ENCREUR, PLUS QU'UN MÉTIER

Sans les « tracés pour l’écriture », ça donnerait les éditions Héritage (encore eux !) :




Bon, après, il y a pire (toujours chez eux) :

Tori.

Sauf chez AREDIT :rofl:

Je pensais que la transition s’était faite lors de l’arrivée d’Image en fait. Début des années 90. Mais pour être tout à fait franc, le lettrage est un aspect que je découvre depuis peu. Ce n’est pas un aspect sur lequel je me focalisais.
Par contre, j’ai des souvenirs d’approches intéressantes qui datent justement de la même période, comme celle-ci :

Et petite question :

Le lettreur s’occupe-t-il des onomatopées ? Et comment fonctionne le travail avec le dessinateur? Simonson et Alan Davis possèdent un style d’onmatopées bien spécifique. Ce style est-il esquissé par le dessinateur pour après être fini par le lettreur ?

Je pense que les dates sont bonnes, mais que cette transition, comme tu dis, a été bien plus longue qu’on pense. Je me base sur ce que j’ai observé de la colorisation informatique. Jusqu’à la fin des années 1990, on a vu des coloristes traditionnels travailler (notamment chez Marvel, je pense aux Heroes for Hire d’Ostrander…), associés à des gens chargés de la « séparation ». Cette période est clairement marquée par une « transition » : en effet, les coloristes traditionnels fournissaient aux gens chargés de la séparation des repères colorimétriques que ces derniers changeaient en fichiers numériques.
Là, un petit retour en arrière s’impose : le coloriste traditionnel (c’est-à-dire celui qui place les encres de couleurs sur un bleu, comme on peut le voir dans un vieux reportage de Temps X) fournissait une épreuve sur laquelle chaque zone de couleur était identifiée par un code composé de lettres des trois couches couleurs d’impression (Cyan, Magenta, Jaune) et de chiffres indiquant l’intensité desdites couleurs. Ce document était envoyé à des chromistes, qui se chargeaient de transférer ces informations sur les films d’impression afin de constituer l’outil qui servira à transcrire cela sur le papier.
Un exemple :

C’est un extrait de la mini-série Robin II, on est en 1991, et c’est Adrienne Roy qui travaille. Clairement, ce document, elle le fabrique à destination des chromistes (à l’origine, c’est un métier propre à l’imprimerie, des gens faisant partie des équipes de l’imprimeur, et dont les postes ont été développés à l’occasion de l’avènement de la presse écrite et des progrès de l’impression à la fin du XIXe siècle, mais je pense que les chromistes, on en trouvait chez les « flasheurs », les gens qui fabriquaient les films d’impression à partir des documents, traditionnels ou numériques, fournis par les éditeurs).

Pour info, un aperçu de la version remastérisée :

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Et donc, vers la seconde moitié des années 1990, la colorisation informatique s’est développée. Notamment sous l’impulsion de l’éditeur Malibu (le premier à héberger les Image Boys avant que ceux-ci ne donnent à leur label une indépendance), qui sera d’ailleurs racheté par Marvel sans doute dans l’unique but de mettre la main sur ce savoir-faire. Mais d’une part, chez les éditeurs, il n’y a pas encore ce savoir-faire, d’autre part chez les imprimeurs, tout le monde n’est pas encore passé en CTP (« Computer To Plate »), une technologie qui fait qu’on peut imprimer à partir de fichiers numériques, et non en passant par les films d’impression. Donc, cette fameuse « période de transition » dure un peu parce qu’il y a toute une chaîne de fabrication qui n’est pas modernisée aussi vite que la colorisation : flasheurs, imprimeurs, mais aussi rédactions et, bien entendu, coloristes.

L’une des conséquences de cette progression à plusieurs vitesses, c’est que certains éditeurs préfèrent s’appuyer sur des coloristes chevronnés (Adrienne Roy en fait partie), afin qu’ils continuent à fournir des guides colorimétriques, mais cette fois-ci à un studio de colorisation qui fournira un fichier définitif, dit de « séparation couleurs », lequel ira ensuite entre les mains du flasheur qui fabriquera les films d’impression. Pour l’éditeur, c’est la garantie d’un certain « contrôle qualité » et d’une continuité esthétique. Ce qui n’empêchera pas que certains responsables de la séparation couleurs s’amusent avec les effets de dégradés, obtenant des résultats pas toujours heureux (la colo des Marvel et des DC de la toute fin des années 1990 pique parfois les yeux).
La phase suivante, c’est l’avènement de studios de colorisation qui gèrent les différentes étapes de la mise en couleurs, remplaçant à la fois le coloriste et le séparateur. L’un des exemples connus est le studio Liquid! qui mettait en couleurs les X-Men de Pacheco, par exemple.

Pour le lettrage, je pense qu’on peut y voir le même phénomène : d’un côté des professionnels chevronnés qui doivent cavaler pour se mettre à la page question technique, de l’autre une chaîne de production qui doit s’adapter face aux progrès techniques (et quand tu as investi des sommes considérables dans des rotatives et autres machines, tu n’es pas pressé de devoir tout changer pour coller aux nouvelles technologies). Rajoutons à cela l’inertie propre aux grosses boîtes qui ont des habitudes et des traditions, là où Image, par exemple, constitue ses équipes au fur et à mesure de sa croissance, et on a donc une « période de transition » qui peut dure.

C’est un truc qui me passionne depuis des décennies.

Ah pinaise, les X-Force de Greg Capullo. Qu’est-ce que j’aime ces épisodes. Encré par Candelario, le trait ne perd pas du tout en vigueur, tout en ayant une clarté exemplaire. Le lettrage est de Chris Eliopoulos, qui s’inscrit dans la lignée d’Orzechowski, le légendaire lettreur des X-Men de Claremont. Et il exploite des trucs que j’aime bien, genre les expressions en gras avec un souligné en dessous : c’est super expressif.

(Et pour la petite histoire, les couleurs sont de Mary Javins, récemment nommé rédactrice en chef chez DC. On devine ici qu’elle a travaillé à partir d’un bleu fabriqué d’après la version lettrée + encrée, et qu’elle a mis en couleurs les lettres évidées dans les paroles : on repère une petite erreur dans le rouge du point d’interrogation, en bas à droite.)

Normalement, oui.
Mais parfois, le dessinateur les trace directement sur son crayonné. Dans un article de Scarce consacré à Dale Keown, on voit certains de ses crayonnés, et les onomatopées y figurent déjà. Je pense que c’est plutôt rare, cependant.

La plupart du temps, le dessinateur réalise des cases « vides » de tout texte.
C’est au moment du « script », donc de la rédaction des dialogues, que le scénariste vient placer les onomatopées.
J’ai vu Todd Dezago bosser sur les dialogues d’un épisode d’Impulse, alors qu’il était dans les locaux de Semic (donc première moitié des années 2000). En gros, il disposait de copies des planches (à l’époque, je crois que c’était Carlo Barberi), sur lesquels il traçait au marqueur des bulles ne contenant qu’un numéro. Et il faxait le tout au responsable éditorial et au lettreur.
À l’exemple de ça :

Ensuite, il rédigeait un fichier texte listant les bulles et faisant correspondre le numéro avec le texte qui sera contenu (l’habitude voulait, à l’époque, que l’on mette EN CAPITALES les mots que le lettreur devait mettre en gras). Dans cette liste, il y a bien entendu les onomatopées.
Aujourd’hui, je pense qu’ils font toujours pareil, à la différence que tout est informatisé, on passe par des JPEG ou des PDF.

Dans le cas de Simonson, il a longtemps travaillé avec un lettreur privilégié, John Workman. Donc je pense qu’ils devaient échanger beaucoup. Même chose pour Chaykin qui bossait essentiellement avec Ken Bruzenak. Pour peu qu’ils aient une proximité géographique, voire qu’ils bossent dans un studio, et l’affaire était facilité.
Pour Alan Davis, je ne sais pas.

Jim

Mention spéciale aux onomatopées d’Incredible Hercules.

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Je renvoie vers un lien que notre ami Artemus Dada avait signalé en son temps :

Jim

Donc, en gros, le coloriste met la couleur sur les planches et après, il joue à la bataille navale ?

Merci pour toutes ces explications.

J’adore aussi ces épisodes. Ça déborde d’énergie, et surtout, la narration de Capullo était déjà excellente. Ça prenait en compte des gaufrier « typiques » de McFarlane (que Byrne repris lui aussi dans She Hulk ou Namor, mais c’était hyper lisible et dynamique !

Voilà des noms que j’ai déjà croisé, mais sur lesquels je n’avais pas poussé bien loin mes « recherches ». À méditer… :thinking::grin: Et je te rejoins sur le dynamisme qui ressort du lettrage de cet épisode. Je trouvais ça vivant et parti intégrante de la planche, de l’histoire…!

Alors là, je n’aurais pas cru que le scénariste en était l’instigateur !

Pour Workman, j’ai eu connaissance de son travail il y a peu de temps (genre 4-5 ans), donc je creuse un peu pour découvrir d’autres noms d’un art finalement pas assez… « considéré ».

Pour Davis, j’ai peut être un début de réponse :

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Une des difficultés du passage aux couleurs informatiques, c’est que les imprimeurs parlent en synthèse soustractive (Cyan, Magenta, Jaune), tandis que les écrans (et, du coup, les premiers logiciels de traitement d’images) utilisent la synthèse additive (Rouge, Vert, Bleu)…

Tori.

Il passe à l’épisode suivant.
Dans la vieille méthode, il fournissait un outil de travail pour un autre artisan sur la chaîne : le chromiste. Aujourd’hui, il fournit un outil pour plusieurs autres artisans sur la chaîne : le lettreur (qui en général récupère les fichiers couleurs pour faire son montage) et le graphiste, qui intégrera le montage du lettreur dans le chemin de fer général.
Après, certains éditeurs procèdent différemment : le graphiste s’occupe des pages de rédactionnel, des pubs, etc, tandis que le lettreur s’occupe des planches, et tous deux envoient leur montage à un troisième intervenant, qui soit travaille pour l’éditeur soit travaille pour un prestataire externe de l’éditeur, et qui se charge de la « fabrication », à savoir constituer un seul énorme fichier global (où il vérifie l’ordre des pages, les spécificités techniques…) destiné à l’imprimeur. Là, cette partie, c’est du ressort de chaque éditeur. Les maisons d’édition petites ou moyennes doivent sans doute le faire en interne, et les grosses boîtes délèguent sans doute à des structures indépendantes ou semi-indépendantes.

Jim

Mais les codes des couleurs, c’était bien le coloriste qui les fournissait au chromiste ?

Capullo avait compris plein de choses venant de Jim Lee (les cases « in your face » avec de grosses bastons, des persos qui occupent tout l’espace et des hachures partout), mais il empruntait aussi à un John Romita Jr plus ancien (celui d’Iron Man ou de Spider-Man) voire à Silvestri. Il ne se perdait jamais en effets inutiles, mais il parvenait à ne pas brider l’action. Le meilleur de tout, sans les inconvéniens.

Je crois que j’ai commencé à m’intéresser au nom des lettreurs en fouinant dans les bacs à soldes des comic shops parisiens, donc au tout début des années 1990. Avant, j’avais quelques comics VO, donc j’avais compris le rôle des lettreurs, mais je n’avais pas encore vraiment identifié des gens. C’est la période où j’ai rencontré Nikolavitch qui m’a fait lire des trucs comme American Flagg! ou Grimjack. Et j’ai commencé à voir que certains auteurs accordaient une importance particulière au lettrage, en bossant avec une équipe serrée.

On notera que des gens comme Eliopoulos (mais c’est valable pour des plus vieux, comme Todd Klein, Tom Orzechowski, Pat Brosseau, ou encore Workman et Bruzenak…) ont commencé à lettrer de manière traditionnelle avant de passer à l’informatique. Donc ils ont le compas dans l’œil, en matière d’esthétique. Ils connaissent les règles.
Je parlais des couleurs, un peu plus haut : ce qu’on a constaté, dans les années 1990, c’est que les nouveaux coloristes savaient utiliser Photoshop et tout ça, mais ne connaissaient pas les règles et le bon goût, et donc ils obtenaient un résultat moche mais techniquement nickel. Tout le monde n’est pas Steve Oliff. Et il a fallu attendre quelques années pour avoir une nouvelle génération de coloristes qui savent utiliser l’outil et ont pris le temps d’apprendre les règles du métier.
Je pense que c’est la même chose pour le lettrage. Les meilleurs sont ceux qui ont pratiqué la méthode « je découpe et je colle ». On notera d’ailleurs l’influence de gens comme Workman ou Orzechowski sur les plus jeunes lettreurs. Du temps où Robert Kirkman faisait le lettrage de ses comics, on sent bien qu’il a regardé ces deux-là, par exemple. Des gens comme Cory Petit (de Virtual Calligraphy) ou Nate Piekos (de Blambot) ont étudié leurs aînés.

Sur l’exemple que tu donnes, la page de X-Force, on voit bien qu’Eliopoulos a pratiqué un lettrage collé. J’en conclus que l’encrage de Candelario a été fait avant.

Tout tourne autour d’habitudes prises chez les éditeurs. Le temps de réalisation d’une BD fait que parfois, le scénariste n’est plus disponible pour finaliser les dialogues (qui peuvent demander des ajustements, selon la compo des planches : surtout dans le Marvel des années 1960, mais pas seulement). Si l’editor ne peut le faire, la tâche est confiée à un autre scénariste. Du coup, les deux étapes sont séparées, c’est ce qu’on appelle le « plot » (l’intrigue / scénario) et le « script » (les dialogues). Et au fil des ans, l’habitude a été prise, non seulement chez Marvel mais pas seulement là encore, de payer le scénariste en deux fois : la moitié à la livraison du scénario, l’autre moitié à la livraison des dialogues. Donc l’habitude a été prise aussi de lui confier cette tâche. Ce qui, en retour, a libéré les dessinateurs qui peuvent proposer des compositions moins contraintes par les exigences du scénario, puisque le scénariste pourra officiellement repasser derrière.

Dans le franco-belge, biotope, pourtant, d’Astérix, d’Achille Talon ou de L**'Homme aux Phylactères**, c’est effectivement un art qui se perd.

Effectivement. Merci.

Si j’ai bien compris ce que m’ont dit des potes coloristes, ils bossent en RVB et convertissent les fichiers en CMJN à la fin.

Oui, voir les extraits de Robin II que j’ai montrés.

Jim

Ouais, donc y avait 2 boulots dans ce boulot.

À l’heure actuelle, c’est le cas… Mais dans les débuts, je ne sais pas si les logiciels prévoyaient cette conversion… Du coup, il devait y avoir pas mal d’échanges avec l’imprimeur avant que ce dernier n’obtienne les bonnes teintes.

Tori.

Voilà.
Quand j’écris :

Qu’est-ce qui n’est pas clair ?

J’ai découvert cet aspect technique en 1999. À l’époque, chez Semic, on était encore à la technologie du film (le CTP n’était pas encore généralisé, même si, en théorie, c’était faisable, et les imprimeurs ne maîtrisaient pas tellement… Rajoutons à cela que des éditeurs tels que DC ou Dark Horse continuaient à envoyer du film, si bien que, si tu publies un épisode en film, tu es obligé de faire fabriquer du film par le flasheur pour l’ensemble du mag). Et donc, en fait, si quelque chose apparaissait en RVB dans les fichiers (par exemple, une reproduction d’une couverture dans la page news), c’est souvent le flasheur qui s’en apercevait. De mémoire, je dirais que c’est lui qui faisait la conversion, je n’ai pas le souvenir qu’il ait fallu lui refournir un fichier. En général, si personne ne s’en apercevait, ça générait une image en noir et blanc là où l’on attendait une image en couleurs, et donc on finissait par s’en rendre compte soit avec le cromalin que le flasheur fournissait, soit à l’étape de l’ozalid fourni par l’imprimeur. Je n’ai pas souvenir d’une image de ce type qui nous aurait échappé, mais j’avoue que tout ceci est un peu loin.
Pour ce qui concerne les tout débuts de la colo informatique, j’imagine qu’il y a eu, comme tu le dis, beaucoup de tâtonnements. Je ne sais pas trop avec qui les échanges que tu décris se faisaient. J’aurais tendance à penser que c’était plutôt avec l’éditorial ou avec le flasheur. Mais le coloriste, en toute logique, ne discute pas avec l’imprimeur ou le flasheur directement, donc je pense que c’est l’éditorial qui était son interlocuteur. Reste encore à voir si l’éditorial est formé à cette technologie qui était toute nouvelle à l’époque.

Jim

ça, c’était clair, et je trouve ça épatant (ça doit être chiant à faire, ce qui me donnait un doute tellement ça doit être chiant ce côté « admin » quand on aime faire de la colo). Mais c’est quand tu m’as répondu ça que j’ai eu un doute en fait :

Désolé.

Tu ne comprends plus mon mauvais esprit ?
La fatigue te gagne.

Jim

J’avais la petite dans les bras qui voulait son biberon à ce moment-là. Et ça, ça fait déconnecter tous les neurones !

Bon, on attend dix-huit, quand elle sera en fac, pour reprendre une conversation normale ?
:wink:

Jim

Tu parles, elle la fera à la maison, sa fac, tout confinée qu’elle sera avec le covid-37.