J’avais prévu de causer de Jim Mooney, mais l’inspiration m’est plutôt venue avec Tom Palmer. Donc hop, petit détour par la série Avengers.
Avengers #50, par John Buscema (tout seul comme un grand).
Avant toute chose, je propose de nous arrêter sur le travail de John Buscema. Il se trouve que ce dernier s’est encré une ou deux fois sur la série (notamment les épisodes 49 et 50). On voit quelques trucs qui reviennent souvent dans son encrage (sur plusieurs décennies) : il ne ferme pas toutes les formes, il ne varie pas à outrance l’épaisseur de son trait, il aime beaucoup les modelés et les drapés qu’il traite avec des hachures courbes, mais on voit qu’il y a des choses qui ne l’intéresse pas (le sol, à peine esquissé à gros traits si j’ose dire, la chevelure de la blonde, qu’il semble bâcler…).
Avengers #59, par John Buscema, encré par George Klein
Sur la série, on lui colle parfois des encreurs qui ne lui conviennent pas (genre… Vince Colletta, mais George Tuska, même si ça reste sympa, ne parvient pas à donner à Buscema sa force, comme si deux personnalités ramaient dans des directions opposées), mais dans l’ensemble, le résultat est plutôt pas mal avec des gens comme George Klein, qui conserve son énergie, ses modelés, ses ombres, mais ferme beaucoup plus les traits et recourt à des cernés plus épais. Cela dit, il reste fidèle à ce que Buscema propose.
Maintenant qu’on comprend tout ça, passons à Tom Palmer.
Avengers #75, par John Buscema.
Maintenant qu’on a identifié un peu la personnalité visuelle de l’encrage attaché à Buscema à l’époque, regardons un peu de près ce que Tom Palmer en fait. On retrouve une certaine finesse pour les premiers plans (la main de Jarvis), mais on note qu’il ferme les traits dans la lignée de Klein. Il utilise des aplats plus marqués. Plus intéressant, il colle des trames (sur les phalanges masquées par la manette, sur les écrans…), petite astuce qu’il a empruntée, de son propre aveu, à Wally Wood. On note aussi qu’il n’hésite pas à tracer des zones d’ombres au milieu des formes afin de ménager de la place pour une contre-lumière (le bras droit de Jarvis, en retrait). Bref, il y a tout Buscema, mais les matières sont plus présentes, plus lourdes, plus marquées. On sent une volonté de restituer la lumière de manière tridimensionnelle, réaliste.
Avengers #93, par Neal Adams.
En 1971, Palmer a vingt-neuf ans, et il encre depuis cinq ans chez Marvel, travaillant sur des planches de gens comme Buscema, Adams, ou Colan (un peu le gratin, quoi). Il cherche une approche réaliste, comme je le dis plus haut, et il va en trouver avec Adams, dont il connaît le style grâce aux épisodes de X-Men. Son trait fort et épais se marie très bien avec les ombres que le dessinateur place partout. Palmer rajoute des trames, notamment sur les parties métalliques (les zones dorées de l’armure d’Iron Man, le sol, ou, quelques pages plus loin, le bouclier de Captain America). Il s’en sert aussi parfois en découpant des trames en formes arrondies afin qu’elles épousent les reliefs des surfaces.
Avengers #96, par Neal Adams.
Juste pour le plaisir des yeux, une pleine page qui donne un peu une idée de l’influence des épisodes d’Adams sur des gens comme John Byrne. Le caractère brillant des surfaces métalliques et l’arrondi presque organique des appareils mis en scène annoncent déjà ce qu’on verra sur les vaisseaux Shi’Ars ou sur le Blackbird dans les épisodes d’Uncanny X-Men. Après, c’est pas tout à fait étonnant quand on sait que Terry Austin a été formé par Dick Giordano, autre encreur légendaire de Neal Adams.
Avengers #97, par John Buscema.
Tom Palmer commence sérieusement à trouver ses marques, comme le prouve le travail sur cet épisode, où il renoue avec Buscema. On voit bien qu’il y a une évolution par rapport à ce qu’ils produisaient quelques mois ou années auparavant. Les traits sont plus épais, les drapés sont plus spontanés, on dirait bien qu’il a acquis des automatismes, et sans doute une certaine confiance.
Avengers #255, par John Buscema.
Sautons en 1985 quand Buscema revient sur le titre auprès du scénariste Roger Stern. De mémoire, je crois que c’est à la demande du dessinateur que Palmer rejoint l’équipe, mais je me trompe peut-être. Bref, Buscema est bien content parce qu’il sait qu’il dispose d’un encreur qui est aussi un « finisseur », un « embellisseur », un gars qui pourra compléter un dessin esquissé. Sur les tout premiers épisodes, ça ne se sent pas, mais rapidement, on sentira un certain relâchement. Là, on voit que le trait de Palmer est plus épais, qu’il n’économise pas l’encre. Les drapés sont riches, il place des aplats noirs, il donne de la matière à tout. On sent le pinceau qui domine, donnant un caractère rond et organique à plein de choses.
Avengers #275, par John Buscema.
Hop, des trames dans les décors, des drapés sur les vêtements, beaucoup de mouvement partout. Le trait est gras, épais. J’aime beaucoup, mais ça ne plaît pas à tout le monde. Ici, on sent que Buscema est en mode automatique, certains visages ne sont pas de son crû, l’infirmière à droite semble de la plume de Palmer.
Avengers #295, par John Buscema.
Je vous la mets parce qu’il y a une anecdote amusante sur cet épisode : quand Simonson l’écrit, il précise que les dinosaures sont robotiques. Information que Buscema oublie en route, et il dessine de vrais dinosaures. Quand les planches arrivent chez Gruenwald, c’est la panique, et ils demandent en catastrophe à Palmer de redessiner les bestioles dans leur version « automate ». Comme quoi, Buscema avait raison de faire confiance à Palmer !
Avengers #303, par Rich Buckler.
Palmer a la patte un peu lourde, les drapés sont nombreux et denses. Est-ce qu’il compense les crayonnés, qu’il juge faibles ?
Avengers #305, par Paul Ryan.
On reconnaît mieux Ryan sous l’encrage de Palmer : on peut imaginer que les crayonnés soient plus détaillés. Cela dit, c’est l’époque où Palmer ajoute des petites hachures à son arsenal, qu’il dispense parfois sur les visages. Cet ajout lui permettra de négocier le virage « post-Image », notamment sur Epting (Avengers) ou Garney (Nightstalkers).
Avengers #336, par Steve Epting.
Le contact entre Palmer et Epting est un peu hésitant. Des hachures, quelques traits pas toujours fermés, des effets de brume qui rappelleraient presque le travail d’Al Williamson, bref, Palmer n’est pas toujours bien reconnaissable… Epting est encore assez jeune, il a illustré Hammer of God chez First Comics, mais là, il se frotte à la grosse machine qu’est Marvel et sa première saga n’est pas encore à la hauteur de ce qu’il fera plus tard. Mais cette première aventure permettra au tandem de se connaître et d’apprendre à fonctionner ensemble.
Avengers #343, par Steve Epting.
Quelques mois plus tard, tout est installé, le dessinateur et l’encreur s’accordent, et on est parti pour une période exceptionnelle du titre. Des masses d’ombre épaisses, des traits de contours, des contre-lumières… Et justement, que remarque-t-on, discrètement énoncé dans les crédits ? Palmer assure aussi les couleurs. Il recourt à une astuce que ses collègues n’osent pas souvent, à savoir dégager une zone de forte lumière, et n’y mettre aucune couleur : c’est le blanc du papier qui matérialise la clarté, délimitée par le contour et par le trait épais à l’intérieur de la forme. On le remarque sur la hanche de Crystal, sur le front de Lockjaw, accessoirement sur l’épaule de Thor. Un effet qu’on ne retrouvera pas, en tout cas pas avec la même fréquence, quand John Kalisz reprendra le poste de coloriste.
Avengers #378, par Stewart Johnson.
Le trait est un peu chargé, là encore une grande générosité en encre. On notera les petits retours de blanc dans les traits de la pluie (je pense qu’il les fait à l’encre acrylique blanche, là où Romita père ou Heck (ou d’autres) utilisaient une lame afin de gratter le papier et d’enlever des petits morceaux… Ici, les touches sont trop nettes).
On remarque aussi des contre-lumières (sur le casque du Swordsman, par exemple), mais Kalisz décide d’y placer une couleur.
Avengers #380, par Mike Deodato.
Avec ce dessinateur en vogue, Palmer parvient à répondre aux exigences « modernes », intégrant pas mal de hachures à l’image de ce que propose Scott Williams. Sauf qu’il arrondit plein de choses. Au point que l’influence de Neal Adams ressorte à fond (on dirait presque du Adams contemporain, avec ses qualités et ses défauts). Dans d’autres séquences, Deodato affiche une approche photographique à laquelle Palmer se plie sans souci.
Cette longue prestation sur Avengers marque aussi la disparition progressive des trames, notamment durant la période Epting. Bientôt, Palmer se contente de son pinceau, de sa plume et de son encre, sans collages (ou en tout cas beaucoup moins qu’avant). La tendance se confirmera, et selon moi son travail y perd beaucoup, car c’était, comme chez Janson, le mélange des techniques qui en faisait la force.
Avengers #400, par Mike Wieringo.
Le choc des cultures : l’encrage réaliste de Palmer, qui convient parfaitement à une approche photographique du dessin, et le trait cartoony de Wieringo, qui demande un traitement plus sobre, plus épuré. Et pourtant, la rencontre est plutôt réussie, Palmer parvenant à trouver la rondeur qu’il faut, et respectant de près les crayonnés.
Jim