ESPION DE L’ÉTRANGE - Serge Lehman (Les Moutons Électriques)

Dans le petit monde de la famille Dekk, il y a le père, Thomas, dissident tchèque réfugié en France après le Printemps de Prague. Il y a le fils, Karel, étudiant en Lettres à la Sorbonne. Il y a la banlieue parisienne en proie à des apparitions monstrueuses, et l’Europe où services secrets et empires industriels s’affrontent pour le contrôle de la réalité. Ajoutez un vaisseau alien de la taille d’une lune, une aberration topologique du réseau RER, une cité transmonde appelée Noireville et même le milieu des écrivains français de science-fiction, et vous aurez une idée de ce qu’est Espion de l’étrange. Dans ce recueil qui rassemble deux romans et cinq nouvelles, Serge Lehman, le scénariste de La Brigade chimérique et de L’Homme gribouillé, revisite avec jubilation les sources de son écriture : le désir impossible d’être un auteur de pulp, l’amour pour les histoires de quatrième dimension et l’humour à la Métal Hurlant.

Ce qui est assez épatant avec Serge Lehman, c’est que ses préfaces ont aussi leur intérêt. Ici, il y en a deux, et pourtant, chacune apporte son lot d’informations.
La première évoque un truc qui me parle totalement, et donc je me posais la même question pour le rock : pourquoi diable n’arrivons pas à faire de la SF comme les Britanniques, alors qu’il n’ y a que la Manche qui nous sépare ?
Et finalement, insidieusement, je me posais la même question, et comprends donc pourquoi la SF britannique m’attire autant.
Une fois qu’on connait la note d’intention de l’auteur, ça permet de comprendre tout un tas de choses sur son oeuvres, et dont certaines critiques ne comprennent ou n’acceptent pas (pour en avoir lues, des plus anciennes datant d’au moins une décennie). Est-ce que notre système jacobins n’acceptent pas du hors Paris en récit (et pourtant, Lehman va principalement dans la banlieue parisienne) ? Ou est-ce une forme de snobisme, à l’instar de celle qui trouve que les traductions françaises des noms de super-héros américains, là où les Espagnols ne s’en offusquent pourtant pas ? Toujours est-il que Lehman regrettait dans les années 80 que la SH de région, de province, de campagne, comme on peut en voir dans les séries britanniques ou américaines (il cite la 4ème dimension) ne se soit pas plus développé en France.
Bref, lire cela après le semestre que je viens de passer à ses côtés à l’insu de son plein gré donne des informations que je n’avais pas encore et qui confirme quelques intuitions (mais en mieux)

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Et donc le premier récit (Novalla ? Roman ?) s’intitule tout simplement Espion de l’étrange et introduit donc le personnage et son « univers ». Alors, j’ai lu que ça a été diversement accueilli … et je dois dire que revenir aux sources du Lehman a un côté jubilatoire, après avoir lu une bonne partie de ses ouvrages BD (même la Brigade), mais aussi de F.A.U.S.T. Et donc, au-delà du fait que je ne pense pas être particulièrement bien placé pour dire si c’est de la bonne SF ou pas, si c’est bien écrit ou pas, je trouve qu’on a ici tout ce qui fera le Lehman de plus tard, même dès F.AU.S.T., car on a une sorte de préquel complètement inattendu, avec déjà des réflexions sur ce qui sera l’univers de son autre saga, et même des ingrédients dans ceux-ci. En fait, c’est l’univers étendu de Lehman que je lis depuis 6 mois, c’est épatant. Alors lire cela aujourd’hui m’apporte un regard complètement distinct de ceux qui ont lu ça dans les années 90 ou 2000, d’autant plus qu’ils n’avaient peut être pas les notes d’intention de l’auteur (et là, on comprend ce qu’il a voulu exprimé, et je souscris complètement, c’est totalement ma came), mais tant mieux pour moi. je ne sais pas si leur avis « littéraire » changerait pour autant, avec ce qu’on sait, mais j’ai énormément de plaisir à lire ces 150 pages, en deux ou trois fois, qui se passent principalement en quasiment 24h.
Et ça lance aussi l’histoire de cet espion de l’étrange, et j’enchaine donc avec les nouvelles !

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L’homme qui voulait sauver l’univers prend une allure différente. Tout d’abord, au niveau de la narration, Lehman veut varier et ne pas juste raconter des histoires, comme on pourrait un Sherlock Holmes. En soit, cela donne un aspect vivant à son personnage, qui est le narrateur de l’histoire, au sens propre du terme. Quant au récit, il prend une allure très scientifique, un peu comme pouvait l’être une épisode de X-Files. D’ailleurs, même si Lehman prend comme référence la 4ème dimension, je trouve qu’il y a un côté enquête de l’étrange qui rappelle celles de Mulder, quand elles n’avaient pas la conspiration en tête.
Et puis prendre pour lieu de ses histoire, le Nord de l’Essonne où j’ai vécu, a une saveur bien particulière pour moi.

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Dans la nouvelle Sur l’échine de la Grande Ourse, la vérité n’est pas ailleurs, elle est bien dans la maison du héros. Je trouve que le récit à un côté starlinien, dans sa manière de parler des étoiles et de comment elles naissent.
Le récit évoque aussi l’ouverture d’esprit, à l’autre, quelque soit sa différence.
Alors, évidemment, quand l’autre est magnifique, c’est plus facile, mais le texte expliquant le choix des extra-terrestres pour l’espion de l’étrange est suffisamment explicite. il y a aussi un côté aussi respectueux de la gente féminine dans ce texte.
Alors, évidemment, c’est écrit par un mec, avec le fantasme d’un mec. Mais Lehman n’en fait pas trop, vraiment, et laisse le lecteur imaginer le reste.

Bref, une nouvelle assez inattendue, qui offre une bonne récréation au milieu du bouquin.

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J’ai l’impression que ce n’est pas la première fois que tu fais un parallèle…

Jim

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C’est la deuxième. Mais je prends une précaution, parce que je ne sais pas si je maîtrise le Starlin.
Mais je sais pas, dès que ça parle d’étoiles, de création, d’accouplement cosmique, je pense à lui, Captain Marvel, Eternité … ce sont les premières images qui me viennent en tête.

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Collector est très rigolo. C’est comme si Lehman… enfin, Dekk était passé dans un what if… ? dans lequel le genre science-fiction est roi, que les bouquins et revues spécialisées se vendaient comme des petits pains, et que les auteurs, qui continuaient également d’être des professeur d’université, étaient des pop-stars au point de se faire draguer par des étudiantes.
Je pense que dans cette histoire, il y a un peu d’envie de la part de l’auteur, mais également une forme de critique de ce que la starification peut entraîner. En tout cas, c’est trop rigolo, et ça montre aussi que dans cette collection autour de l’espion de l’Etrange, Lehman avait vraiment en tête de varier ses histoires, dans le fond comme dans la forme.

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Le système Dogoudjiev est une nouvelle plutôt rigolote, mais qui évoque pourtant des choses qui le sont moins.
Le titre me paraissait un peu énigmatique, je ne savais pas trop à quoi m’attendre et Lehman raccroche ça à de la SF (du merveilleux scientifique ?) de quartier, avec beaucoup de rythme grâce aux dialogues, alors que tout se passe pratiquement dans une seule pièce.
J’aime bien ce raccord au réel, à des vrais gens qui existent, des vrais lieux, tout en ajoutant de la fiction (et de la SF). C’est vraiment sympa.

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L’ange des profondeurs est le second roman de cette anthologie. Et comme pour le premier, j’ai bien kiffé. Alors, ce n’est plus l’espion de l’étrange, mais un autre personnage, qui pourrait être lui. mais pour des raisons de scénario je pense, ce n’est pas lui. Et pour autant, ça s’inscrit complètement dans l’univers lehmanian, avec encore la DATEX et ce rapport entre les organisations étatiques et les entreprises. En fait, y a pas de doute, la saga de l’espion de l’étrange est clairement un prologue contemporain de FAUST.
Et dans tout ça, j’ai bien été pris par le récit, mais si dans le premier roman, ce sont les références et ponts avec FAUT qui m’ont titillé, là, c’est clairement le récit, qui a pris une forme de réalisme et fantastique (pas SF), avec une fin que je pensais être dans la veine de son Homme Gribouillé ou St Elme, mais ça n’a pas été le cas, alors que ça en prenait clairement le chemin, quasiment jusqu’au bout. Bref, si c’est un début de son univers, on commence à y voir son amour pour les légendes européennes.
Gros plaisir de lecture !

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