DRONES t.1-2 (Sylvain Runberg / Stéphane Louis)

Discutez de Drones

Ainsi que le titre peut le laisser supposer, le diptyque de Runberg et Louis parle de la déshumanisation de la guerre. Paradoxe, direz-vous, dans le sens où la guerre paraît inhumaine sous toutes ses formes. Mais l’usage des drones a apporté à cette activité humaine une dimension inattendue dans le sens où elle déconnecte le soldat pilotant le drone de la réalité sur laquelle elle agit (*).

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L’action se déroule dans une Europe unifiée en 2037. Les forces armées, sur ordre du gouvernement américain, agissent sur des territoires étrangers (en l’occurrence chinois) où sévissent des extrémistes catholiques revendiquant l’indépendance de leur territoire et la nationalisation de leurs moyens de production. Sur place, les troupes au sol sont soutenues par des drones pilotés depuis une base située en Europe du Nord.

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Au dessin, on retrouve Stéphane Louis. Le dessinateur de Tessa s’y entend à décrire l’action, et il livre des planches assez spectaculaires de combats aériens. De même, il illustre la base militaire et ses environs résidentiels disposés pour les familles des militaires, en y plaçant constamment des automates de surveillance et de protection qui confèrent à cette zone sécurisée l’allure d’une banlieue en état de siège. C’est pas mal du tout. Des décors un poil plus travaillés, notamment afin de restituer l’exotisme et l’éloignement, auraient été les bienvenus, mais dans l’ensemble, il caractérise de manière efficace ses personnages.

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Question scénario, Runberg tente d’éviter le manichéisme en retournant l’image du terrorisme, et en créant une situation où les catholiques constituent la minorité (et une minorité méprisée par la soldatesque, au demeurant). Cela dit, si une scène d’enterrement nous laisse penser que le personnel militaire et civil de la base est de confession protestante, rien n’est indiqué, de sorte que la haine envers l’ennemi n’est étayée par rien de bien précis, et qu’on souffre un peu du manque de contexte.
Ce contexte, en tout cas son versant politique, est mis en valeur par le biais du personnage d’Irène Gomez, une journaliste travaillant pour El Pais et mettant en cause l’interventionnisme de l’Europe sur un territoire dont elle favorise l’instabilité afin d’en tirer les marrons économiques d’un feu social, culturel et identitaire. L’analyse est simple, fait écho à des situations contemporaines (les guerres civiles dans des tas de régions du monde profitent aux marchands d’armes, de béton et de métaux rares), mais là encore, ça reste un peu superficiel, d’autant que les deux interventions de la journaliste se font sur le même mode.

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Dans le même ordre d’idées, le scénario nous invite à suivre trois pilotes de drones, mais une seule d’entre eux est réellement caractérisée : sans étonnement, il s’agit d’une mère de famille, alors que ses deux équipiers sont des célibataires affirmés, volant de conquêtes en rencontres d’un soir. Il aurait été intéressant de consacrer un peu de place à ces deux-là, afin d’avoir un éventail plus large de cas.
L’héroïne, quant à elle, incarne (si je peux dire) la déconnexion du monde réel. Toute à sa mission, elle vit sa vie par procuration. Elle s’éloigne de sa famille, de son époux, de ses enfants, de ses beaux-parents, et représente la déshumanisation.
Dans le second tome, elle est rattrapée par la violence, elle-même nourrie par le chagrin et le deuil. Cette dimension est intéressante, même si elle arrive peut-être un peu tard, et de manière trop abrupte. La dernière scène est percutante, et redonne de l’épaisseur à un récit qui a le courage d’aborder un sujet poignant et la maladresse de ne pas creuser la question.

Jim

(*) on renverra les gens curieux à l’ouvrage de Grégoire Chamayou, Théorie du drone, aux éditions La Fabrique.

Merci, œil de lynx : je fais souvent la faute, encore en écrivant ce message, mais j’ai songé à corriger. Mais pas à regarder le titre.

Jim

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