ENCREUR, PLUS QU'UN MÉTIER

Le rôle de l’encreur, chez Marvel, a longtemps été associé à un marquage visuel des séries. On pense bien évidemment à Joe Sinnott sur Fantastic Four, qui a encré la série sur Kirby, Buscema, Buckler, Pérez, Pollard et même Byrne (et qui est revenu sur Buscema et Pollard du temps de la période Englehart). On peut également citer Jim Mooney, qui a été durablement associé au Tisseur de Toile sur Amazing, sur Spectacular (où il a aussi assuré le dessin), voire sur les premières années de Marvel Team-Up. Plus récemment, Dan Green, pour X-Men (sur Romita Jr et Silvestri) ou Tom Palmer pour Avengers (sur Buscema, Buckler, Ryan, Epting et Deodato), ont servi à conserver l’identité graphique de la série en dépit des changements d’équipe. On peut songer aussi à José Marzan Jr qui a encré plus de 110 épisodes de Flash, sur Greg Larocque, Mike Wieringo, Carlos Pacheco, Oscar Jimenez, Paul Ryan, Paul Pelletier…
Il y a même des encreurs qui occupaient une fonction voisine de celle d’un directeur artistique, payés pour conférer aux planches un look maison, pour intégrer les nouveaux venus dans une sorte de charte graphique. Vince Colletta occupait ce genre de fonctions chez DC au milieu des années 1970. D’une certaine manière, Joe Rubinstein (qui en plus a formé quelques encreurs reprenant certains de ses tics) a tenu une position comparable, encrant souvent de nouveaux venus, assurant à lui seul l’encrage de toutes les fiches du Marvel from A to Z (sur des gens aussi divers que John Byrne, Frank Miller, Mike Zeck…).
Depuis lors, le rôle de l’encreur a évolué. D’une part, il est revenu à son rôle d’embellisseur au sein d’une équipe graphique (l’association Jim Lee / Scott Williams n’est jamais qu’une version moderne de celle entre Ross Andru et Mike Esposito dans les années 1950 à 1970, par exemple).
Et la fonction d’unité graphique, elle est passée aujourd’hui au coloriste, à l’exemple d’un Paul Mounts qui a bien dû faire une dizaine d’années sur Fantastic Four (de Waid à Robinson, je dirais…).

Jim

Très intéressant !

Si tu pouvais développer ça exemples visuels à l’appui (sur l’effet d’unité graphique par l’encrage), j’applaudirais des deux mains, mais en l’état ça ouvre déjà une fenêtre tout à fait passionnante.

Ça va se faire morceau par morceau, alors…

Jim

Bon, allez, j’ai quelques minutes avant que la faim l’emporte…
Donc commençons par le commencement.

Fantastic Four #54, par Kirby.

J’attire l’attention par exemple sur le traitement du tapis, constitué de petites virgules (à défaut d’un autre terme), qui désignent peu ou prou la matière. C’est typiquement sinnotien.

Fantastic Four #69, par Kirby.

Un autre truc très reconnaissable de Sinnott (au point que ça peut devenir l’indice que l’on cherche si l’on veut identifier son travail) c’est son traitement de la matière minérale. Sur les briques, on remarque des successions de trois ou quatre points, parfois étirés à la manière d’une virgule, et qui représentent les bosses et les rugosités de la pierre. Sur la gauche, à la hauteur de la corniche, on remarque un tel dispositif, complété par un trait courbe plus long, là encore typique de l’encreur. On remarquera aussi une netteté qui a fait sa légende, mais également le fait qu’il procède de plus en plus au trait, avec quelques petites masse de noir (sur le mollet et la cheville de Reed, sur les creux des débris de mur), et qu’il vire les hachures, auxquelles il recourait encore de temps en temps, deux ans avant.

Fantastic Four #110, par John Buscema.

Maintenant que vous savez, vous pouvez repérer les petits tics visuels de Sinnott, sur les rochers, par exemple. De même, il recourt à des masses noires pour les volumes des muscles, mais cette fois-ci sur un dessin plus académique, où l’anatomie est moins géométrique.

Fantastic Four #158, par Rich Buckler.

Encore les petites virgules matérialisant le grain du goudron. Remarquons que les hachures sont parcimonieusement réduites à l’ombre sur les phalanges de Ben (je ne compte pas celles qui dénotent les reflets sur les vitres, et qui procèdent d’une autre logique). J’attire aussi l’attention sur les traits de cerné pour les contours des silhouettes (hanche et jambe d’Alicia, cuisse de Ben), qui font fi de la réalité des vêtements et s’attachent surtout à décrire le mouvement ou la massivité d’un corps.

Fantastic Four #179, par Ron Wilson.

Bon, les craquelures sur les rochers, les traits de contours des corps (rehaussés ici par des hachures arrondies pour le modelé des muscles). Wilson a rarement été aussi bien servi (même s’il a eu de très chouettes encreurs sur Two-in-One). On notera aussi les « Kirby Dots » ou « Kirby Kracles », pour lesquels Sinnott faisait preuve d’un soin tout particulier, représentant des ronds presque parfait d’un noir impeccable, là où d’autre varient la forme et la texture.

Fantastic Four #182, par Sal Buscema.

Sans doute à la suite des crayonnés de Sal Buscema, les « Kirby Kracles » sont plus oblongs. Remarquons aussi le code graphique de la matière minérale qui sert ici à renforcer les traits d’impact, comme si la matière cédait sous le coup de poing.

Fantastic Four #188, par George Pérez.

Des « Kirby Kracles » (avec quelques variations autour de la baguette du Molecule Man), des traits de contours épais, le code classique pour le minéral…

Fantastic Four #199, par Keith Pollard.

Maintenant, le style est reconnaissable, non ?

Fantastic Four #207, par Sal Buscema.

Bon, vous connaissez la chanson, hein !

Fantastic Four #210, par John Byrne.

Le style détaillé du dessinateur se marie assez bien avec la minutie de l’encreur, même si on perd en rondeur. Sinnott n’est pas son meilleur « embellisseur », mais la rencontre est intéressant, à mes yeux.

Fantastic Four #219, par Bill Sienkiewicz.

En revanche, je suis moins emballé par le mariage entre le style de Sienkiewicz, encore fortement influencé par Neal Adams, et celui de Sinnott, trop propre (mais Sinnott et Adams, ça n’avait pas formidablement marché non plus, sur Thor). Cela étant dit, l’encreur se trouve à traiter des choses différemment, à « sortir de sa zone de confort », dirions-nous aujourd’hui, comme le prouvent les éclairages contrastés que l’on trouve dans cette planche. Notons aussi une astuce que j’ai toujours aimée, à savoir traiter les reflets du carrelage par des traits verticaux puis revenir dessus à l’aide de coups de blanc.

Voilà pour un petit tour d’horizon de Sinnott comme gardien du temple de Fantastic Four.

Ce soir ou demain, je tenterai de faire pareil à propos de Jim Mooney.

Jim

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D’ailleurs le duo Kirby/Sinnott fonctionnait déjà très bien lors des débuts de Fatalis.

6

8

J’avais promis des applaudissements, et ça les vaut. :yum:

Autant si on avait sauté directement de Kirby à Sienkiewicz je n’aurais pas forcément vu le rapport, autant en suivant pas à pas, avec les détails que tu pointes, ça en devient assez bluffant.

J’attends la prochaine leçon maintenant !

Plus difficile à déceler Sinnott (par rapport aux exemples de Jim). Cependant, le visage de Johnny sur la 1ère case laisse entrevoir le style en devenir (les bouches sont assez spécifiques chez Sinnott)

Zactement. Le visage de Reed et l’arrondi parfait de la mâchoire sont également révélateurs.

Jim

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J’avais prévu de causer de Jim Mooney, mais l’inspiration m’est plutôt venue avec Tom Palmer. Donc hop, petit détour par la série Avengers.

Avengers #50, par John Buscema (tout seul comme un grand).

Avant toute chose, je propose de nous arrêter sur le travail de John Buscema. Il se trouve que ce dernier s’est encré une ou deux fois sur la série (notamment les épisodes 49 et 50). On voit quelques trucs qui reviennent souvent dans son encrage (sur plusieurs décennies) : il ne ferme pas toutes les formes, il ne varie pas à outrance l’épaisseur de son trait, il aime beaucoup les modelés et les drapés qu’il traite avec des hachures courbes, mais on voit qu’il y a des choses qui ne l’intéresse pas (le sol, à peine esquissé à gros traits si j’ose dire, la chevelure de la blonde, qu’il semble bâcler…).

Avengers #59, par John Buscema, encré par George Klein

Sur la série, on lui colle parfois des encreurs qui ne lui conviennent pas (genre… Vince Colletta, mais George Tuska, même si ça reste sympa, ne parvient pas à donner à Buscema sa force, comme si deux personnalités ramaient dans des directions opposées), mais dans l’ensemble, le résultat est plutôt pas mal avec des gens comme George Klein, qui conserve son énergie, ses modelés, ses ombres, mais ferme beaucoup plus les traits et recourt à des cernés plus épais. Cela dit, il reste fidèle à ce que Buscema propose.
Maintenant qu’on comprend tout ça, passons à Tom Palmer.

Avengers #75, par John Buscema.

Maintenant qu’on a identifié un peu la personnalité visuelle de l’encrage attaché à Buscema à l’époque, regardons un peu de près ce que Tom Palmer en fait. On retrouve une certaine finesse pour les premiers plans (la main de Jarvis), mais on note qu’il ferme les traits dans la lignée de Klein. Il utilise des aplats plus marqués. Plus intéressant, il colle des trames (sur les phalanges masquées par la manette, sur les écrans…), petite astuce qu’il a empruntée, de son propre aveu, à Wally Wood. On note aussi qu’il n’hésite pas à tracer des zones d’ombres au milieu des formes afin de ménager de la place pour une contre-lumière (le bras droit de Jarvis, en retrait). Bref, il y a tout Buscema, mais les matières sont plus présentes, plus lourdes, plus marquées. On sent une volonté de restituer la lumière de manière tridimensionnelle, réaliste.

Avengers #93, par Neal Adams.

En 1971, Palmer a vingt-neuf ans, et il encre depuis cinq ans chez Marvel, travaillant sur des planches de gens comme Buscema, Adams, ou Colan (un peu le gratin, quoi). Il cherche une approche réaliste, comme je le dis plus haut, et il va en trouver avec Adams, dont il connaît le style grâce aux épisodes de X-Men. Son trait fort et épais se marie très bien avec les ombres que le dessinateur place partout. Palmer rajoute des trames, notamment sur les parties métalliques (les zones dorées de l’armure d’Iron Man, le sol, ou, quelques pages plus loin, le bouclier de Captain America). Il s’en sert aussi parfois en découpant des trames en formes arrondies afin qu’elles épousent les reliefs des surfaces.

Avengers #96, par Neal Adams.

Juste pour le plaisir des yeux, une pleine page qui donne un peu une idée de l’influence des épisodes d’Adams sur des gens comme John Byrne. Le caractère brillant des surfaces métalliques et l’arrondi presque organique des appareils mis en scène annoncent déjà ce qu’on verra sur les vaisseaux Shi’Ars ou sur le Blackbird dans les épisodes d’Uncanny X-Men. Après, c’est pas tout à fait étonnant quand on sait que Terry Austin a été formé par Dick Giordano, autre encreur légendaire de Neal Adams.

Avengers #97, par John Buscema.

Tom Palmer commence sérieusement à trouver ses marques, comme le prouve le travail sur cet épisode, où il renoue avec Buscema. On voit bien qu’il y a une évolution par rapport à ce qu’ils produisaient quelques mois ou années auparavant. Les traits sont plus épais, les drapés sont plus spontanés, on dirait bien qu’il a acquis des automatismes, et sans doute une certaine confiance.

Avengers #255, par John Buscema.

Sautons en 1985 quand Buscema revient sur le titre auprès du scénariste Roger Stern. De mémoire, je crois que c’est à la demande du dessinateur que Palmer rejoint l’équipe, mais je me trompe peut-être. Bref, Buscema est bien content parce qu’il sait qu’il dispose d’un encreur qui est aussi un « finisseur », un « embellisseur », un gars qui pourra compléter un dessin esquissé. Sur les tout premiers épisodes, ça ne se sent pas, mais rapidement, on sentira un certain relâchement. Là, on voit que le trait de Palmer est plus épais, qu’il n’économise pas l’encre. Les drapés sont riches, il place des aplats noirs, il donne de la matière à tout. On sent le pinceau qui domine, donnant un caractère rond et organique à plein de choses.

Avengers #275, par John Buscema.

Hop, des trames dans les décors, des drapés sur les vêtements, beaucoup de mouvement partout. Le trait est gras, épais. J’aime beaucoup, mais ça ne plaît pas à tout le monde. Ici, on sent que Buscema est en mode automatique, certains visages ne sont pas de son crû, l’infirmière à droite semble de la plume de Palmer.

Avengers #295, par John Buscema.

Je vous la mets parce qu’il y a une anecdote amusante sur cet épisode : quand Simonson l’écrit, il précise que les dinosaures sont robotiques. Information que Buscema oublie en route, et il dessine de vrais dinosaures. Quand les planches arrivent chez Gruenwald, c’est la panique, et ils demandent en catastrophe à Palmer de redessiner les bestioles dans leur version « automate ». Comme quoi, Buscema avait raison de faire confiance à Palmer !

Avengers #303, par Rich Buckler.

Palmer a la patte un peu lourde, les drapés sont nombreux et denses. Est-ce qu’il compense les crayonnés, qu’il juge faibles ?

Avengers #305, par Paul Ryan.

On reconnaît mieux Ryan sous l’encrage de Palmer : on peut imaginer que les crayonnés soient plus détaillés. Cela dit, c’est l’époque où Palmer ajoute des petites hachures à son arsenal, qu’il dispense parfois sur les visages. Cet ajout lui permettra de négocier le virage « post-Image », notamment sur Epting (Avengers) ou Garney (Nightstalkers).

Avengers #336, par Steve Epting.

Le contact entre Palmer et Epting est un peu hésitant. Des hachures, quelques traits pas toujours fermés, des effets de brume qui rappelleraient presque le travail d’Al Williamson, bref, Palmer n’est pas toujours bien reconnaissable… Epting est encore assez jeune, il a illustré Hammer of God chez First Comics, mais là, il se frotte à la grosse machine qu’est Marvel et sa première saga n’est pas encore à la hauteur de ce qu’il fera plus tard. Mais cette première aventure permettra au tandem de se connaître et d’apprendre à fonctionner ensemble.

Avengers #343, par Steve Epting.

Quelques mois plus tard, tout est installé, le dessinateur et l’encreur s’accordent, et on est parti pour une période exceptionnelle du titre. Des masses d’ombre épaisses, des traits de contours, des contre-lumières… Et justement, que remarque-t-on, discrètement énoncé dans les crédits ? Palmer assure aussi les couleurs. Il recourt à une astuce que ses collègues n’osent pas souvent, à savoir dégager une zone de forte lumière, et n’y mettre aucune couleur : c’est le blanc du papier qui matérialise la clarté, délimitée par le contour et par le trait épais à l’intérieur de la forme. On le remarque sur la hanche de Crystal, sur le front de Lockjaw, accessoirement sur l’épaule de Thor. Un effet qu’on ne retrouvera pas, en tout cas pas avec la même fréquence, quand John Kalisz reprendra le poste de coloriste.

Avengers #378, par Stewart Johnson.

Le trait est un peu chargé, là encore une grande générosité en encre. On notera les petits retours de blanc dans les traits de la pluie (je pense qu’il les fait à l’encre acrylique blanche, là où Romita père ou Heck (ou d’autres) utilisaient une lame afin de gratter le papier et d’enlever des petits morceaux… Ici, les touches sont trop nettes).
On remarque aussi des contre-lumières (sur le casque du Swordsman, par exemple), mais Kalisz décide d’y placer une couleur.

Avengers #380, par Mike Deodato.

Avec ce dessinateur en vogue, Palmer parvient à répondre aux exigences « modernes », intégrant pas mal de hachures à l’image de ce que propose Scott Williams. Sauf qu’il arrondit plein de choses. Au point que l’influence de Neal Adams ressorte à fond (on dirait presque du Adams contemporain, avec ses qualités et ses défauts). Dans d’autres séquences, Deodato affiche une approche photographique à laquelle Palmer se plie sans souci.
Cette longue prestation sur Avengers marque aussi la disparition progressive des trames, notamment durant la période Epting. Bientôt, Palmer se contente de son pinceau, de sa plume et de son encre, sans collages (ou en tout cas beaucoup moins qu’avant). La tendance se confirmera, et selon moi son travail y perd beaucoup, car c’était, comme chez Janson, le mélange des techniques qui en faisait la force.

Avengers #400, par Mike Wieringo.

Le choc des cultures : l’encrage réaliste de Palmer, qui convient parfaitement à une approche photographique du dessin, et le trait cartoony de Wieringo, qui demande un traitement plus sobre, plus épuré. Et pourtant, la rencontre est plutôt réussie, Palmer parvenant à trouver la rondeur qu’il faut, et respectant de près les crayonnés.

Jim

2 « J'aime »

Jean-Marc, tu veux pas faire un bouquin sur ces articles, là ?

Quand tu m’appelles comme ça, c’est que tu as quelque chose à demander.

Non.
Quitte à être lu par trois pelés et deux tondus, autant faire ça sur un forum où personne ne viendra m’enquiquiner sur l’emploi de la virgule.

Jim

T’as vu quand je prends mon air sérieux ? ça fait bizarre, hein ?!

1 tondu, déjà.

Palmer à d’ailleurs encré Andy Kubert juste avant la reprise du titre par Epting.

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J’en discutais justement hier avec mon camarade de jeu sur Comics Oddities. Pour les besoins d’un « projet », il m’a conseillé de jeter un œil sur le Palmer coloriste. Je viens de découvrir des planches de Kull le Conquérant par le tandem Buscema/Janson, où la mise en couleur est phénoménale. Bref… Tout ça pour dire que nous échangions sur les Vengeurs de Bob Harras, et que c’était une excellente période. Si beaucoup préfère le dessinateur sur Captain America, je trouve le duo Epting/Palmer extraordinaire. C’est dynamique, plein d’énergie, l’expérience de l’encreur soutient un dessinateur qui mise avant tout sur l’efficacité et la puissance.
Cette période du titre qui a souvent été critiquée (à cause d’une approche 90’s bien appuyée) est pourtant ultra-efficace et s’avère passionnante jusqu’au départ d’Epting.

1 « J'aime »

Entièrement d’accord.
J’avais évoqué le travail d’Epting sur Marvel Universe, où il est encré par Al Williamson (le résultat donnant quelque chose de voisin à Lee Weeks), et je dois avouer que jusqu’à Captain America, j’aimais énormément. À partir de cette série, il s’est orienté vers quelque chose de plus réaliste, de plus photographique, et de plus raide. C’est joli, mais ça manque d’énergie.

Je crois que le tournant, c’est son passage sur Superman, où il commence à montrer des choses plus posées. Il a aussi des encreurs qui ne savent pas tirer profit des rictus de ses personnages, là où Palmer savait rééquilibrer les défauts physiques (genre, les nez trop pointus, les sourires sans lèvres…).
Enfin, au sujet de la puissance, Epting parvient à tirer le meilleur de la proposition de Jim Lee (jolis nanas, mecs en mouvement, hachures partout…). Dès les épisodes où le Swodsman revient, on sent cette influence, qui devient palpable et évidente dans le cross-over « Bloodties » et jusqu’à la fin de la période Epting. À cette époque, le dessinateur a l’énergie d’un Andy Kubert, avec une base de dessin plus académique. Le tout pour un résultat de très haut niveau.

Jim

Je me permets de revenir sur Palmer, et sur sa collaboration avec John Buscema. Je les ai découverts sur les Avengers de Stern. Surtout sur l’épisode qui conclu les Guerres Secrètes II.
Mais là où j’ai porté beaucoup d’attention à l’encreur, c’est quand j’ai comparé les différents travaux de Buscema, et que j’ai remarqué que sur les Vengeurs, il y avait un sentiment de réalisme qui se dégageait des visages de différents personnages.

Voici les visages qui me marquèrent, et qui me poussèrent à comprendre pourquoi !

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Je les trouvais très expressifs, et très réalistes !

Avec le temps, c’est l’encrage « gras », plein d’ombres et de courbes qui faisaient la différence. Il n’y a qu’à comparer l’encrage de Palmer à celui de Chic Stone sur le Thor Ragnarok pour remarquer le monde qui sépare les 2 encreurs !
Mais on peut comparer un même personnage, dessiné par un même dessinateur (Byrne) et comparer l’approche de Palmer et de Byrne lui-même.

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On peut noter comment Palmer donne du volume aux personnages, et utilise une technique que l’on peut retrouver chez unnJoe Rubinstein ou un Brett Breeding : les trames ou l’utilisation de traits verticaux

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Ou encore l’utilisation de la couleur et du blanc décrits par Jim plus haut.

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Le #266.
Qui forme un diptyque avec le précédent.

Et dont je ne garde absolument aucun souvenir, alors que je viens de jeter un œil aux planches, et que je me rends compte qu’il est magnifique.
Faut que je relise ça !

Jim

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C’est bon, j’ai réussi à avoir un rendez-vous chez mon coiffeur depuis la fin du confinement. :yum:

Allez, hop, un petit tour du côté de Jim Mooney.
Petit rappel historique : quand Steve Ditko quitte Amazing Spider-Man, c’est John Romita (pas encore estampillé « senior ») qui reprend le dessin, tentant d’imiter le style de son prédécesseur avant de comprendre qu’il est ici à demeure et qu’il peut imposer sa patte. Dans ses premiers épisodes, soit il s’encre lui-même, appliquant un style fortement inspiré par les classiques du strip, dont Milton Caniff qu’il admire, avec de jolis effets de matière et des drapés à base de gros coups de pinceau, soit il est encré par un certain Mickey Demeo, en réalité Mike Esposito, qui signe sous pseudo afin de ne pas attirer les foudres de son autre employeur, DC Comics. Esposito, complice de Ross Andru depuis déjà des années, travaille dans un style épuré, limpide et clair, avec des traits assez fins, y compris pour les contours. C’est très propre, au service du dessin, mais avec une certaine sécheresse.

Pour donner un ordre d’idée :

Amazing Spider-Man #62, dessiné par John Romita (et Don Heck), et encré par Esposito.

On voit bien que le trait est fonctionnel, avec des cernés assez propre, permettant de séparer les plans, mais peu de fioritures et de déliés.
(Selon moi, Romita se chargeait des personnages principaux et Heck des scènes de foule et autres décors : ici, Medusa est clairement l’œuvre du premier, et les gens autour ressemblent beaucoup au travail de Heck, la maman et son bambin ressemblant cependant à du Romita).

Amazing Spider-Man #65, par Romita.

Si on prend le premier épisode sur lequel intervient Jim Mooney, notamment la première page avec une autre scène de foule, on remarque plusieurs choses. D’une part, l’encre est plus chargée : les plis des vêtements ou les zones en retraits (jambes en arrière, genoux pliés…) sont marqués par des ombres très présentes. Les visages eux aussi adoptent des traits reconnaissables, comme les sourcils épais, les yeux plissés et noyés dans une masse, le bord de la lèvre inférieure… Les arrières-plans, enfin, sont parfois occupés par des traits complémentaires qui viennent remplir les vides. De manière générale, c’est également plus chargé. Mais plus généreux aussi.

Amazing Spider-Man #69, par John Romita.

D’une manière générale, certains commentateurs s’accordent à dire que sous les expressions fantaisistes que Stan Lee réserve aux crédits (le distinguo entre « storyboards » et « illustrations », par exemple), la réalité, c’est que Romita partageait le boulot avec Mooney, ainsi qu’avec les autres dessinateurs qui intervenaient sur la série (John Buscema ou Gil Kane). On en conclut deux choses : d’une part que la véritable identité graphique de la série, c’est Romita (après tout, jusqu’à McFarlane, Peter Parker était dessiné sur un modèle imposé par Romita, et les rares auteurs qui officiaient dans la lignée de Ditko, notamment Hannigan ou Frenz, faisaient figure d’exception). D’autre part que les encreurs pouvaient parfois occuper un rôle plus large que celui de simple « repasseur ». Et je pense qu’il faut voir les interventions de Mooney dans ce sens : il devait participer aux crayonnés, ou bien récupérer des dessins parfois succincts, à charge pour lui de les développer. Après tout, à cette époque, Jim Mooney est déjà un dessinateur chevronné, qui a travaillé sur de nombreuses séries chez DC, y compris Supergirl. Un artisan solide sur lequel Marvel peut se reposer.

Amazing Spider-Man #72, par John Buscema.

Durant de nombreuses années, le dessin d’Amazing Spider-Man a été un travail collectif, offrant pourtant une étonnante unité graphique due, on l’a dit, à la présence d’un pivot central, Romita, qui orchestre les planches et doit retoucher beaucoup (on peut sans doute y voir l’ébauche de son futur boulot de directeur artistique), et de deux encreurs qui maintiennent le lien. Il arrive donc à Jim Mooney d’encrer des planches de John Buscema. Sur cet exemple, on retrouve les zones d’ombre dans les drapés, l’épaisseur des traits du visage, autant de petits tics caractéristiques de Mooney.

Amazing Spider-Man #126, par Ross Andru.

Pendant quelques années, Mooney va être éclipsé, que Romita se charge d’une partie de l’encrage ou bien que Gil Kane privilégie le travail de Frank Giacoia. Quand Ross Andru arrivera sur le titre, il sera accompagné de son compère de toujours, Mike Esposito, qui se chargera aussi des fill-ins ainsi que des premiers épisodes de Keith Pollard, assurant le lien visuel sur le titre. Mais au détour d’un épisode, Andru et Mooney seront associés. On y retrouve son goût pour les ombres affirmées (sur les visages ou les décors), les traits épais… En case 6, la mâchoire de Kangaroo n’est pas cernée par un trait souple et régulier, mais au contraire par une ligne cassante assez représentative.

Amazing Spider-Man #189, par John Byrne.

Jim Mooney revient sur la série des années plus tard, à l’occasion d’un très sympathique diptyque dessiné par John Byrne (quand il y avait des remplaçants, à l’époque, c’était pas n’importe qui). En 1978, Byrne livrait déjà des planches denses et riches. Avec Mooney, il y a une certaine simplification, notamment dans les drapés. Mais les cernés restent épais et l’ensemble assez reconnaissable. C’est peut-être Byrne qui y perd, en somme.

Mais ça reste quand même du bon calibre. Allez, j’en mets une deuxième, pour le plaisir.

Amazing Spider-Man #197, par Keith Pollard.

Mooney se réinstalle progressivement dans la série notamment avec les épisodes de Keith Pollard (qui devait compter parmi les valeurs sûres de l’éditeur : il aura dessiné les sagas menant à Amazing Spider-Man #200, à Fantastic Four #200, à Thor #300…). Le zoom avant sur le visage du Kingpin est représentatif du travail de Mooney, avec les sourcils épais, profondément noirs et sans relief.

Amazing Spider-Man #211, par John Romita Jr.

Quand un jeune dessinateur, remarqué sur Iron-Man (où il était soutenu par Bob Layton) arrive sur une série où son père a brillé, il a besoin d’un coup de main, et il trouve en Jim Mooney un allié de poids, garant d’une certaine continuité.

Parallèlement à son activité sur Amazing, Mooney a travaillé aussi sur Spectacular, parfois comme encreur, parfois comme dessinateur.

Spectacular Spider-Man #7, par Sal Buscema.

Voilà une entrée en matière dont Sal Buscema maîtrise les codes à merveille. Comme disait, je crois, Christophe Darras dans Scarce, « il n’a pas inventé la poudre, mais il sait la faire parler ». Le voyou blond qui dit « cripes », sa main est typique du travail du dessinateur. Mais l’encreur utilise des contours plus épais pour y donner du volume. De même, sur le dos du personnage en premier plan, sur la masse de cheveux du blond ou dans les plis des vêtements, Mooney rajoute des ombres épaisses contribuant à donner du volume.

Spectacular Spider-Man #11, dessiné par Jim Mooney et encré par Mike Esposito.

Quelques épisodes plus tard, Mooney dessine un récit écrit par Chris Claremont et mettant en scène Spidey et Medusa (je soupçonne que ce soit à l’origine un Marvel Team-Up, les deux auteurs ayant travaillé sur cette série…). Avec le trait plus régulier d’Esposito, certains tics de Mooney disparaissent ou sont atténués (le contours inférieur de la lèvre, par exemple). Les ombres dans les plis sont présentes, mais réduites. Esposito trace des contours nettement plus minces, ce qui contribue à aplatir l’image.

Spectacular Spider-Man #25, dessiné par Jim Mooney et encré par Frank Springer.

Quand il est encré par Springer, on remarque que son compère semble restituer des astuces qui correspondent au travail d’encrage de Mooney : plus d’ombres, des drapés travaillés, des modelés.

Spectacular Spider-Man #37, dessiné par Jim Mooney et encré par Pablo Marcos.

Quand Marcos l’encre, certains aspects demeurent (la lèvre inférieure…), mais l’encreur alterne les traits épais et les traits fins, ainsi que quelques effets de matière qui lui sont propres.

Spectacular Spider-Man #41, dessiné et encré par Jim Mooney.

Cet épisode a la particularité (outre qu’il recycle peut-être aussi une intrigue prévue pour Team-Up, tant la vie universitaire de Peter semble réduite à portion congrue) de montrer Mooney encré par Mooney. Et l’on se rend compte alors de l’importance de son encrage sur les autres dessinateurs.

Spectacular Spider-Man #42, par Mike Zeck.

On reconnaît très bien le dessinateur de Master of Kung-Fu et de Captain America, on imagine donc sans mal des crayonnés précis. Sur lesquels Mooney applique ses recettes.

Spectacular Spider-Man #49, dessiné par Jim Mooney et encré par Bruce Patterson.

Plus étrange, cette rencontre entre l’encre fouillée et pleine de détails de Patterson, qui aime donner des effets de matière partout, avec le crayonné classique et parfois un peu raide de Mooney.

Spectacular Spider-Man #50, par John Romita Jr.

Autre collaboration entre Romita Jr et Mooney, à l’occasion de laquelle on retrouve les tics de ce dernier, et l’on constate que les deux styles se marient bien.

Spectacular Spider-Man #51, par Marie Severin.

Le dessin classique de Marie Severin s’associe fort bien avec l’encrage de Mooney, un peu comme si les deux illustrateurs, qui ont une carrière voisine et des références communes, parlaient le même langage. On repère les traits épais de contours et les aplats pour les zones d’ombre.

Spectacular Spider-Man #52, par Rick Leonardi.

On ne reconnaît pas énormément Leonardi, alors encore débutant à l’époque. L’encrage de Mooney est clairement un outil destiné à conférer aux planches une allure maison correspondant à la tonalité de la série.

Spectacular Spider-Man #55, par Luke McDonnell.

C’est le cas ici aussi : la série accueille de jeunes dessinateurs qui se feront remarquer plus tard (McDonnell laissera des périodes mémorables sur Iron Man ou Suicide Squad), et Mooney est chargé de les présenter sous leur meilleur jour, ce qui revient à lisser les défauts mais aussi les signes distinctifs.

Spectacular Spider-Man #56, par… Jim Shooter !

Ici, Mooney dessine et encre à partir d’un découpage fourni par le rédacteur en chef de l’époque.

Spectacular Spider-Man #60, par Ed Hannigan.

E Hannigan laissera des épisodes mémorables par la suite, en convoquant l’influence de Steve Ditko, mais aussi de Will Eisner. Il sera aidé l’encreur Rick Magyar, qui utilisera d’autres astuces (des trames, par exemple). Mais pour l’heure, il se fond dans la masse des dessinateurs, d’autant qu’il arrive sur une intrigue lancée depuis longtemps. On voit que les anatomies sont définies par des masses sombres entourant les muscles, et que les décors contiennent aussi de généreux effets de matière permettant d’encadrer les personnages. Mooney n’économise pas son encre.

Spectacular Spider-Man #63, par Greg LaRocque.

Spectacular Spider-Man #65, par Bob Hall.

Spectacular Spider-Man #71, par Rick Leonardi.

Cette fois, le dessinateur affirme nettement plus son style, et les ombres de Mooney s’y prêtent assez bien.

Spectacular Spider-Man #73, par Al Milgrom.

Al Milgrom arrive sur la série au moment de la grande guerre des gangs entre Octopus et le Owl. Le dessinateur a un style un peu raide, et Mooney met en avant le style propre à Spidey, avec un soin évident aux décors urbains. Mais on note qu’il n’hésite pas à appuyer sur les aplats noirs afin de renforcer l’ambiance un peu polar qui prévaut à l’époque.

Jim

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ça se faisait encore beaucoup, les trames à l’époque ?
En fait, c’est un des trucs que je n’avais jamais remarqué (ou je ne savais pas que ça existait) et que j’ai découvert avec l’expo Wood. Mais c’est un concept que je comprends mal, quand même …
En tout cas, je ne sais pas si c’est parce que je l’associe avec des épisodes qui ont bercé ma jeunesse, que j’ai lus et relus, mais quand je vois Palmer au générique, y a comme un effet rassurant sur la qualité promise des pages.