Discutez de Giovannissima !
Prenant le relai des trois tomes (« Oh ! », « Si ! » et « Ah ! »), les quatre livraisons de Giovannissima intègrent la collection « Canicule » de Dynamite.
La formule reste la même : des histoires courtes plus ou moins salées, aux dessins explicites, avec parfois un petit décalage à cause de la source suggérée (genre, la réécriture d’un conte). En général, les planches sont en lavis, parfois (mais plus rarement) en couleurs.
Le « cul » en BD franco-belge (même s’il s’agit ici d’une provenance italienne) m’a toujours semblé moins intéressant que dans d’autres pays (j’en discutais avec un copain dessinateur), et en général j’impute cela au fait que les histoires dépassent rarement leur prétexte érotique. Je n’ai pas une grande culture en la matière, mais je n’ai pas l’impression d’avoir croisé, dans la BD européenne, quelque chose de comparable à Black Kiss (qui est un thriller) ou à Small Favors. Même Le Déclic ou La Survivante, passés le premier tome, me semblent retomber dans des facilités où l’intrigue devient secondaire (ou capillotractée). C’est sans doute un manque de culture de ma part. En tout cas, Giovannissima me semble afficher ce travers.
Jim
Je ne sais pas si je veux me poser en « expert » de la question mais il me semble tout de même qu’il y a deux problèmes qui se croisent dans ce que tu dis : d’une part une généralisation abusive (dans les deux sens d’ailleurs : les comics U.S. ont aussi leur part de production « cul » très bas de gamme à tout point de vue), possiblement liée à ce que tu décris comme ta méconnaissance du genre, mais aussi, d’autre part, un problème même de définition.
Sur le principe, je crois comprendre ce que tu veux dire quand tu parles d’histoires qui « dépassent rarement leur prétexte érotique » (même s’il y aurait déjà matière à disserter largement sur la formulation, les biais impliqués, les problèmes soulevés, etc.). Je suis plus surpris par le choix des contre-exemples que tu choisis pour illustrer ça. Alors que je n’aurais pas nécessairement tiqué là-dessus si tu avais cité Filles perdues de Moore et Gebbie, mettons, à côté de Black Kiss, je suis perplexe que tu cites Small Favors. Je veux bien que le titre ait un certain nombre de qualités, mais je ne le créditerais pas en priorité de « dépasser son prétexte érotique » alors les scènes de jambes en l’air y occupent 90% des pages au bas mot (estimation au doigt mouill… euh, disons « à la louche »), et que l’histoire n’est qu’un guère prétexte (justement) à introduire de nouveaux personnages dans lesdites scènes.
Côté BD européenne (plus que franco-belge, donc), le premier contre-exemple qui me viendrait à l’encontre de ton propos, c’est Valentina de Guido Crepax. Série dont la production s’étend de 1965 à 1993, et dont, bon, malheureusement, on n’a que des fragments en France : un volume sorti en 69 chez Éric Losfeld, un autre en 76 chez Charlie, un chez Dargaud en 83, quatre en 85-86 chez Futuropolis, puis plus rien avant les deux volumes d’une tentative d’intégrale (non-chronologique) en 2015 chez Actes Sud, mais comme aucun autre n’est sorti depuis, je suppose que ça a fait un flop.
La dimension érotico-porno y est certes, dans l’ensemble, primordiale, il n’y a pas de doute sur l’étiquette en la matière, pour autant elle est présente de façon variable en fonction des épisodes, sur un spectre pouvant aller du plus omniprésent au plus accessoire — je pense à « Chute d’anges », par exemple (dans le deuxième volume d’Actes Sud, celui titré « Fréquentation dangereuses »), un des plus beaux récits sur Venise que j’ai lu/vu tout médium confondu… et dans lequel l’héroïne n’apparaît déshabillée que sur deux ou trois planches. Aux côtés des aventures sexuelles réelles ou fantasmées de Valentina, il y a ainsi de la place pour des éléments d’intrigue fantastique ou de science-fiction (il faut dire qu’elle est apparue initialement comme personnage secondaire dans la série Neutron) et tout simplement la vie d’une femme qui mûrit, vieillit au fil des années, a un fils (lequel meurt dans un attentat dans les années 80, époque des Brigades rouges en Italie), etc. Le tout dans un style graphique très particulier qui n’appartient qu’à son auteur. De façon générale, je suis tenté de dire que tout ce qu’a produit Crepax vaut le coup d’œil.
Un autre titre qui me vient en tête, dans une toute autre approche, parmi les « classiques », est Blanche Épiphanie de Lob et Pichard (1967-1985, intégrale en trois tomes dispo chez La Musardine), série que j’ai tendance à évoquer comme la version X d’Adèle Blanc-Sec de Tardi : les deux s’amusent des mêmes références, revisitant le même imaginaire de romans-feuilletons populaires, même si … de manière différente, bien entendu. Je suis moins fan, et je n’aime guère le trait de Pichard, mais la dimension de pastiche / parodie est assez fun.
Même si on est sans doute plus dans le cadre des « intrigues prétextes » et « secondaires » que tu stigmatisais initialement, j’ai quand même bien envie de citer Les 110 pilules de Magnus — adaptation graphiquement tourneboulante d’un épisode du classique chinois Jin Ping Mei (fin XVIe / début XVIIe siècle) — ou encore Erma Jaguar de Varenne — avec sa fabuleuse ambiance nocturne (quoique très typée années 80).
Parmi des titres plus récents, j’ai déjà fait la retape de Mâhârâjâ, excellent titre de Labrémure et Artoupan (2012, chez Drugstore) ; titre complété depuis de deux albums « préquelles » chez Clair de Lune, Nuits indiennes (plus décidément porté sur le côté farce, mais sympa aussi) et maintenant Le Cinéaste, sorti il y a trois semaines et sur lequel je n’ai pas encore mis la main. On peut aussi mentionner Esmera de Zep et Vince (2015, chez Glénat), conte plutôt réussi dont le personnage principal traverse les décennies en changeant de sexe à chaque orgasme.
Et puis, dans le fossé que tu veux tracer entre BD européenne et américaine, où placer Sunstone (l’anti Cinquante nuances de machinchose) du Croate Stjepan Šejić, qui le publie d’abord en ligne sur son compte DeviantArt puis a décroché un contrat pour l’éditer aux U.S. avec Image ? Que faire du Québecois Jimmy Beaulieu, dont je tiens notamment la Comédie sentimentale pornographique (paru en 2011 dans la collection Shampoing de Delcourt) pour un des meilleurs albums, tout genre confondu, de la décennie qui s’achève ?
Bref, le « cul » en BD franco-belge-au-sens-large, ça ne se limite heureusement pas au niveau du Déclic (titre qu’au demeurant je n’apprécie pas des masses).
Tu auras bien noté que j’avais pris la précaution de préciser que je n’avais pas une grande culture en la matière. Et tous les exemples que tu cites (dont je ne connais une grande majorité que de nom) prouvent bien que tu en sais plus que moi, et de loin.
Dans le maigre corpus que j’ai lu, pour ma part, j’avais la sensation, fort subjective, qu’on pouvait lire les BD dites « de cul » pour d’autres raisons que l’aspect érotique / pornographique, quand elles provenaient d’outre-Atlantique (même Small Favors, je crois qu’on peut le lire pour d’autres raisons : en tant que comédie, là où Black Kiss pourrait se lire en tant que thriller). N’ayant guère tâté la production bas de gamme que tu évoques, j’avais donc une vision un peu faussée.
Mais je me doutais bien que mon interrogation allait susciter des réactions.
Jim
C’est ma chance, ça : la seule fois de mon existence où ça arrive, et il faut que ce soit sur le sujet de la BD porno.
On peut… sur les titres les plus réussis (en schématisant), de quelque côté de l’Atlantique qu’ils proviennent. — De même qu’on peut lire des comics de super-héros pour autre chose que des personnages costumés qui se tapent dessus. — Ensuite, comme dans tous les genres, « les plus réussis » ça concerne forcément une minorité (plus ou moins pointue) au sein d’une production de masse (plus ou moins industrielle).
Oui, je suis d’accord avec ton analyse de Small Favors. C’est sympa, hein, mais chaque épisode rajoute un perso, en n’enlève aucun.
Si tu veux l’augmenter :
Tori.
C’est pas bien de te moquer.
Et puis, tu n’obtiendras rien par la flatterie…
Oui, je connais la collection. Mais je ne me suis pas lancé dedans. Le premier prétexte, c’est le manque de place. Mais pour l’essentiel, c’est aussi le manque d’intérêt, je dois bien le reconnaître.
Jim
En revanche, ça donne une idée de ce qui existe en la matière.
Tori.
Il suffit de lire n’importe quel bouquin de Jacques Sadoul sur la BD pour en avoir une idée.
Jim
En voilà d’autres :
Tu es sûr de ton lien, là ?
Jim
Saloperie de lien … Bon, c’est la collection le Marquis de Glénat (je ne trouve pas de belle liste dispo avec un lien viable)
Je teste :
En effet, on n’a pas le résultat de la recherche, et ça ajoute un + à la place de l’espace.
Tori.
C’est mieux ici :
Là, peut-être :
Jim
Non, ça c’est autre chose. Mais je ne connais pas ! Merci.
Ah je me demande si je n’ai pas un truc dans cette collection.
Après vérif, oui oui : le Birdland de Gilbert Hernandez.
Jim
Je t’en prie.
Jim
C’est pour ce bouquin que je connais cette collection. Sauf que je ne l’ai pas encore trouvé (enfin si, mais pas à mon prix)