Je pense que les dates sont bonnes, mais que cette transition, comme tu dis, a été bien plus longue qu’on pense. Je me base sur ce que j’ai observé de la colorisation informatique. Jusqu’à la fin des années 1990, on a vu des coloristes traditionnels travailler (notamment chez Marvel, je pense aux Heroes for Hire d’Ostrander…), associés à des gens chargés de la « séparation ». Cette période est clairement marquée par une « transition » : en effet, les coloristes traditionnels fournissaient aux gens chargés de la séparation des repères colorimétriques que ces derniers changeaient en fichiers numériques.
Là, un petit retour en arrière s’impose : le coloriste traditionnel (c’est-à-dire celui qui place les encres de couleurs sur un bleu, comme on peut le voir dans un vieux reportage de Temps X) fournissait une épreuve sur laquelle chaque zone de couleur était identifiée par un code composé de lettres des trois couches couleurs d’impression (Cyan, Magenta, Jaune) et de chiffres indiquant l’intensité desdites couleurs. Ce document était envoyé à des chromistes, qui se chargeaient de transférer ces informations sur les films d’impression afin de constituer l’outil qui servira à transcrire cela sur le papier.
Un exemple :
C’est un extrait de la mini-série Robin II, on est en 1991, et c’est Adrienne Roy qui travaille. Clairement, ce document, elle le fabrique à destination des chromistes (à l’origine, c’est un métier propre à l’imprimerie, des gens faisant partie des équipes de l’imprimeur, et dont les postes ont été développés à l’occasion de l’avènement de la presse écrite et des progrès de l’impression à la fin du XIXe siècle, mais je pense que les chromistes, on en trouvait chez les « flasheurs », les gens qui fabriquaient les films d’impression à partir des documents, traditionnels ou numériques, fournis par les éditeurs).
Pour info, un aperçu de la version remastérisée :
Et donc, vers la seconde moitié des années 1990, la colorisation informatique s’est développée. Notamment sous l’impulsion de l’éditeur Malibu (le premier à héberger les Image Boys avant que ceux-ci ne donnent à leur label une indépendance), qui sera d’ailleurs racheté par Marvel sans doute dans l’unique but de mettre la main sur ce savoir-faire. Mais d’une part, chez les éditeurs, il n’y a pas encore ce savoir-faire, d’autre part chez les imprimeurs, tout le monde n’est pas encore passé en CTP (« Computer To Plate »), une technologie qui fait qu’on peut imprimer à partir de fichiers numériques, et non en passant par les films d’impression. Donc, cette fameuse « période de transition » dure un peu parce qu’il y a toute une chaîne de fabrication qui n’est pas modernisée aussi vite que la colorisation : flasheurs, imprimeurs, mais aussi rédactions et, bien entendu, coloristes.
L’une des conséquences de cette progression à plusieurs vitesses, c’est que certains éditeurs préfèrent s’appuyer sur des coloristes chevronnés (Adrienne Roy en fait partie), afin qu’ils continuent à fournir des guides colorimétriques, mais cette fois-ci à un studio de colorisation qui fournira un fichier définitif, dit de « séparation couleurs », lequel ira ensuite entre les mains du flasheur qui fabriquera les films d’impression. Pour l’éditeur, c’est la garantie d’un certain « contrôle qualité » et d’une continuité esthétique. Ce qui n’empêchera pas que certains responsables de la séparation couleurs s’amusent avec les effets de dégradés, obtenant des résultats pas toujours heureux (la colo des Marvel et des DC de la toute fin des années 1990 pique parfois les yeux).
La phase suivante, c’est l’avènement de studios de colorisation qui gèrent les différentes étapes de la mise en couleurs, remplaçant à la fois le coloriste et le séparateur. L’un des exemples connus est le studio Liquid! qui mettait en couleurs les X-Men de Pacheco, par exemple.
Pour le lettrage, je pense qu’on peut y voir le même phénomène : d’un côté des professionnels chevronnés qui doivent cavaler pour se mettre à la page question technique, de l’autre une chaîne de production qui doit s’adapter face aux progrès techniques (et quand tu as investi des sommes considérables dans des rotatives et autres machines, tu n’es pas pressé de devoir tout changer pour coller aux nouvelles technologies). Rajoutons à cela l’inertie propre aux grosses boîtes qui ont des habitudes et des traditions, là où Image, par exemple, constitue ses équipes au fur et à mesure de sa croissance, et on a donc une « période de transition » qui peut dure.
C’est un truc qui me passionne depuis des décennies.
Ah pinaise, les X-Force de Greg Capullo. Qu’est-ce que j’aime ces épisodes. Encré par Candelario, le trait ne perd pas du tout en vigueur, tout en ayant une clarté exemplaire. Le lettrage est de Chris Eliopoulos, qui s’inscrit dans la lignée d’Orzechowski, le légendaire lettreur des X-Men de Claremont. Et il exploite des trucs que j’aime bien, genre les expressions en gras avec un souligné en dessous : c’est super expressif.
(Et pour la petite histoire, les couleurs sont de Mary Javins, récemment nommé rédactrice en chef chez DC. On devine ici qu’elle a travaillé à partir d’un bleu fabriqué d’après la version lettrée + encrée, et qu’elle a mis en couleurs les lettres évidées dans les paroles : on repère une petite erreur dans le rouge du point d’interrogation, en bas à droite.)
Normalement, oui.
Mais parfois, le dessinateur les trace directement sur son crayonné. Dans un article de Scarce consacré à Dale Keown, on voit certains de ses crayonnés, et les onomatopées y figurent déjà. Je pense que c’est plutôt rare, cependant.
La plupart du temps, le dessinateur réalise des cases « vides » de tout texte.
C’est au moment du « script », donc de la rédaction des dialogues, que le scénariste vient placer les onomatopées.
J’ai vu Todd Dezago bosser sur les dialogues d’un épisode d’Impulse, alors qu’il était dans les locaux de Semic (donc première moitié des années 2000). En gros, il disposait de copies des planches (à l’époque, je crois que c’était Carlo Barberi), sur lesquels il traçait au marqueur des bulles ne contenant qu’un numéro. Et il faxait le tout au responsable éditorial et au lettreur.
À l’exemple de ça :
Ensuite, il rédigeait un fichier texte listant les bulles et faisant correspondre le numéro avec le texte qui sera contenu (l’habitude voulait, à l’époque, que l’on mette EN CAPITALES les mots que le lettreur devait mettre en gras). Dans cette liste, il y a bien entendu les onomatopées.
Aujourd’hui, je pense qu’ils font toujours pareil, à la différence que tout est informatisé, on passe par des JPEG ou des PDF.
Dans le cas de Simonson, il a longtemps travaillé avec un lettreur privilégié, John Workman. Donc je pense qu’ils devaient échanger beaucoup. Même chose pour Chaykin qui bossait essentiellement avec Ken Bruzenak. Pour peu qu’ils aient une proximité géographique, voire qu’ils bossent dans un studio, et l’affaire était facilité.
Pour Alan Davis, je ne sais pas.
Jim