Je suis en train de découvrir la série Devlin Waugh, parue par tranches dans Judge Dredd Megazine, et je suis ravi et enchanté par le mauvais esprit purement anglais qui s’en dégage.
J’ai un recueil qui date de quelques années et qui compile les premières apparitions du personnage. Et quel personnage ! Imaginez un peu la tête de Hercule Poirot sur le corps de Charles Atlas, drapé dans des robes de chambre que même Mycroft Holmes jugerait dispendieuses !
Devlin Waugh est un envoyé du Vatican. En réalité, on dira pudiquement que c’est un espion, et factuellement que c’est un assassin. C’est également un esthète, collectionneur d’éditions rares, d’aquarelles hors de prix, éleveur de chats de race et fin gourmet. Ouvertement homosexuel, il affiche une souriante misanthropie à l’égard de ses prochains, tous ses prochains.
Le premier récit s’ouvre sur une séance de massages et de soins après une mission visiblement épuisante. Devlin Waugh est contacté par un cardinal qui l’envoie à Aquatraz, une prison sous-marine où sont enfermés les pires criminels (on est dans l’univers de Judge Dredd, à la même époque, même si les Judges et Mega-City One sont à peine évoqués dans ce récit). Dans cette prison, l’un des détenus, visiblement en connexion avec la population de cafards qui s’épanouit dans les entrailles de l’installation, lance une invasion de vampires. Ça va donc castagner.
Je connais mal le travail de John Smith. À part un épisode de Hellblazer (assez formidable, au demeurant) et la série New Statesmen (tous deux illustrés par Sean Phillips), je crois que je connais rien d’autre. Une grande partie de sa production est britannique et a pour l’instant échappé à mes lectures. Et je ne saurais tarir d’éloges à son propos : son récit est bien mené, équilibré, articulé de manière intéressante, ses dialogues sont ciselés, et surtout il utilise une voix off réellement formidable. Durant l’invasion de vampires, il donne un nom aux personnages (souvent des gardes ou des détenus qui n’apparaissent que sur deux cases) et des anecdotes, ce qui génère un effet de réel bienvenu. Il a le sens de la formule, de la métaphore et de la phrase courte : un peu le meilleur de Neil Gaiman et de Frank Miller en même temps.
Graphiquement, ce premier récit est peint par Sean Phillips. On l’oublie un peu, mais ce dernier ne manque pas de ressources quand il quitte son noir & blanc. En peinture, il livre une prestation qui se situe quelque part entre Bill Sienkiewicz et Simon Bisley, avec quelque chose de Howard Chaykin aussi. Et c’est vraiment de toute beauté. Le récit passe par plusieurs situations certes convenues mais fructueuses : les survivants barricadés dans une infirmerie, ou devant passer par une zone inondée… Les dialogues et le style visuel se prêtent à chaque fois à ces variations. Une belle réussite.
Le récit contient également une histoire de quelques pages où Devlin Waugh arrive aux douanes de Mega-City One. Bien entendu, il est repéré par les forces de l’ordre qui délèguent Dredd afin de mener l’enquête. Fouille de son véhicule personnel, et bien entendu… fouille au corps !
L’entrevue entre Waugh, tout sourire et ironie, et Dredd, incarnation d’une loi d’airain capable de s’adapter quand il s’agit de sanctionner, vaut le détour. Et c’est Dredd qui l’emporte. En effet, Waugh s’est rendu sur le continent américain afin de participer à un concours de chats d’élevage. Et il est arrivé avec un matou reproducteur. Or, dans cette Amérique du futur, encore plus crispée que l’actuelle, les animaux domestiques doivent être identifiés. Dredd impose donc une quarantaine au félin. Et le seul moyen d’éviter la quarantaine, c’est de faire castrer l’animal. Waugh repart donc furieux vers le Vatican, promettant à Dredd qu’il entendra parler de lui. Très drôle.
La troisième histoire du recueil (illustrée par Siku chez qui les influences de Sienkiewicz et surtout Bisley sont encore plus visibles), que je suis en train de découvrir, commence comme une enquête classique à Mega-City One : des morts mystérieuses de citoyens apparemment sans lien renvoient à des animaux. La section psy soupçonnent un fétiche africain et envoie Dredd en Afrique. Il s’associe à un Juge local au parler étrange. Mais perdus dans la savane, ils sont inopinément rejoints par Devlin Waugh. J’en suis là, ça promet encore une jolie rencontre.
Bref, je me régale à la lecture des aventures décalées de cet esthète décadent mais si drôle. Et j’apprends qu’un troisième recueil (du moins je n’en ai identifié que trois pour l’instant) va sortir en mai prochain. Je vais surveiller.
Jim