je suis ravi et enchanté par le mauvais esprit purement anglais qui s’en dégage.

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J’ai un recueil qui date de quelques années et qui compile les premières apparitions du personnage. Et quel personnage ! Imaginez un peu la tête de Hercule Poirot sur le corps de Charles Atlas, drapé dans des robes de chambre que même Mycroft Holmes jugerait dispendieuses !

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Devlin Waugh est un envoyé du Vatican. En réalité, on dira pudiquement que c’est un espion, et factuellement que c’est un assassin. C’est également un esthète, collectionneur d’éditions rares, d’aquarelles hors de prix, éleveur de chats de race et fin gourmet. Ouvertement homosexuel, il affiche une souriante misanthropie à l’égard de ses prochains, tous ses prochains.

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Le premier récit s’ouvre sur une séance de massages et de soins après une mission visiblement épuisante. Devlin Waugh est contacté par un cardinal qui l’envoie à Aquatraz, une prison sous-marine où sont enfermés les pires criminels (on est dans l’univers de Judge Dredd, à la même époque, même si les Judges et Mega-City One sont à peine évoqués dans ce récit). Dans cette prison, l’un des détenus, visiblement en connexion avec la population de cafards qui s’épanouit dans les entrailles de l’installation, lance une invasion de vampires. Ça va donc castagner.

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Je connais mal le travail de John Smith. À part un épisode de Hellblazer (assez formidable, au demeurant) et la série New Statesmen (tous deux illustrés par Sean Phillips), je crois que je connais rien d’autre. Une grande partie de sa production est britannique et a pour l’instant échappé à mes lectures. Et je ne saurais tarir d’éloges à son propos : son récit est bien mené, équilibré, articulé de manière intéressante, ses dialogues sont ciselés, et surtout il utilise une voix off réellement formidable. Durant l’invasion de vampires, il donne un nom aux personnages (souvent des gardes ou des détenus qui n’apparaissent que sur deux cases) et des anecdotes, ce qui génère un effet de réel bienvenu. Il a le sens de la formule, de la métaphore et de la phrase courte : un peu le meilleur de Neil Gaiman et de Frank Miller en même temps.

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Graphiquement, ce premier récit est peint par Sean Phillips. On l’oublie un peu, mais ce dernier ne manque pas de ressources quand il quitte son noir & blanc. En peinture, il livre une prestation qui se situe quelque part entre Bill Sienkiewicz et Simon Bisley, avec quelque chose de Howard Chaykin aussi. Et c’est vraiment de toute beauté. Le récit passe par plusieurs situations certes convenues mais fructueuses : les survivants barricadés dans une infirmerie, ou devant passer par une zone inondée… Les dialogues et le style visuel se prêtent à chaque fois à ces variations. Une belle réussite.

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Le récit contient également une histoire de quelques pages où Devlin Waugh arrive aux douanes de Mega-City One. Bien entendu, il est repéré par les forces de l’ordre qui délèguent Dredd afin de mener l’enquête. Fouille de son véhicule personnel, et bien entendu… fouille au corps !

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L’entrevue entre Waugh, tout sourire et ironie, et Dredd, incarnation d’une loi d’airain capable de s’adapter quand il s’agit de sanctionner, vaut le détour. Et c’est Dredd qui l’emporte. En effet, Waugh s’est rendu sur le continent américain afin de participer à un concours de chats d’élevage. Et il est arrivé avec un matou reproducteur. Or, dans cette Amérique du futur, encore plus crispée que l’actuelle, les animaux domestiques doivent être identifiés. Dredd impose donc une quarantaine au félin. Et le seul moyen d’éviter la quarantaine, c’est de faire castrer l’animal. Waugh repart donc furieux vers le Vatican, promettant à Dredd qu’il entendra parler de lui. Très drôle.

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La troisième histoire du recueil (illustrée par Siku chez qui les influences de Sienkiewicz et surtout Bisley sont encore plus visibles), que je suis en train de découvrir, commence comme une enquête classique à Mega-City One : des morts mystérieuses de citoyens apparemment sans lien renvoient à des animaux. La section psy soupçonnent un fétiche africain et envoie Dredd en Afrique. Il s’associe à un Juge local au parler étrange. Mais perdus dans la savane, ils sont inopinément rejoints par Devlin Waugh. J’en suis là, ça promet encore une jolie rencontre.

Bref, je me régale à la lecture des aventures décalées de cet esthète décadent mais si drôle. Et j’apprends qu’un troisième recueil (du moins je n’en ai identifié que trois pour l’instant) va sortir en mai prochain. Je vais surveiller.

Jim

Devlin Waugh: Blood Debt

A fresh entry point into the vivid, mindbendingly fast-paced occult-charged world of the Devlin Waugh - everyone’s favourite gay vampire exorcist!

Vatican exorcist, freelance paranormal investigator and altogether dashing rogue, Devlin Waugh is in the business of getting up close and extremely personal with the occult!

This time he’ll have to rescue his debtor brother Freddy from a casino suspended over an unending interdimensional void , save Brit-Cit from a plague of mutagenic nightmare spores, and befriend a possessed demonic dildo, all while negotiating boyfriends ex- and current…

  • Éditeur : 2000 AD (11 mai 2021)
  • Langue : Anglais
  • Broché : 176 pages
  • ISBN-10 : 1781087679
  • ISBN-13 : 978-1781087671
  • Poids de l’article : 505 g
  • Dimensions : 18.75 x 26.04 cm

Ales Kot is one of the few American (in his case Czech-American) comic writers to work for the Galaxy’s Greatest Comic, where he continues to write Devlin Waugh stories. Previously he has written Secret Avengers for Marvel Comics, Suicide Squad for DC Comics, and created his own series published through Image Comics such as Change, Zero and Days of Hate.

Rory McConville is an Irish writer living in London. He has written several series for 2000 AD including Judge Dredd and Department K , and also co-created the historical graphic novel Big Jim: Jim Larkin and the 1913 Lockout . His most recent work includes the graphic novel Write It In Blood for Image Comics.

Having co-created the critically-acclaimed Death Sentence with writer Monty Nero, Michael Dowling has gone on to illustrate several strips for both 2000 AD and the Judge Dredd Megazine , including Tharg’s 3rillers , the third series of Ichabod Azrael, Judge Anderson: Dead End and the infamous Judge Dredd story, Closet .

Ça à l air très très bon ça.

Ah too many things in the world…

Je confirme : c’est assez excellent.
Décalé, insolent, avec des qualités d’écriture (rythme, caractérisation) de premier ordre.

Je découvre que l’édition de « Swimming in Blood » dont j’ai mis les détails en ouverture de sujet contient un sommaire différent de celle que j’ai : l’histoire « The Fetish » n’y est pas reproduite, au profit de deux enquêtes illustrées par Steve Yeowell qui, en les survolant, me donne l’impression de lire une version sous acide des Captain Britain de Delano ou Moore (j’en ai découvert l’existence en découvrant Pussyfoot 5, une autre série de John Smith qui se déroule dans ce Vatican du futur).

Oui, vraiment, il y a plein de choses partout, et c’est assez étonnant à quel point la production anglaise est méconnue par chez nous.

Jim

Ne nous entraîne pas dedans malheureux !

Dans le genre, ça, c est tres bon aussi

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Je traverse une « période anglaise », en ce moment.

Jim

Elle est assez méconnue aux États-Unis aussi, il me semble… Alors qu’ils parlent presque la même langue.

Tori.

Et au final, on connaît surtout les transfuges, et une partie de la tonalité insolente et décalée qu’ils ont insufflée à la BD américaine, notamment au travers du catalogue Vertigo.
Mais le marché anglais est un vivier de séries, de personnages et d’auteurs vraiment passionnants.

Jim

Voilà, on y arrive : toute une collection à faire.

J avais prévenu pourtant

Sans parler de ce qui paraît dans la presse, aussi… J’ai l’impression qu’ils ont (ou ont eu) pas mal de séries qui n’ont pas eu une revue dédiée, mais sont parues dans des journaux ou des magazines (qu’il s’agisse de revues de BD ou de magazines sur un thème particulier).

Tori.

Y a 15-16 ans, dans Londres, je voyais des recueils de séries de 2000AD … Je me suis félicité d’être nul en anglais.

Dur de faire vivre un.patrimoine dans ce cas là.

Peut-être que les anglais eux même ne connaissent pas bien leur bd.

Alors que moi, lors de mon premier séjour en Grande-Bretagne (il y a… Oh, purée, il y a trente-trois ans, déjà !), j’ai rapporté des BD et des jeux vidéo… Bon, les BD, c’était des Astérix, cela dit (mais en anglais, hein).

Bon, après, ça ne veut rien dire : c’est en Écosse que j’ai eu mon premier Dylan Dog (en italien).

Tori.

Alors bon, je ne connais pas bien, mais de ce que je comprends, je pense que c’est un marché qui fonctionne sur un système de prépublication (sans doute partiel) : les séries paraissent en feuilleton dans les magazines, et ont droit à des compilations ensuite. Mais je ne pense pas que ce soit aussi systématique qu’aux États-Unis. Je pense qu’il y a une sorte de système de plébiscite (peut-être par des sondages, ou par le courrier des lecteurs). C’est ce qui ressort de préfaces que j’ai lues ici et là.
Bien entendu, je parle ici du mainstream local. J’imagine qu’il y a une production d’albums directement chez les éditeurs de librairie.

Après, et là encore sans trop savoir, j’ai bien l’impression que le marché presse s’est considérablement réduit. J’identifie 2000 AD et Judge Dredd Megazine, mais je ne sais pas trop quels autres magazines les accompagnent en ce moment. Je ne sais pas trop si Battle continue, je ne crois. Mais il me semble que Commando existe encore.
Dans les années 1970 et 1980, il y avait plein de mags. Scream, Action, Starlord, Pink, Buster… Puis Crisis et d’autres. Quand un mag s’arrêtait, les séries principales immigraient dans le sommaire d’une autre revue plus pérenne. C’est ainsi que 2000 AD a absorbé Starlord à l’arrêt de celui-ci, au point que les deux titres figuraient en couverture, afin de bien prévenir les lecteurs. L’un des transfuges célèbres de Starlord, c’était Johnny Alpha, le héros de la série Strontium Dog.

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Je trouve que la reprise des droits des titres et séries IPC par Rebellion, il y a une vingtaine d’années je dirais, a constitué une bonne nouvelle pour tout ce patrimoine. Non seulement ce gros groupe s’intéresse aux adaptations multimedia, mais il fait vivre le patrimoine en rééditant des choses. Il me semble que les grosses collections « files » (les Case Files pour Judge Dredd, adaptées par Delirium, les Agency Files pour Strontium Dog…), c’est une initiative de Rebellion.
Mais là, c’est des trucs connus, des piliers. Mais Rebellion élargit le truc. Certains titres de Delirium, comme Misty, ont été rendus possibles par le travail d’archivage et de réédition anglais. J’ai vu que The Thirteen Floor, une vieille série d’Alan Grant pour Scream, a été rééditée, alors que c’est méconnu… et vieux. Y a d’autres exemples.
Et même en dehors du catalogue 2000 AD : Rebellion a élargi en rachetant les droits de séries issues de Buster. Marney the Fox, qui va être fait chez Komics Initiative, appartient d’ailleurs à une collection intitulée « Treasury of British Comics ». The Leopard from Lime Street aussi est réédité.
Même si je soupçonne qu’il y a eu des compilations bien avant, j’ai l’impression que le rachat par Rebellion a vraiment formalisé une exploration du patrimoine. Peut-être qu’en Angleterre, il y a un glissement comparable du kiosque vers la librairie, et qu’ils ont l’intelligence de le comprendre et de miser dessus.

Jim

Je ramène toujours un 2000AD quand je foule la terre anglosaxonne. Quelque soit l’île ou la partie de l’île.

Tous ces titres inconnus…

J’ai traduit le guide écrit par Gibbons (et Pilcher), et y a plein d’anecdotes de cette période. Ensuite, quelques recueils contiennent des préfaces ou des commentaires, et on recoupe des infos, à force. J’avais écrit aussi une préface pour le recueil de Commando chez Pierre de Taillac, et donc je m’étais un peu plongé dans le sujet. Et comme toi, j’avais cette réaction : tous ces titres, tous ces trucs à découvrir, un peu comme un gamin dans une confiserie…

Jim

C’est pour ça que j’ai mis « (ou ont eu) »…

J’ai le vague souvenir d’avoir lu de la BD dans le Sun, aussi, mais c’était peut-être de la prépub.

Tori.

Ou de la post-pub, comme on trouve souvent désormais : des séries Dupuis ou Bamboo, qui sont déjà sorties en album, reparaissent dans des quotidiens ou des hebdomadaires régionaux. Par chez moi, La Manche Libre fait paraître un gag de Boule & Bill ou Gaston chaque semaine. Je crois que Ouest-France post-publie des séries à gags l’été (mais peut-être pas toute l’année).

Jim