Discutez de E-dad
Beb-Deum décore la gare d’Austerlitz :
Jim
Une petite fille qui n’arrive pas à dormir appelle Monsieur Papa, un grand bonhomme à la peau noire qui lui raconte des histoires à base d’ombres chinoises et joue les méchants ogres afin qu’elle s’endorme.
Tel est le postulat de l’album E-dad, qui prend le contre-pied de Little Nemo (une gamine qui ne veut pas dormir à la place d’un gamin qui se réveille toujours trop tard), qui parle de la présence des écrans dans la vie des tout petits, mais aussi, plus profondément, qui réinvestit l’imaginaire des contes en présentant les rapports amour / haine et attirance / répulsion entre la jeune enfant et son ogre enchanteur. L’album est composé de plusieurs histoires courtes, lettrées en gros caractères, qui se lisent donc très vite. Le graphisme de Beb-Deum, que je connais somme toute fort mal, évoque les formes rondes et artificielles, aux surfaces couvertes d’effets de matière irréls, d’un Fred Beltran.
Si les histoires convoquent les figures traditionnelles (l’ogre, les loups, le géant, les cieux, l’envol, les métamorphoses…), en jouant de références (par exemple, la fillette change de nom régulièrement, et dans l’un des épisodes elle est surnommée, à chaque évocation, d’un nom d’étoile différent…), elles renouent aussi avec le caractère effrayant, dérangeant et subversif des contes, dont on sait qu’à l’origine ils sont très cruels et très sexuels. Beb-Deum fait bouger le corps lustré et idéalisé de Monsieur Papa, quitte à le découper afin qu’il puisse littéralement prêter son bras à la gamine, et injecte une dose de sensualité évidente à ces évocations. Il fait naviguer ses histoires courtes entre érotisme et dévoration, s’inscrivant dans une tradition allant de la mythologie au bestiaire médiéval et au-delà.
L’album est sorti en 2000. On se prend à se demander comment il serait accueilli aujourd’hui, à la lumière de l’affaire Vivès, alors qu’ici l’auteur présente une gamine en culotte et chaussette, qui refuse de dormir et s’embarque dans un monde fantasmé tournant autour d’un homme quasi statuaire.
Jim