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Au début des années 90, Disney se lance dans un nouveau défi avec la création d’une nouvelle filiale baptisée Disney Comics, dans l’idée d’être moins dépendant des autres éditeurs comme Gladstone Publishing, au moment où le fait de se lancer dans cette initiative était potentiellement très lucratif (mais ça c’était avant la banqueroute financière de la seconde moitié de la décennie).
En dehors des rééditions des classiques de Carl Barks & co, et cherchant visiblement à diversifier son offre, le label Touchmark est créé pour l’occasion (considéré comme un équivalent de la compagnie Touchstone Pictures) avec à sa tête Art Young, un vétéran de chez DC, et Lein Wein en tant qu’éditeur en chef, avec comme objectif la création d’une branche de titres estampillés « mature readers ».
Avec une forte ambition affichée, comme le montre la liste des créatifs pressentis pour y participer, visible sur le poster de la San Diego Comic-Con de 1991, l’éditeur prévoit également une gamme plus mainstream, à savoir Vista Comics, destinée aux séries plus axées super-héros, et le lettreur Todd Klein fut même engagé pour s’occuper de la charte graphique et du design des logos des différents titres.
En raison de conflits éditoriaux et de ventes décevantes, cet imprint n’a pas fait long feu, mais toutes les séries n’ont pas finies à la trappe, certaines ont même eu la chance d’être reprises par **Karen Berger **et Young fraîchement revenu chez son ancien éditeur, profitant de ces séries additionnelles pour collaborer de nouveau avec certains artistes, notamment les scénaristes anglais connus pour avoir repris certaines séries secondaires de DC avec le succès que l’on sait, mais aussi pour étendre le catalogue du tout jeune label Vertigo au moment de son lancement en 1993, appelé à devenir la référence qualitative des oeuvres de cette décennie.
Parmi les premiers projets prévus à la base pour Touchmark se trouvent trois titres qui ont fini par aboutir chez DC, Mercy de DeMatteis/Johnson, Sebastian O de Morrison/Yeowell et bien sûr Enigma, le magnum opus du duo Milligan/Fegredo.
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Avec cette mini-série, Milligan emmène les lecteurs dans l’exploration de nombreux concepts, ce qui montre bien l’aspect dense de cette histoire, qui mérite plusieurs lectures pour être pleinement appréhendé.
C’est également l’occasion d’aborder le genre d’une manière nouvelle, par le biais de la thématique du trouble identitaire et de la quête initiatique, afin de questionner le rapport du lecteur à l’oeuvre et à son l’auteur, avec la gestion d’une structure narrative inspirée par un de ses auteurs de prédilection, à savoir James Joyce, un influence fondamentale pour certaines de ses oeuvres comme l’excellent Skreemer notamment.
La perception qu’a Michael de la réalité est bouleversée lorsque il assiste à l’arrivée de son personnage de BD favori dans le monde réel, ce qui va le pousser à se confronter à la vérité de cette situation, ce n’est pas un hasard que le personnage fictionnel nommé « The Truth » soit un des premiers à se matérialiser dans la réalité, lors d’un moment crucial du récit.
Plus Michael avance dans sa quête identitaire, plus le récit prend une tournure originale et imprévisible, avec une dimension irréelle et absurde néanmoins pas dénué d’un humour acerbe.
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À l’instar de Dark Knight, Dark City, l’étrangeté de certains moments n’est pas gratuite, tout fait sens et est expliqué par la suite, apportant une signification supplémentaire qui accentue la richesse thématique de cette mini-série qui fonctionne sur plusieurs niveaux de lectures.
L’interaction entre le vieux scénariste has been et l’ancien lecteur est très réussie, notamment par le biais de dialogues très drôles et inspirés, un passage de relais semble même s’effectuer entre Michael et Titus, entre le créatif dont la dernière heure de gloire correspond aux années 70, qui a tendance à écrire des personnages ayant recours aux monologues et ayant plus tendance à débattre qu’à se battre, la génération Starlin en gros, et l’ancien fan ayant grandi depuis, qui désormais adapte la série à son époque, étant du coup plus sombre, violente et désespérée (la période du Grim n’ Gritty) vu qu’il est en proie à une crise existentielle encore plus forte, ce qui se reflète dans le comportement différent du justicier Enigma selon qu’il se trouve dans le monde réel ou dans la fiction, accentuant ainsi la dimension méta de la série comme le montrent les propos du narrateur, conscient de la nature de l’histoire, et qui illustre la réflexion assez critique sur les codes du genre et ses implications sous-jacentes.
Au delà de cet aspect post-moderne, Milligan arrive à dresser un portrait vraiment nuancé de ses personnages, les rendant très humains, et éloignés des archétypes habituels, comme le montre la relation naissance entre les deux personnages principaux et le basculement progressif de Michael qui est écrit avec une grande justesse, loin des caricatures, de l’aspect racoleur et des autres gimmicks, vu que le scénariste voulait éviter de se servir de cela comme d’un outil promotionnel.
Duncan Fegredo est au diapason sur la partie graphique, assez exemplaire au niveau du découpage, peut-être bien ce qu’il a fait de mieux dans sa carrière, en arrivant à adapter son style selon les époques et les styles en vigueur associés à certaines périodes, devenant au fur et à mesure moins sombre et détaillé, plus lumineux et serein, à l’instar de l’état d’esprit de Michael.